jeudi 28 mars 2019

Le point d'O



Un bassin
alimenté par une source
d'eau pure.

Jour et nuit
son chuchotis me berce.

Je ne peux l'oublier
seulement écouter
ou rêver
mais loin
longtemps.

Avec l'eau, son chant
la mémoire garde
toujours
les lieux, perdus
ou pas.

Là-bas, au point central de la cour
le point d'eau
celui qui reflète
les nuages,
le grand sapin sombre ;
celui qui chante
matin et soir,
attire l'oeil
de ses reflets
retient le coeur
une vie durant.

Il y a les bêtes
qui viennent y boire
le soir,
Le grand-père qui se lave
le matin,
Et elle qui lave
le linge.
On est seule à vieillir
seule à s'être égarée
loin
du bassin.

Le point d'O
retient tous les regards
l'enfant s'y perd
s'y mire, y voit
la lune et les étoiles
la vue troublée
d'avoir tant fixé
sa surface.

Deux poissons rouges
y tracent des courbes
est-ce vraiment important ?

Pays à jamais perdu
rappelé par tout eau
vive.
Souvenir étrange
ni gai ni triste
nostalgique
d'un lieu dont on croit
qu'il a disparu
à jamais.

La mémoire prouve
qu'il n'est tapi
nulle part,
qu'il n'est ni oublié
ni perdu
mais en lieu sûr
dans un non-lieu
que les mots ravivent
et que les méandres
de la carte ont
ressuscité.

Ici-là-bas, c'est où ?
Aujourd'hui-jadis
c'est quand ?
Au bout, dans les mots
c'est toujours là.

jeudi 21 mars 2019

Cartographie 22/ Antoine Emaz

Un extrait de Nulle part, ici, d'Antoine Emaz est proposé.

Une reproduction d'un tableau de Helicopter Tjungurrayi

"Trou d'eau à Karulyar" est livrée à nos regards. Il reste à 

écrire ensuite, à la manière du poète pour signifier un lieu 

important de notre carte.

un sol
laissé par l’eau basse
mouillé tassé serré
sous le pas

jusqu’au fond de l’air
un long chemin de sable plat

on ne peut pas se perdre
seulement aller
ou revenir
mais loin
longtemps

avec le vent les vagues

les traces s’effacent
vite

désunis ou pas
les pas

/

sans but
dans le ressassement des vagues
la mécanique du corps

et puis le vent
la lumière du matin

une longue courbe d’écume
sous le soleil
tire l’œil

sol stable dans le temps
plage de mémoire
la même

des années de sable



ALGER : début février 2019 juste avant les manifestations suite à l'annonce du 5° mandat de Bouteflika

Suite à ma visite d'Alger, je vous ai proposé quelques photos "touristiques" de Tipasa, du monument de l'Indépendance, du jardin Hamma, mais je n'ai pas eu l'occasion d'échanger avec vous sur mes impressions. J'ai donc écrit ce texte :

