dimanche 30 décembre 2012

Qui s'y attelle ?

 Quelques unes des « 36 choses à faire » en 2013

      • « Ce qui n'a jamais été écrit est féminin » : L'écrire

« Par-delà le monde restreint de leur foyer, les femmes en ont surpris un autre. Les portes des fourneaux, les bassines de bois, les trous des puits, les vieux citrons se sont ouverts sur un univers fabuleux qu'elles seules ont exploré »

    • « Des choses sacrées se murmurent dans l'ombre des cuisines » : Les recueillir

«  Depuis la Genèse et le début des livres, le masculin couche avec l'Histoire. Mais il est d'autres récits. Des récits souterrains transmis dans le secret des femmes, des contes enfouis dans l'oreille des filles, sucés avec le lait, des paroles bues aux lèvres des mères. »

    • Répondre à la question : Devons-nous encore coudre, recoudre ou faut-il, une fois pour toutes couper le fil avec nos dents ?

«  Au fond des vieilles casseroles, dans des odeurs d'épices, magie et recette se cotoient. L'art culinaire des femmes regorge de mystère et de poésie. Tout nous est enseigné à la fois : l'intensité du feu, l'eau du puits, la chaleur du fer, la blancheur des draps, les fragrances, les proportions, les prières, les morts, laiguille, et le fil … et le fil. » 


 


A toutes mes soeurs et tous mes frères d'écriture-lecture

(Toutes les phrases «  ... » sont extraites du livre de Carole Martinez « Coeur cousu » Folio)

jeudi 27 décembre 2012


-et toi ça t’est arrivé comment ?
-c’est un dialogue ?
-ah !
-c’est fragile
-oh !
-c’est beau
-elle est enceinte...
-c’est une consigne ?
-il adore les olives
-c’est un garçon 
-il sait pas prendre
-ils font connaissance
-il s’est amouraché...
-ça t’est arrivé comment ?
-c’est les olives
-faut dire qu’elles sont bonnes, il a bon goût
-c’est bien sur la cheminée
-où ?
-il mordait ma robe il s’agrippait à la laine
-arrivé comment ?
-il renifle tes bottes
-il fait le vampire
-si on bavarde on peut pas écrire
-vous en faites ce que vous voulez
-c’est un dialogue






