samedi 29 août 2009

lichen, encore



Quel que soit le choc, la situation initiale du poème reste la même: une brusque et violente souffrance d'un déficit de langue face à ce qui arrive, aussi bien un deuil qu'un ciel parfaitement bleu, aussi bien le goût d'une passe-crassane que la vue d'un clochard couché dans un coin en pleine nuit d'hiver. L'origine du choc est parfois même non-identifiable en mémoire ou parmi l'afflux d'images et de tensions vécues au quotidien. Mais il y a eu choc, émotion, c'est à dire brusque mutisme, la langue comme d'un coup se retirant et ne laissant dans l'espace mental qu'un mouvement de peur, d'étonnement, de désarroi."La poésie n'est qu'un certain étonnement devant le monde et les moyens de cet étonnement" (du Bouchet). On écrit pour ne pas rester muet, pour reprendre prise un peu, autant que possible, sur soi et sur ce qui est.

Antoine Emaz "lichen, encore" (Editions Rehauts)

dimanche 23 août 2009

Entre La Pacaudière et Melay

Une vache récamier, qui aurait pris pour bergère ou sofa toute la pente du pré.

Gilles Ortlieb. Sous le crible (carnets)


Dieu, inasse,Nasse



Vacance prolongée le temps de quelques dizaines de kilomètres : aller à La Pacaudière et en revenir. S'être imaginé pendant des années, qu'il y avait -là un village exceptionnel, qu'on ne faisait que traverser et qui méritait qu'on s'y arrêtât. Et c'était vrai. Pas pour les raisons qui l'ont fait sous-titrer "le Petit Louvre", mais parce que ce jour-là la lumière dorée fait du zèle, et parce que des détails entre ce qui est encadré, mis en valeur justifient à eux seuls de s'être dérangés : un escalier et une rampe pour handicapés qui ne mènent nulle part, une minuscule drapeau peint et entouré d'un grand halo sur une immense façade, une ruelle moisie ; et enfin parce qu'on est allé au bout de la corde qui nous attachait au piquet, et que c'était vers le Nord, comme une dernière tentative d'évasion avant de reprendre demain la bricole qui nous attachera quelques saisons encore.

jeudi 20 août 2009

Fragments d'un corps incertain






"Nulla dies sine linea
On connaît cette fable
Le temps lui a rogné les ailes
Fable pour fable
plutôt choisir l'enchantement
plutôt vivre de l'impossible:
Nulla dies
quin amorem inveniat

Aucun jour
qui n'invente l'amour

Jean-Marie Barnaud "Fragments d'un corps incertain" (Cheyne 2009)
Lectures sous l'arbre


mercredi 19 août 2009

Grèves


" La grève émergée, hersée en tous sens par les courants et les remous pendant l'hiver, est comme un graphique étalé au plein jour du jeu complexe et puissant des muscles du grand fleuve : lés de vase fine, craquelés au grand soleil comme les limons du Nil, crêtes rudes et écailleuses de gros graviers et de cailloutis, qui se sont tordues avec un mouvement de mèche de fouet dans le fil le plus violent du courant - sable fin des versants abrités, doux comme celui d'une dune.
Julien Gracq Lettrines 1

mardi 18 août 2009

Lectures sous l'arbre




il y a l'arbre
il y a la cour et la maison
il y a le soleil (enfin pas toujours, mais cette année c'est sûr il sera là...)
il y a l'air qui circule entre les mots
lus, donnés, reçus, emportés, échangés, relus
il y a l'émotion
ou les rires
les rencontres
les livres qu'on s'approprie
pour les jours
sans soleil
sans air

il y a la musique
il y a les peintures
il y a beaucoup d'attentions offertes
dans les Lectures sous l'arbre

lundi 17 août 2009

Précipice

"J'allais m'asseoir à la table du petit déjeuner déjà mise avec soin, et m'abîmai dans la contemplation du brouillard au-dehors. Du brouillard je revenais à la table, puis repartais dans le brouillard. Sur ma table, l'argenterie luisait rêveusement de la lumière épuisée des étoiles au matin. La dentelle par-dessus était jaune, presque comme le brouillard, mais d'un jaune bien plus tranché. -Presque aussi tranchant que l'est ma femme, - pensais-je tout haut, et avec une telle vigueur, qu'une folle envie de rire m'envahit. Mais les fleurs qui somnolaient sur ma table ne l'auraient pas bien pris du tout."