"A ma sortie de l'aéroport d'Alger, c'est la douceur de la température qui me touche dès les premières minutes, soleil de mai, mimosas poussiéreux. La navette-taxi qui nous conduits en ville se faufile dans des rues encombrées, dans un trafic intense et un infernal concert de klaxons. Rapidement, au fil des jours s'impose l'incroyable pollution atmosphérique et sonore de cette ville, les plaques d'immatriculation des voitures sont difficilement déchiffrables sous la couche de poussière, les arbres, mimosas, lauriers-roses ont peine à fleurir tant la poussière les recouvre. Les plages sont incroyablement sales, les égouts s'y déversent directement, l'air irrespirable à cause des émanations de pétrole des tankers contigus. Tout semble prétexte à décibels : cris, grincements, percements, appels à la prière, coups de freins, klaxons, roulements métalliques sur le sol, ça grince, ça roule, ça hurle, on s'interpelle. Ce pays -si beau lorsque l'on quitte Alger-, ces gens si accueillants, font contraste avec la sensation d'abandon que je ressens. Le pays semble abandonné, on y voit des grues de toute part mais même les immeubles en construction sont lépreux, tous travaux semblant suspendus, les immeubles les plus anciens, y compris ceux du centre ville -exceptés les ambassades et sièges de grands groupes- sont décrépis, recouverts de linge aux fenêtres, les trottoirs pleins de trous, défoncés et il faut constamment enjamber des poubelles et détritus. J'éprouve une réelle impression depuis une semaine d'un pays à l'arrêt, en état d'hébétude, de délabrement, de stagnation contrastant fortement avec la richesse de son sous-sol, la jeunesse de ses habitants, les merveilles de sa végétation et de son climat.
Où est l'argent ? Où est passée la richesse ? Ne peut-on s'empêcher de penser. La corruption y est si flagrante, le marché noir et l'économie parallèle si visible et évidente, tout ce que je vois, lis ou entends ne fait que renforcer cette impression.
Actuellement, une mosquée qui pourra accueillir 120 000 personnes (l'équivalent d'une ville comme St Etienne) est en construction. Où est la logique entre cette débauche et la mégalomanie d'un pouvoir en place depuis vingt ans déjà et la pauvreté évidente ?
Je fais la connaissance de plusieurs jeunes femmes, voilées de la tête aux pieds de bleu-marine qui ne sont pas autorisées à rencontrer mes amis parce que ce sont des hommes. Des femmes gaies, vives, intelligentes et qui, après dix minutes de conversation, m'attirent discrètement sur le parking, sortent leur I Phone et me disent : « Regarde ». Je vois apparaître sur l'écran une ravissante jeune femme aux cheveux courts, maquillée et vraiment très séduisante. Quand je lui demande si c'est elle, elle me répond : « Tu as vu, c'est une autre femme ».... Le discours officiel tenus par les hommes et les femmes est qu'elles ont choisi elles-mêmes de porter le voile et que les petites filles veulent imiter leur mère. Que signifie donc leur geste par rapport à moi ? Je suis offusquée par tant d'hypocrisie, par ce carcan de traditions mortifères, cet imbroglio de coutumes qui empêchent et empêcheront le pays d'avancer. La corruption, la richesse des uns, la pauvreté des autres, la peur, le silence, les interdits religieux … tout un ensemble fait que ce pays est coincé depuis soixante ans, depuis qu'il a acquis son indépendance. Je suis convaincue que si les femmes ne réagissent pas, ne viennent pas secouer toute cette torpeur, soulever ce voile qui les tient enfermées, invisibles et muettes, rien ne se passera dans ce pays.
Dès mon retour, l'annonce de toutes les manifestations dans les rues d'Alger et de la plupart des villes algériennes contre le 5° mandat annoncé de Bouteflika viendra confirmer mon impression et ouvrir quelque espoir vers un avenir meilleur et j'entendrai avec bonheur l'écrivain Kamel Daoud citer la phrase : « Quand les gens bougent, c’est une émeute, lorsque les femmes les rejoignent, cela devient une révolution. » 

Cartographie # 22 : Antoine Emaz : MUR


Un mur
Où se cogne le vent
S’agrippe le roussi
Des lichens
Précipité de vie originelle
Sous le regard de la main

Jusqu'au bord de l’horizon
A regarder par-dessus
Sur la pointe des yeux.

Se perdre ou s’envoler
Enfoncer son laser dans les trous
D'air,
Entre deux brins d’herbe
Dans le vide entre les branches

Ou ne pas se perdre,
Compter les nuances de verts

A chaque fois la lumière
Toujours là il fait grand beau
Pas le brouillard
Pas la neige en giboulées
En tempête
Pas la pluie à sa saison
Qui tire de grands traits obliques
Sur le dos des vaches
Toujours le grand soleil
Baignant le mur
Baignant unifiés le ciel et la terre


De ce côté du mur
De celui où l’on contemple
Leur tournant le dos
Il y a les morts dans leur dernière demeure
Les fleurs en fleur
Les marbres en marbre
Les fleurs en tissu sales et en plastique fané
Les photos dans leurs médaillons bombés
Les lettres dorées
Les lettres mortes
Les rouilles
Les effacés
Les arrosoirs alignés près du robinet