sans titre, mais avec grâce


mercredi 26 décembre 2012

Décembre




                                          Lundi 24 : on attend le Père Noël



                                         Mardi 25 : Il a mis sa robe bleue et s'est déguisé en pervenche



                                         Mercredi 26 : Encore plus fort, il ne veut pas partir, et s'est encore déguisé

mardi 18 décembre 2012

de la terre dont sont faites les fesses : quelques indices




Du sort réservé aux vierges dans l'Histoire

-Et toi, ça t'est arrivé comment ?
De quoi parles-tu ?
De ton ventre
Quel ventre ?
...
Tu veux pas t'asseoir ? Tu me caches la lumière
Dis plutôt que tu n'aimes pas être dominé
Dis donc, tu vois le mâle partout toi !
...
Bon alors, ce ventre ?
Non mais, t'as vu le tien ?
De mon temps on avait du respect pour les futures mères
De mon temps on les mettait dans des crèches entre un boeuf et un âne et on attendait qu'elles accouchent de petit Jésus
De ton temps tu allais un peu trop au catéchisme, non ?
C'est-à-dire que de mon temps, les Espagnols ne nous ont pas trop laissé le choix
Ah oui, Cortès, Pissaro, t'as connu tous ces gars-là, toi ?
M'en parle pas, ils m'ont coupé les bras et les jambes parce que je ne renonçais pas assez vite à mes dieux pour croire au tien
Non ???? Et ils t'ont ensuite gavé de jambon d'agave pour que tu restes assis sur ton derrière et fasses du lard !
Bon si on parlait un peu de toi, toi la culture dominante, Regarde moi un peu cet air autoritaire ! tu serais pas un peu psychorigide ?
C'est parce qu'on a sa dignité, tu comprends
- Et donc, ça t'est arrivé comment à toi ?
Eh bien, pareil : Un jour j'étais en train de repriser avec ma mère, qui elle faisait du repassage dans son coin. Lorsque tout à coup, un type qui prétendait s'appeler Gaby, tout lumineux éblouissant, est venu me dire que ce j'étais enceinte de Dieu, que ce n'était même pas la peine d'acheter un test de grossesse, ça y était.
Ma mère m'a regardée d'un sale oeil, déjà qu'elle me soupçonnait depuis un bon bout de temps de m'échapper le soir par la fenêtre pour rejoindre Joseph Carpenter.
Et ses soupçons étaient donc fondés !
Mais non ! Avec Joseph on faisait que se regarder le blanc, pour comparer ; du coup il a fallut précipiter la noce pour pas que les voisins se rendent compte.
Tu t'étais peut-être piquée avec une aiguille ?
Vous les Aztèques, vous êtes peut-être malins pour construire des pyramides et sacrifier des vierges, mais alors questions sexe et procréation, vous êtes un peu sous-développés !
Tu m'excuseras mais un type qui te regarde et que ça te fait tomber enceinte, la pilule est un peu dure à avaler, si je puis me permettre.
Oui, je sais, mais ce n'était pas n'importe quel type : il avait des ailes, lui aussi.
Ah alors, tout s'explique !
Tu trouves ?
Non je sais pas quoi te dire, alors... Et si le petit ne ressemble pas à Joseph, qu'est-ce que vous allez faire ?
Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse, c'est trop tard de toute façon, j'accouche dans 4 jours, tout est prévu, à Bethléem il faut occuper le terrain, sinon, les autres vont nous piquer notre grotte, les gens se sont ruinés en cadeau, les rois-mages ont pris leurs billets de chameaux, on ne peut pas les décevoir.
Oui, mais toi au moins, dans quelques temps, t'aura retrouvé ta ligne, tandis que moi... Dis donc, t'es sûre que tu veux pas t'asseoir ?

samedi 15 décembre 2012

Dialogue de sourds

Pièce courte entre :
Une femme immense campée sur ses jambes. Fière. Les seins nus dardés. Les bras tenant son ventre rebondi.
Un petit homme corpulent aux minuscules membres tronqués. Large d'épaules. Tête carrée coiffée d'un chapeau plat. Ventre de Bouddha

-" D'où je suis, je ne vois que ton ventre, baisse-toi un peu vers moi que je te vois mieux... D'où viens-tu ? De quel pays ? Tous les humains sont-ils aussi grands chez toi ? Sous ta longue robe, je vois bien que tu attends l'enfant, tes mains l'entourent en un berceau. C'est pour cela que tu es tellement fière, hautaine ? Tu n'es pas la première, tu sais".

- " Hé petit homme, je veux bien t'écouter mais abstiens-toi de condescendance. Je viens de loin, mon pays s'appelle le Mali, j'ai fui, les hommes s'y battent. D'où je viens les hommes sont tous noirs, très grands et très beaux. Les femmes encore plus, comme tu peux t'en rendre compte. Oui, j'attends le troisième enfant, nous avons toutes de nombreux enfants que nous portons longtemps, dans notre ventre puis dans notre dos. L'enfant est toute notre vie de femme. L'enfant et les travaux, c'est notre vie. Et toi, qui es-tu ? Qu'as-tu fait de tes membres ? Tu n'es pas un guerrier, tu n'en as pas l'allure mais tu en as les décorations ; ton oreille droite est énorme, la gauche minuscule, pour quelles raisons ? Et ce petit chapeau noir qui te fait de l'ombre sur le nez, est-ce la coutume nationale ? Tes épaules sont puissantes, je suppose que tu es un personnage important ?"

- " Tais-toi, tu es trop bavarde ... et approche toi un peu ..."

- " Hé Oh ! Petit homme, on ne me commande pas, ni toi ni qui que ce soit. T'es pas obligé de répondre. Je peux me poser des questions à voix haute si j'en ai envie."

- " Je sens qu'il va être difficile de s'entendre avec toi. Susceptible. Agressive. Je suis d'un peuple doux, je viens du Pérou, mes ancêtres sont des indiens, des hommes paisibles qui vivaient dans les grandes plaines, respectueux de la nature, près de notre terre-mère. Notre peau est cuivrée, notre âme aussi..."

-" Et ce gros ventre ? D'où te vient-il puisque tu dis vivre près de la nature ? As-tu avalé un caillou ? Ou ton chapeau ? Ou alors, chez vous sont-ce les hommes qui portent les enfants ? Et par où sortent-ils, hein ? De nombril, tu n'en as pas. Par ta grande oreille ?"