Milan Füst

Eloge de la vitesse




"Où l'oeil jamais de l'homme n'apaisera sa faim"
(G. Manset. La mort d'Orion)
Traversée du Causse Méjean, 14 août.
Traversée du Causse de Sauveterre, 15 août

Parfois, une photo, prise de la fenêtre de la voiture, le proche est flou, le lointain immuable, la tête se repose dans l'infini silence, et l'oeil se remplit d'or.

dimanche 16 août 2009

Journal d'un lecteur



La lecture est une conversation. Des fous se lancent dans des dialogues imaginaires dont ils entendent l'écho quelque part dans leur tête; les lecteurs se lancent dans un dialogue similaire, provoqué par les mots sur une page. Si, le plus souvent, la réaction du lecteur n'est pas consignée, il arrive aussi qu'un lecteur éprouve le besoin de prendre un crayon et de répondre dans les marges d'un texte. Ce commentaire, cette glose, cette ombre qui accompagne parfois nos livres préférés transpose le texte en un autre temps et une autre expérience; il prête de la réalité à l'illusion qu'un livre nous parle et nous incite ( nous, les lecteurs) à exister.

Alberto Manguel "Journal d'un lecteur" (Actes Sud)

lundi 10 août 2009

La fable des ombres



comment les mots les plus simples
dévoilent soudain la lumière

le saurons-nous jamais
nous n'apprenons à vivre

qu'avec le murmure et l'éclat
des pluies sur les toits à lucarnes

ou le frisson du vent dans l'ombre
comme une source ou comme un baume

et quelle voix surprise à l'aube
nous invite à nous recueillir
dans l'attente des lointains
ouverts sur l'infini des deuils

Jean-Claude Pirotte "Passage des ombres" (La Table Ronde)

vendredi 7 août 2009

Rimbaud le fils



Qu'est-ce qui relance sans fin la littérature? Qu'est-ce qui fait écrire les hommes? Les autres hommes, leur mère, les étoiles, ou les vieilles choses énormes, Dieu, la langue? Les puissances le savent. Les puissances de l'air sont ce peu de vent à travers les feuillages. La nuit tourne. La lune se lève, il n'y a personne contre cette meule. Rimbaud dans le grenier parmi des feuillets s'est tourné contre le mur et dort comme un plomb.

Pierre Michon "Rimbaud le fils"

jeudi 6 août 2009

détours et passe passe




Je ne suis pas sûre que nous ayons choisi le bon titre pour ce qui est d'apparaître en premier sur la page G. On peut bien sûr se mettre dans les favoris et le tour est joué. Pour ma part, étant hébergée sur un ordinateur étranger, je passe par Jardin d'ombres, m'extasie chaque fois, glisse chez Chevillard, m'extasie chaque jour, puis me finis chez "à la brise de...". Là, épuisée par tant de beauté en ces contrées épatantes, je m'étale, telle la mer sur l'estran. Je retourne à la "Physique de l'amour" de Rémy de Gourmont (1903) : un pur ravissement.

mercredi 5 août 2009

Lagrasse : le retour



Je suis donc allée à Lagrasse, mais comme on était le 4 et pas le 6, il n'y avait pas Pierre Michon. En revanche j'ai rencontré un Stéphanois de ma connaissance, panier de légumes du jardin au bras*, qui en était à sa deuxième année de "Banquet littéraire" et prévoyait d'aller le voir demain. St Etienne étant représenté l'honneur est sauf, j'ai pu passer une nuit de presque pleine lune tranquille.*Panier de légumes du jardin, c'est plus sage car la visite de l'abbaye en construction (!) laissa entrevoir les coulisses du menu : une pauvre pécheresse du coin, condamnée en plein après midi culturel (voir photo**) à ouvrir des boîtes de conserve géantes de haricots verts ou pire, de macédoine de légumes ; ça faisait redouter la turista.** la photo montre ici la conférence à 3 euros***, derrière la grille, le conférencier est lumineux contre sa tenture pourpre ; il conférencie sur la politique et la révolution et comment se déprendre du pouvoir, mais entre les carreaux du grillage on entend mal.*** en revanche de la revanche, la visite de l'abbaye est gratuite, il faut dire ET je ne m'en lasse pas, que l'abbaye est en travaux en plus de "l'événement festif culturel" et ce ne sont là qu'échafaudages et chaises en plastique permettant de prendre des notes de comment refaire le monde.
En fait je crâne, mais Lagrasse n'usurpe pas son titre de "l'un des plus beaux villages de France" ; vraiment ravissant, nichélovéblotti dans son nécrin de verdure. Quant à l'abbaye, la vraie, elle est juste à côté, et la silhouette claire des moines à capuchons nous ramène à un peu plus de sérieux, que diable, mais il était trop tard pour visiter.

mardi 4 août 2009

Pierre Michon a la grâce



Pierre Michon lit les Onze le 6 août à l'Abbaye de Lagrasse, de laquelle je ne suis éloignée que d'une cinquantaine de kilomètres. (Il doit pouvoir bientôt réciter son livre, à force...)
Chevillard parle de Savitzkaya dans son blog aujourd'hui. Moi je parle de Michon, Chevillard et Savitzkaya. Michon boit-il du vin de Pech Redon élevé à la Clape ? Savitzkaya sait-il que nous sommes au moins 8 ou 9 exquises personnes ? N'était-ce pas Chevillard que j'ai aperçu sur la plage hier soir avec Agathe qui lui écrasait son château de sable ?