Au-dessus du mur
Il y a le plein du monde
Qui s’étale jusqu’au bord
Jusqu’au mur du ciel vide

Le mur 
c'est la
Frontière

On aime aussi la vue en dessous

A l’abri du mur menaçant
Au-dessus de la route
Au-dessus de la maison
Ma première demeure
A présent toute décorée
De fleurs en fleur
De soleils en plastique
De pierres en pierre
De moi qui ne suis plus là
Jamais
Seulement surplombant 
du haut du mur
et du poids des années.

On est venus voir les morts
Ils n’ont rien dit depuis longtemps
Bien à l’abri dans leur silence
On est venus parce qu’on vient
Il n’y a rien à dire
Et ils ne disent plus rien
Ils nous rappellent à leur bon souvenir
à leur dernier
Sourire
Geste 
Mot
A jamais de leur dernière 
heure

De ce côté de la vie
Les morts nous laissent avec le mur
Avec les lichens, avec le vent
Avec leur silence
Avec la route et la maison décorée
Avec le noyer

Ils nous laissent décider
De quel côté de la frontière
On choisit encore de regarder.

20-21 mars 2019 avec migraine

jeudi 14 mars 2019

CARTOGRAPHIE 21 - Méditation 2.

     Mes pas sur les sentiers ressassent ces bruits d'encre perdus sous les ciels clair-obscur rabattent le feutre de la boue dans les ornières lâches cristallisées de gouttes de pluie opaline polie.
     Fractale mon ombre fracturée va et vient pose ses rites-sanctuaire et ses pensées porte-fatigue rêve de rivières bienveillantes qui coulent douces lumineuses entre les pierres tièdes. Apparence sans faute d'une littérature renouvelée sans cesse. Mirage sur le bord d'une rumeur sonore qui flotte à la fenêtre d'un paysage aux horizons multiples. Fraîcheur de la force aveugle reconquise sur les tempêtes modifiant les lignes de fuite le mensonge des sillons fourbes sous mes souliers de plomb.
     Plus tard la terre siffle sous les vents chargés en cendre ma bouche pétrifiée happe les particules saigne les latérites eau brûlée par la lumière trop forte.

     Fatigué des vieux matins malade au jeu des corrosions rendu pierreux le chemin s'abandonne au fil des échos superficiels parmi les sédiments ocres et cuivres fissure décantation perpétuelle insomnie des cailloux pleurant leur lit.
     Poussière cherchant les morts à travers les feuilles enchaînées sur le sol. Carrière de rien du tout pierres fines et ponces pour laver la mémoire réveiller mon esprit amnésique avant que la nuit errante n'enfouisse à nouveau le flot des souvenirs perpétue le vague qui s'échappe.
     En lisière de mes mots les sables vifs et solitaires toutes petites significations éternité des bruits de lune vitrifiés mes raisons pour traverser le matin un nouveau matin.

mercredi 13 mars 2019

Méditation à l'infini

au point d’infini, à l’ouest bien sûr, ce point que l’on fixe jusqu’au vacillement et au trouble qui résulte d’un trop long compagnonnage avec la nuit et sa suie, on arrime quelques arabesques de cendres prisonnières de paupières closes et de voix éteintes, qui blessent de leurs traces le débraillé d’un ciel ensanglanté d’une disparition qui n’en finit pas de nous subjuguer.
à l’est, en un flux et reflux fugitifs, tout s’évide et s’efface, dans un crissement d’éboulis et un frémissement de lucioles, tout s’estompe dans la marge que les ombres s’emploient à recouvrir, sans hâte mais avec détermination, et bientôt plus rien ne sera sauvé; les bouts de fils des ourlets cesseront de faire tissu et le coussin de songes retournera en poussière.
au seuil du sud, l’enfance a fait quelques pas, fait saigner quelques genoux aux arêtes d’un monde bien trop grand pour elle, a tenté de survivre entre les ravines de rêve et les grammaires de bleu, les croûtes d’ocre et les vents fruités que les paumes tentaient d’emprisonner un instant, manière de festonner la doublure d’un corps dont elle ne savait rien.
à petits pas le nord, le cap à conserver, où glisse le matin sur les trottoirs de neige, où ne cesse le souffle, précieux et proche du sacré, que l’on ne peut s’empêcher de chercher et chercher encore, une bougie à la main et le regard perdu, dans une lutte invisible avec les mots qui fascinent pour se perdre au point d’infini.