-" Ca va, ça va, femme d'Afrique. Ne t'énerve pas. Nous ne portons pas les enfants. Je te laisse ce rôle. Je suis un personnage important, tu l'as bien compris. D'habitude, les gens s'inclinent devant moi. J'ai beaucoup de pouvoir."

-" Excusez-moi, mais la rencontre n'aura pas lieu. Je continue ma route. Vous êtes trop orgueilleux. La savane m'appelle. Au revoir, petit homme."

Lecture nécessaire



"La demi-vie est pernicieuse : elle gagne en même temps les corps et les esprits. Une espèce d'immense cryogénie est à l'oeuvre. Un processus de dessication à basse température, semblable à une congélation dans un espace désespérément homéostatique et qui se préoccupe très peu de son environnement. La vie sous vide. Un événement à la fois fatal et banal. Le confort intellectuel et moral, voilà tout ce à quoi nous aspirons : une longue demi-vie, sans éclat, sans relief, anonyme. Non pas le bonheur, mais le bien-être (les partisans du nucléaire confondent en permanence le bien et le bien-être, on leur parle de retrouver la perfection rythmique de la vie, ils répondent éclairage à la bougie). Comment vivre à l'état de disparition ? Ce qui est acheté en termes de confort se paie cher en termes de puissance de vie et de singularité. Ce qu'on nous prépare : une espèce anonyme soumise et reproductible à l'infini...
... La demi-vie qui s'impose aujourd'hui est indissociablement liée à la négation de l'individu (systématiquement présenté comme une particule négligeable au sein de grands ensembles qu'il convient de chauffer, d'éclairer et de protéger) et à une obsession sécuritaire poussée jusqu'au confinement le plus absurde."


Michaël Ferrier  Fukushima  Récit d'un désastre  L'infini nrf Gallimard

envie de partager...

... avec vous cette lecture de Etty Hillesum "une vie bouleversée", Seuil, coll. point, 1985. Il s'agit du journal et de lettres de l'auteure écrits entre 1941 et 1943, morte à Auschwitz le 30 nov 1943, ses parents et ses frères aussi. C'est d'une force incroyable jamais larmoyante, terrible et sans concession pour elle-même, rempli d'amour. Le journal suit ses métamorphoses. Ici quelques passages...

"Ces maux d'estomac, cette oppression, cette sensation de noeud intérieur, d'écrasement sous un énorme poids constituent sans doute le prix que j'ai à payer de temps en temps pour mon avidité à tout savoir de la vie et à pénétrer partout [...]
"(...) Oui nous autres femmes, pauvres femmes folles, idiotes, illogiques, nous cherchons le Paradis et l'Absolu. Je sais pourtant par l'intellect - un intellect fonctionnant à la perfection - qu'il n'y a rien d'absolu, que tout est relatif et nuancé à l'infini et pris dans un éternel mouvement, et que c'est justement ce qui rend le monde si fascinant, si séduisant, mais si douloureux aussi. Nous autres femmes, nous voulons nous éterniser en l'homme. C'est vrai ; je veux qu'il me dise : "Chérie, tu es la seule et je t'aimerai éternellement". C'est une fiction. (...) Ce peut-il que ce soit précisément ma propre incapacité à donner un amour absolu qui me pousse à l'exiger de l'autre" (...).
"Il faut oublier des mots comme Dieu, la Mort, la Souffrance, L'Eternité. Il faut devenir aussi simple et aussi muet que le blé qui pousse ou la pluie qui tombe. Il faut se contenter d'être" 
"Ici, les Juifs se racontent des choses réjouissantes : en Allemagne, les Juifs sont emmurés vivants ou exterminés aux gaz asphyxiants. Ce n'est pas très malin de colporter ce genre d'histoires et de surcroît, à supposer que ces atrocités se passent vraiment sous une forme ou une autre, ce n'est pas nous qui avons à en répondre ?" (1942)
 "Lorsque je souffre pour les faibles, n'est-ce pas souffrir en fait pour la faiblesse que je sens en moi?"

