Lettre de la 7° année
Chères hirondelles
"... Votre vol est une prédiction contre ceux qui croient que la vie c'est l'ambition, c'est arriver à toujours plus, avoir toujours plus.
La vie, selon vos sages emblèmes, c'est la distance entre un dessin de la fillette dans un cahier et un autre dessin très semblable à celui-ci fait par une autre vingt ans plus tard et c'est aussi, comme il ressort de ce que vous dîtes dans votre fontaine de cartes postales, se souvenir d'un pull de telle couleur et le retrouver, longtemps après, sur un autre corps jeune.
... Vous êtes un battement de paupières, comme si, en bougeant les cils, vos ailes faisaient battre les cils du ciel. Quelque chose vous a soudain fait trembler, brisant la paix de vos pensées.
Parfois vous vous obstinez à chercher quelque chose, la voisine d'avant peut-être, la jeune fille au parfum d'éventail.
... Vous êtes comme tous les rubans qui volent et vous mettez une cravate de fantaisie à la soirée entière.
... Comme en même temps qu'innocentes et joyeuses vous êtes maternelles, je vous ai admirées quand, produits de ces vols où vous divaguez et sautez à la corde, avant d'entrer au nid, vous apparaissez sous l'auvent, une libellule au bec, comme si, outre la nourriture, vous apportiez à vos petits un jouet.
... Elles ont, pour s'en aller, une heure précise de la soirée, moment plein de mystère, car si l'on cesse de les observer un quart de seconde, quand le regard revient, elles ne sont plus là. Elles se sont glissées dans nos enveloppes comme un tour de passe-passe, et dans les lettres que nous écrivons ce soir il y aura des hirondelles dissimulées.
Vous voyez bien que je vous connais et que toute ma sympathie, mes espérances et mon affection vous sont acquises."
Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)