Rappel: les textes  avec le libellé Cartographie 21/ méditation sont  écrits avec et entre les mots de Michèle Dujardin ( voir son blog abadôn). 


dimanche 10 mars 2019

Cartographie 21 — Méditation 4

La mémoire entaille sa partie dérivée du réelle,  l’opère puis se déleste de ses copeaux, flottés dans le jeu, les morceaux  dérivent vers des contraintes imprécises couturés d’arcs : mutilations distraites aléas du courant inverse, la matrice vireuse du dedans n’est plus qu’une échappée une fois dehors et l’on se sent soi-même maudit, au milieu des décombres incessants du cri, psalmodie répétitive aux limites du défait : l’immobilité reconduite aborde les courbes fermées d’avance comme une errance réveuse : des échardes flambées, obliques, alourdissent la vigueur des sols noirs, des mousses dans les replis des masques éructent des nombres dans le hors-champ démembrés des épaules déçues de n’être que des branches : le goût composite de berge et de boue des données incises qui fluent  vers le ponant perdent leur résonance, l’axe des imaginaires constellés de tessons prend un visage éphémère de fortuit malmené par les oscillations des rinceaux multipliés de fatigue.

cartographie # 21méditation 2 Pousse-pousse

La carte comme un jeu de pousse-pouce d'un seul tenant.
chaque morceau à l'affût 
monologue avec l'horizon 
étreinte des débris, pierre après pierre, 
bruit à rebours des anecdotes, collision de bouches, hypothèses extravagantes, fractionnaires, scrutation métallique des tombes sans noms, écroulements saisonniers des certitudes, frottements monotones des linges relégués dans leur confinement miteux
les yeux exaucent ce que les doigts ne peuvent
silence actif dans les branches où circulent les fluides parfaits
après le gel profond de l'arbre du temps élagué, ruiné, froid, sans promesse de retour, carcasses au creux de la poitrine, l'absence est en ordre.
Le trou du pousse-pousse, une non-localité, le brassage et les récidives, chaque absent reconfigure l'ensemble, compact, aride, indécidable, la nuit de biais, aiguë, offensive
Le contraire d'un labeur de pair avec l'oubli.

vendredi 8 mars 2019

Cartographie 21 — Méditation 3

Déployé en sous-œuvre au goût de caduc précaire, du mouvement de naître dans les laisses spiralées des choses, des graffitis sacrés incessants et dubitatifs réduits en débris meurtris par les philtres et les friches dures brillantes comme un métal étrange, surgit le cri étroit et dissonant d’une oiselle de feu aux plumes rougeoyantes marquant le point radiant à la limite d’une plaine où souffle un vent sans patrie, convoquant le passé, ses hasards insensés, lorsque s’allongent certains bruits nous auront alors soif de néant et rien d’autre, ces mues à vif, sous une lampe ou sous le vent du désert, nous pèserons les vingt six lettres, penchés sur les paliers délabrés de leur prisme, nous observerons le glissement chromatique du fond ensommeillé du monde vers un froid ancien craintif devant la mer, envisageant une migration nouvelle, elle s’envolera l’oiselle éblouissante, éclair entre deux nuages, vers les trois soleils d’une parhélie souveraine, disparaissant à nos yeux aveuglés de lumière : mais le frôlement de ses ailes incandescentes claquera comme un mot nouveau dans le calme désœuvrement vital d’un petit matin introverti.