"Je suis assise sur mon sac à dos, au milieu d'un wagon de marchandises bondé. Papa, maman et Misha sont quelques wagons plus loin. Ce départ est tout de même venu à l'improviste. Ordre subit de La Haye, spécialement pour nous. (...) un au revoir de nous quatre" (dernière lettre, 15 sept 1943).
 

vendredi 14 décembre 2012

ateliers










J’ai grandi trop vite, bientôt mes os ont failli
Dans le pays
La terre s’est effritée, les lacs asséchés
Les hommes égarèrent la mémoire des Anciens
Leurs paroles se  perdirent dans les brumes brûlantes
Les enfants ne naissaient plus
Alors les âmes. Errantes, sans répit
Les corps affamés grossirent comme des balles
Le temps se tassait. Les maisons se désagrégeaient
La mine fermée, les hommes s’exilèrent
Seule l’haleine des aboiements
Seule la ténacité de la glaise
Seuls des chacals fourvoyés    
Et toi, ça t’est arrivé comment ?

Quand je partis du village mon souffle fondit, sans larmes
Dans la plaine
Je n’arrivais plus à respirer, à transpirer
Je devenais comme nos lacs. Ma peau, lézardée
Je pris des bus, des trains, fut jeté à terre
Je mangeais la poussière, buvais la rosée
Parfois des villageoises me donnaient du pain au maïs
Bientôt je ne ressentis ni la brûlure ni la glace
Mes pieds se figèrent, ne sachant où se diriger
Il n’y avait aucune route, j’avançais vers le mirage perçu au loin
Je perdis peu à peu la mémoire de Vous
Seule l’odeur d’une ville suffocante
Seul j’entrais dans le brouillard des ateliers d'usine   








Un poème dans la salle d'attente

Il est des heures qui nous ouvrent les mains
et retournent comme un texte fané
la leçon fatiguée qu'est le monde;

L'initiative ne nous appartient pas.
les choses se déprennent ou s'ouvrent
Comme s'il y avait des ondes, des courants
ou des motifs
qui parcourent le temps et l'espace,
changent les situations
corrigent les substances,
dépoussièrent des textures
et peut-être même inventent 
de nouvelles manières de l'être,
des variatiopns ou des échappements.

Et pami tant de processus curieusement ambigus
non seulement nos mains s'ouvrent
comme de fertiles manoeuvres,
mais parfois quelques chose se pose aussi sur elles,
comme pour se reposer un instant de l'abîme.

Extrait de Dixième poésie verticale
Roberto Juarroz (1925-1995), traduit de l'argentin par François Michel

Pour Linette et son chagrin

jeudi 13 décembre 2012

le toutologue s'y met aussi

Pour celles et ceux qui ne se lèvent pas tôt, allez sur le site de France Culture réécouter le Toutologue de ce matin. Une manière de consigne drôlement intéressante pour ce qui nous concerne présentement. Une autobiographie d'objet mystère avec une chute -enfin j'espère que non !- très drôle.


lundi 10 décembre 2012

Se faire une idée de la poussière

 
« Le plus souvent, personne ne s'y intéresse. La poussière fait partie des déchets et résidus, zone grise où stagne -hors la vue, hors l'attention - la part du monde laissée de côté. C'est toujours là qu'il faut tenter d'aller fouiller, évidemment. Dans le négligé, l'écarté, le refoulé se tiennent en effet les énigmes organisatrices du visible . Peu importe que le point de départ paraisse trivial, ou même inepte. En creusant, on trouve matière à vertige. …
.
La poussière, en fait est une énigme ontologique. Ni néant - ni étant – quelque part entre les deux, elle est à la fois évanescente et agglutinante, ténue et têtue. A la frontière du solide et du gazeux, matière pratiquement dépourvue de forme, elle déjoue, mine de rien, les catégories de la métaphysique.
Du coup, tenter de se faire une idée de la poussière se révèle être une expérience limite. Car, pour avoir ce qui s'appelle une idée – claire, distincte, nettement pensable -, des contours sont indispensables. Limites nettes, arêtes roides, voilà ce qui est exigé, depuis que le terme même est apparu : « idée », en grec, se dit eïdos, « forme » - pas de forme, pas d'idée ! La poussière semble donc impensable. Informe, flottante, pulvérulente, en lisière du visible et du palpable, elle paraît être ce dont la pensée occidentale ne peut pas parvenir à se faire une idée.
Pour penser la poussière, il faudrait aller voir ailleurs, autrement. Réfléchir par d'autres voies. Du côté du fluide plutôt que du solide. Du flou plutôt que du net. Du discontinu plutôt que du stable. Vers les fumées, les brouillards, les nuages, les scintillements éphémères. Vers l'attention portée au rebut, la rédemption des déchets, l'égale dignité de toutes les matières. … 
La poussière est le modèle secret des idées. C'est elle qui les rend possibles. Dans la pensée, faire le ménage est en fait une activité circulaire : en faisant le ménage dans les idées, on produit des poussières nouvelles, qui nécessitent de nettoyer une nouvelle fois, en produisant de nouvelles poussières ; Et ainsi de suite. Cela s'appelle l'histoire de la pensée. »

Roger-Pol Droit  


vendredi 7 décembre 2012

Apprendre à goûter les lumières

"Il y a des lumières fades, insipides, façon bouillon clair, eau tiède ou tisane. Des épicées, flamboyantes, arracheuses, gorgées de feu. Des suaves, douces, sucrées. Des mielleuses, des pâteuses,des écoeurantes. Des lumières sablées, d'autres feuilletées. Des grillées, des pochées, des mijotées, des fondues, des gratinées.
Parler de "la" lumière est un égarement, seul règne le multiple. Les lumières, évidemment - au pluriel irréductiblement - disséminées, diffractant le monde en une infinité de lieux aux intensités non comparables.
Lueurs piquantes des matins de printemps dans les champs déjà chauds, éclats blessés des midis d'automne, notes acides des aubes de glace l'hiver au sommet, arrière-goût âcre des villes brumeuses - autant d'approximations grossières et de désignations frustes - La multiplicité infinie des lumières, de lieu en lieu, minute après minute, au jour le jour, ne peut se dire mais doit se montrer.
Toutefois, la capacité à les discriminer s'éduque. Après avoir abandonné l'idée absurde qu'il n'y aurait qu'une seule lumière, il est possible de s'exercer à saisir les nuances fugaces, éternellement réinventées. Accepter de ne jamais voir deux fois la même. Savoir que le flux infini ne peut s'interrompre. Comprendre que l'existence des ténèbres est une légende - l'extinction des lumières ne correspond à rien.
Ce qu'on appelle la nuit est composé de lumières ombreuses, opaques, denses, parfois tout à fait noires. Leur goût engendre des rêves et des errances tant qu'on n'a pas fait l'apprentissage de leurs puissances sourdes ni découvert combien elles enveloppent et rassurent dès qu'on les apprivoise.
Ne jamais faire confiance aux unités (la saveur, la lumière, la nuit) car elles n'existent que de manière illusoire."

Roger-Pol Droit  Petites expériences de philosophie entre amis  Plon


Feuilleton de l'objet (4) : le fonctionnel, le futile, le tarabiscoté

Il s'ensuit alors une conséquence importante : il convient alors de procéder à leur décrassage, à leur dépoussiérage, parce que ces objets ne reviennent qu'avec des enduits ou des masques humains. On leur prêtait une 'âme' alors qu'on doit se contenter de leur surface "nette, lisse, sans éclat louche ni transparence... Les objets perdront peu a peu leur inconstance et leurs secrets, renonceront à leur faux mystère, à cette antériorité suspecte qu'un essayiste a nommé 'le coeur romantique des choses'."
Or, la philosophie n'a pas échappé à cette loi des trois états, même si elle donne un sujet plus élaboré que 'l'homme' ou la 'conscience', c'est-à-dire 'la pensée' ; elle aussi se tourne assez peu vers la fabrication, surtout celle qui nous vaut le fonctionnel( l'ustensile) ou le futile (la camelote) ou le tarabiscoté (les ors, les placages, les laques) ou la copie (tant dévalorisée).
Ces trois étapes prouvent donc que l'objet n'émerge que tardivement et de façon douteuse. Le philosophe n'est que trop porté à l'oublier ou à le dédaigner.