jeudi 7 mars 2019

cartographie # 21 : méditation des pierres à migraines

Apprentissage des zones du cerveau dans l'humus et la vase, un travail de râpe, une vision dans l'espace, une stimulation blonde grouillante de miel noir, la cartographie des peurs, les moraines de fond qui retranchent toutes choses, les brassages de vent, de sciure fraîche, le blanc des voix et les bouchons des mots, une gifle d'apparence physique dans l'hiver stable des notations flottantes, la migraine ardoise, la migraine tourbe, la migraine loess, au sein du blanc qui dure, du balancement des marées de mensonges et de silence, le visage qui me fixe de son regard mort, les cailloux dénudés qui rebondissent sur le cuir de roche derrière mon front, la ligne minée avec panache sur le fil d'usure de ma nuque
les caillots égouttés des souvenirs essorés, le flou de la lecture dans l'aile de cendre et les reliquats de feux, les chenaux en rebonds des clous derrières les yeux.
la migraine est d'axe, l'hiver des pensées ouvre une orbitale vacante, l'hiver des synapses, le sang courbe du fleuve sur les neiges oblongues, un lent démembrement des bribes de chair, caillots de corrosion et de fatigue.
La main d'une morte ramasse l'eau des retrouvailles.
Écartèlement de brique, reconquête du grand frais, derrière le petit mur, un barrement de foudre d'écoeurante mollesse, les arbres de réseaux, si tu avais su / la rature, le théorème d'existence démontré, la fonte oblique au creux des boires, le chemin de désuétude.

Méditation avec sans

Sans bruit, dans un sous-bois, à la surface des mousses, lourdes des rêveries inutiles qui entaillent les mémoires, l’errance, forme d’une psalmodie, à défaut de prière, remue les tessons d’échardes dans les chairs, qu’un ciel d’hiver avive. Avec trois mots serrés dans la paume, les pierres nichées au coin des lèvres, se délestent de leur résonance et tombent à l’écart des corps.
Sans contrainte, dans les replis des décombres, on remue ce qui, dans les vies vitreuses du dedans, détrempe d’une graphie humide et au goût de terre, les souvenirs constellés de vertiges, où l’on retrouve sur les visages, les stigmates de l’imaginaire. Avec des inclusions, copeaux flottés d’une échappée chétive, que le regard à l’affût glisse et ordonne attendant le retour des voix.
Sans face à face, dans l’éphémère et le fortuit des oscillations de la marche, s’opèrent, par de très légers petits chaos, les mutilations aléatoires et nécessaires naviguant sur le hors-champ de la montée des eaux, démembrées de leurs puissances incessantes. Avec avidité et vigueur, le vent remue jusqu’aux confins de l’intouché, au dedans au dehors, et emporte au plus sombre du souffle.
Sans fin, dans le flou des imaginaires, migrent les pailles, trésors, osselets, masques d’un monde malmené par les courants de boue que les berges ne parviennent plus à contenir, vibrent les cris ou les prières qui hantent encore quelques nuits couturées aux angles. Avec patience, on trie les traces qui s’amenuisent, fuyant vers les limites que les échos ne peuvent plus renvoyer.


mercredi 6 mars 2019

Parenthèse

sur France Culture aujourd'hui, un musicien syrien disait que l'instrument (qui faisait partie de lui) n'était pas la musique et je pensais en même temps que les mots ne sont pas la poésie. à ce moment là il a dit le crayon n'est pas le poème,  il avait plus raison que moi dans la comparaison. ce n'était pas tout à fait la même chose. mais de même que les notes de musique ne sont pas la musique, les mots ne sont pas la poésie. Il faut le musicien pour faire la musique ou l'interpréter, et il faut le poète pour faire la poésie. Mais quand même ! ça aide drôlement !