prochain épisode : chercher l'humain dans l'objet

lundi 3 décembre 2012

Lettre à Moriane

 
Très chère Moriane,


Je ne suis arrivée que depuis quelques jours et l'atterrissage n'a pas encore eu lieu. Je plane quelque part en grand écart, apnée, écartelée entre songe et réalité, Afrique et Europe. Le plus simple encore est de me laisser porter par cet état de rêve éveillé. Mes yeux se posent indifférents à mon entourage et mon esprit n'est capté que par des objets insolites sur lesquels mon imagination peut s'évader en de fantasques rêveries. Cette pierre de rêve, ce matin de jour anniversaire, a drainé toute mon énergie vers une rêverie verte et tendre.
A l'orée de la forêt, vert d'eau et de stries noires, une biche blanche, tête levée, oeil et oreille noirs, hume le frais de l'air et frôle le ciel de son museau gris. Un cerceau de branches lui fait un berceau.
Elle avance sur une mer de vaguelettes boueuses, recouverte en surface d'innombrables feuilles tombées des arbres, de ces arbres irisés, en tache d'encre sorties d'un tableau chinois.
Ce paysage jailli de la pierre m'appelle aux caresses. Froidure immédiate au toucher, douceur, rondeur de l'ovale, sensations de froid et de lisse s'opposant dans ma main, la douceur l'emportant rapidement.
La pierre ovale, dressée sur son socle, ses douces formes et couleurs, son inertie m'extraient de l'été.
Je glisse dans l'automne, dans une faille de temps identique à la faille me séparant de vous, de vos présences chaleureuses, dans un non-temps fait d'absences, d'attente qu'un autre printemps se lève.
Quand je la tourne d'un quart de tour, un oiseau noir traverse le ciel, puis deux bouleaux sombres, en négatif, annoncent l'hiver dans un paysage d'où tout feuillage a disparu. Seul le ciel garde sa couleur, vert d'eau, ciel identique pour tous, le seul qui nous relie encore.




Sans doute auras-tu quelques difficultés à me suivre dans mes rêvasseries ; elles sont l'exact reflet de mon esprit sans repères.


Prends bien soin de toi. Serre les tous dans tes bras pour moi. Donnez vite de vos nouvelles.



                                                              Anne-Marie

Feuilleton de l'objet (3) On voit la chaise, la forme des barreaux

c) Toutefois,après cette fièvre du décoratif, où l'objet ne tient que le rôle de symbole, on finira par en arriver lentement à lui, au "parti pris ds choses". Enfin. Nous ne sommes pas les seuls à penser qu'on ne les prend pas en compte aisément ou de gaité de coeur. Il suffit à cet égard, de lire Alain Robbe-Grillet.
Après avoir rappelé, en termes vifs et sulfureux, le passé assez misérable du roman (le romanesque), il nous montre les difficultés auxquelles on se heurte, quand on veut le secouer ou le remobiliser : 'Toute l'organisation littéraire en place, -depuis l'éditeur jusqu'au plus modeste lecteur, en passant par le libraire et le critique - ne peut que lutter contre la forme inconnue qui tente de s'imposer? Les esprits les mieux dis^posés envers l'idée d'une transformation nécessaire... restent malgré tout les héritiers d'une tradition".
En quoi consiste ce bouleversement ? Le voici en train de s'esquisser : "Dans le roman initial, les objets et les gestes servaient de support à l'intrigue, disparaissaient complètement pour laisser la place à leur seule signification : la chaise inoccupée n'était plus qu'une absence ou une attente, ...les barreaux de la fenêtre n'étaient que l'impossibilité de sortir. Et voici que maintenant on voit la chaise, la forme des barreaux."

les " " sont des extraits de Pour un nouveau roman de ARB

demain : l'âme et/ou la surface nette ?

dimanche 2 décembre 2012

Dans le dos de Sainte-Barbe





Une façon d'améliorer ses tanka : le tensaku

"
  • Qu'est-ce qu'on pourrait retrancher ? (souvent le verbe ou plusieurs mots s'avèrent inutiles. Les adjectifs en particulier s'avèrent superflus).
  • Peut-on inverser les lignes ou réorganiser les éléments ?
  • Quel est le meilleur endroit pour la césure ?
  • Lesquels des mots pourraient être plus précis ?
  • Comment rendre l'image plus concrète ?
  • Quels mots ou concepts abstraits pourraient être remplacés par une image ?
  • A-t-on pensé à la juxtaposition entre le réel et les sentiments exprimés ? 
"
Revue du tanka francophone N° 17 Octobre 2012
2690 avenue de la gare, Mascouche, Québec CANADA