mardi 5 mars 2019

Cartographie 21 — Méditation 2

Dans le tissu enchevêtré du monde, dans sa chaleur clouée de cendre close, dans son vrombissement d’insecte ivre de bleu touffu, le doux mica infime brûlé des pierres est le point d’axe où le déportement vacillant des lignes enferme un univers de formes recluses, figures d’Apollyon les insectes aux formes de coquilles sourdes grincent de leurs élytres de fer, bêtes imperceptibles proférant des souhaits incrédules, leurs mains de poussière et de sueur battent leurs flancs de généalogies plantureuses, les cylindres de bois de leurs armes de pierre tournent des prières aphrodisiaques insensées, poussées par la force brûlante d’un khamsin changeant, des lettres d’or s’envolent, déconstruisant les phrases d’une théologie secrète dont le dit glisse insensiblement de l’hermétique à l’abscons, de l’ésotérique à l’abstrus, les restes brisés pendent au dessus du vide, au bord des lèvres, ils chutent dans l’entonnoir noir-luisant de l’incompréhension, plus loin, plus bas, ils jonchent un chemin balisé de ronces rases, limaille crissant sous le pas incertain d’un troupeau  en marche d’êtres aveugles et sourds et qui dort.

Méditation errante # 21

     La forêt lourde de sens. J'erre entre les fûts à l'écho suffocant. En moi leur inapparence brodée de pigments roux léchés à la brosse courbe les cheveux si fins dénoués au vent pour laisser un travail quasi invisible à l'œil nu. Les troncs revêches ploient sous le faix d'une lumière qui s'écaille. Ma joue de plume contre leur trait croit en leur âme en sommeil cheminement scrupuleux vers la vie.
     Au jeu des couleurs les gris-bleus transfèrent en taches brunes et vertes mon œil se veut atteint de cécité parfois et accepte l'idée des fissures des cassures dans les tonalités opaques qui se moquent des dégradés et affrontent le temps en buvant le lait des jours et des nuits et se nourrissent au sein de la lune.
     Quand le vent courbe les têtes et essaime les graminées il me plaît de porter haut le regard contempler leur océan jusqu'à l'usure jusqu'à ce que les ombres embrassent le rouge de leur horizon calme l'incendie de leur orage et m'habitue à la solitude du soir invisible mais tellement présente dans les spirales de mon carnet intérieur là où tombent les mots tout étonnés de dire.
     Un cerf brame parole éphémère monotone dans la nuit essoufflée. Sur les bords inexplicites de son cri j'entre à tâtons j'erre au-milieu de l'épure qui monte à travers les grands arbres. Ma langue sèche apprivoise ma bouche. Une éclaircie dans mon crépuscule Non  Je me libère Un râle doux et primitif sort de ma gorge en feu.

lundi 4 mars 2019

Cartographie 21 — Méditation 1

Je sens la terre froide sous le brûlant du soleil, l’eau, courant sans fil, innerve pauvrement la face cachée de la neige, ruisselle sous la glace, humidifie imperceptiblement l’angle d’attaque, défiant le paysage des joints moussus, inélégant oxymore du mépris, l’éclat résout la rencontre avec la lumière ; sol mouillé : par magie : comme sortilège, l’eau se répand puis s’efface, à la fois séchée et bue, osmose atmosphérique s’envole et disparait, subreptice succion s’infiltre sous le feu d’argile des pavés de béton flammé rouges-rosés ; une part dans l’air revient au matin, haleine blanche de la nuit, souffle glacé, mortel, revivification du souffle comme un automne encastré entre deux eaux, entre deux gels, simple silence quadrillé de glace, ombre cassée du songe, bris du rythme vide de  son rêve, réplique que l’on cache :   pauvre silence, silence, silence.

méditation floue

Dans le battement d’une attente, sous le vent ou la lampe, se trame ce goût de caduc à errer dans les marges avides d’un jadis qui s’extrait des friches, des doutes incessants de l’encre et de ses ratures , d’un passé convoqué aux hasards de courants, des petits à coups sur les flancs de la feuille. À ras de souffle, les ombres s’allongent dans la contemplation de leur silence et soulèvent des averses de riens sacrés, grain à grain desquamés, dans l’égarement, jusqu’au blanc. Des visages, entre matière et forme, souillés des débris du néant naissent à nouveau dans le flou, délabrés mais rendus à eux-mêmes. Oui, faire naître à nouveau par frottements de ces houles, faire revenir des revenants, dévoiler les frôlements d’ailes d’une langue à petites lèvres, faire flou en un hors d’encre, déborder de l’informe, du précaire, du brouillon de l’œil puis faire la mise au point face au vide qui arrive comme l’éclair, à la limite du cri, source secrète d’une joie dissonante.

dimanche 3 mars 2019

Danse d'insecte


Il glane à l'horizon de la nuit

butinant la mort fraîche

ce miel torchis d'ocre

suaire d'ombres perplexes.

Inoffensif dans sa nuit

Si frêle luciole

Si troublante, si jubilatoire

il a hâte d'arriver

ou de finir

on ne sait quoi.


                                            
La nuit dure

dans les arbres et le vent

il vole,

il est à ses mystères

il est un mur de roses

soutenant la nuit et ses mystères.

Inoffensif dans sa nuit

il va.





Tout est beau dans une langue à naître.

Le rouge rond des soleils tombés

l'étonne toujours

et le berce.

Son étonnement

juste clos sur un nom :

« Luciole »,

il vole sur des couleurs rêvées,

sur de simples paroles

Si petit, si troublant, si frêle.





Son étonnement est plein de forces

malgré les coutures des ans,

malgré les multiples brûlures,

Si être, c'est courir dans la combe, il est , il va,

dans le jeune blé,

d'errements en chutes,

il se relève longtemps, toujours

Sans hâte

si petit, si troublant.





Laconique,

merveilleusement debout,

lourd de moissons secrètes éternisées

il attend une main

nue, très blanche

qui chasserait tous ces visages

de sa mémoire immémoriale,

les disperserait

à la surface de l'eau.




Si être c'est « roucouler »

jusqu'à midi

dans le suaire cassant

d'une chaleur inouïe

devant laquelle les bleus s'écartent

et les vocables se ruinent,

bras ouvert

il est,

élément d'un futur

sans fin monnayant son oracle

telle une bête intraitable.



Un pourquoi s'élève
de sa voix dans les arbres,
si troublante
si petite.
Dans ma paume,
la table est dressée
si troublante se fait la nuit.






Apnées

Ce soir-là, je m'allonge, montagne d'épuisement ; tout le jour je n'ai pu reprendre haleine ; je me suis noyée, démantelée, rauque, appelée du profond, dans une mer asséchée d'où je ne remontais que des coquilles dont on n'ouvre pas le secret. Je veux dormir, oublier les gerçures, les balafres, la lente calcination des heures.
Etendue dans des draps durs cousus de torpeur, j'esquive le regard du gouffre, mon corps glissant appelle la paix du sommeil profond. Une apnée écrite dans la détresse du jour fait bégayer la lumière par lourdes coulées, j'étouffe ; de ce moment brûlé sourd un vide aveuglant, engluée dans une chaleur de lavande, le dehors me traverse, incandescent. Je vois mes déserts, mes désirs, mes soifs, toutes mes peurs.
Dans un miroitement, j'inspire autour d'un mot qui fuit, je reprends haleine, des ombres mangent dans ma main, une croûte grise se détache de ma tête qui cogne. Appelée du profond, la réserve de souffle fait s'évaser des possibilités, des trames se déchirent, la lumière entaille les ombres, lente calcination. Mon front s'oublie sur une épaule inépuisable. Je reprends pieds par bégaiement d'intervalles, je repousse l'horizon, le ravin se transforme en lac miroitant d'élytres …

… Quand une seconde encre charbonneuse me culbute le long des plinthes de la terre, des langues de schistes durcissent, la mer s'assèche, des ombres où nulle lumière n'entaille m'aspirent vers l'étouffement.
De lointains au-dedans, fins feuillets brisés, surgit une immense inspiration ; le ciel proche m'envahit, l'eau bouge en courses fluides entre de grands golfes contradictoires, les ombres mangent dans ma main, âmes flottées, espoir réapparu.
Etrangère et participante, je crache d'entre mes lèvres un paysage de sel, me désaltère du gras des joubarbes. Un trouble m'envahit d'une voix éteinte, immobile ; une obscure paix installe sa lente palpitation dans mes poumons apaisés.