mercredi 23 novembre 2016

Croire encore en la vie et en l'âme



La campagne autour du village

Après le couperet de samedi « Madeleine en soins palliatifs », Trump à la Maison Blanche, Alep à feu et à sang, la Syrie exsangue, le contexte mondial mortifère dans lequel nous baignons chaque jour ..., j'étais à deux doigts de me laisser sombrer dans la morosité générale et j'ai bien failli décliner l'invitation de mon amie Myriam au Festin des Arts & Les portes de l'imaginaire qui se déroulait le lendemain dans son village de St Didier sur Rochefort. Et puis, par amitié et respect pour elle et son travail, je me suis résignée. Partie, le moral en vrille, j'en suis revenue l'espoir retrouvé. Oui, la vie est là, palpitante, comme l'âme en chacun d'entre nous, cette partie si essentielle dont aujourd'hui on n'ose à peine prononcer le nom.
Depuis plus d'un an, Myriam avait un projet : réunir les différents créateurs éparpillés et travaillant seuls dans leur coin, les faire se rencontrer et travailler avec la Communauté Thérapeutique des Portes de l'imaginaire (Association Rimbaud) qui est un lieu d'accueil résidentiel ouvert à tous ceux et celles souhaitant s'engager dans une démarche de soin de leur addiction, lieu de reconstruction basé sur la vie communautaire. Par son énergie débordante, sa foi en la vie, Myriam est parvenue à fédérer toutes ces bonnes volontés, à les faire se rencontrer, discuter, élaborer ensemble un projet qui, après des mois et des mois de travail a abouti à cette merveilleuse réussite : des expositions dans onze lieux différents de ce petit village (le salon du coiffeur, l'ancien bar, le jeu de boules, la Maison d'accueil rurale, la mairie, l'épicerie, l'église …). 






Tous les habitants étaient concernés, chacun y est allé de sa contribution. Mais ce n'est pas tout : une oeuvre collective a vu le jour, résultat de toutes les discussions, des idées de chacun, réalisée au fil des mois par toutes les mains présentes. Ce dimanche : dévoilement de l'oeuvre, repas festif, fête au village. Nous étions tous réunis dans la Salle des fêtes, les bénévoles avaient préparé les repas (plus de 100 repas ont été servis), de grandes tables ont été dressées. J'ai choisi de m'asseoir parmi les personnes de la communauté thérapeutique, les discussions se sont engagées, les jeunes enfants riaient, lisaient, jouaient. Ils m'ont conté les souffrances des premières semaines, les joies de vivre ici, ce qu'ils avaient perdu et les espoirs devant eux, la nouvelle vie qu'ils projetaient. Il régnait en cette salle une telle chaleur humaine, une telle fraternité, tant d'ardeur et de joie, tant d'espoir que l'âme de chacun -vous savez cette petite chose si essentielle, si première et si dernière puisqu'elle nous accompagne depuis toujours et pour toujours, cette flamme de vie – était visible. Et quand l'âme est perceptible, le coeur se gonfle de joie, à moins que ce ne soit le contraire, en tout cas, les hommes et les femmes peuvent alors faire des miracles. Quand le repas fut terminé, en un éclair les tables furent pliées, les spots éclairés et l'oeuvre collective dévoilée.




 C'est alors que les notes d'un piano s'élevèrent et qu'une danseuse apparut, légère, serpentine, ondulante … sous les yeux émerveillés d'une assemblée encore plus nombreuse. Myriam fit un beau discours où elle conta qu'au Japon, lorsqu'un bol est cassé on le répare et c'est la face réparée que l'on présente à l'invité pour le thé, qu'en Afrique aussi on répare les calebasses et c'est ainsi que l'oeuvre collective a été réalisé. Puis nous avons admiré la brodeuse - spécialisée en broderie-or - œuvrer, les tisserandes de matière noble, les peintres, sculpteurs, graveurs, mosaïste.






Je ne vous dis pas que tout était des chefs-d'œuvre mais tous les cœurs étaient là, avaient donné de leur temps, s'était investis corps et âme. Et quand on sait ce qu'il faut d'énergie pour rassembler tant de gens et de talents et les faire travailler ensemble, on se dit que là, a eu lieu un petit miracle, avec un chef d'orchestre hors pair.
J'ai repris la route, le cœur gonflé à bloc, pleine d'espoir et de courage pour affronter la nouvelle semaine, tenir la main de Madeleine avec confiance et force et certaine de pouvoir l'aider.
Alors, lorsque j'aurai peur de paraître ridicule en parlant de mon âme, je ne l'étoufferai pas. Je la laisserai s'épanouir, j'oserai le dépassement, le désir, j'oserai croire en la puissance de nos désirs réunis. En ces temps troublés, je sais qu'il faut oser rêver, œuvrer, avec cette foi en la vie.

PS : Pour ceux qui auraient encore un doute sur l'existence de l'âme, je tiens à préciser que Myriam, entre autres qualités, est non-voyante.



ça remarche avec chrome mais pas avec mozilla

samedi 12 novembre 2016

Sur le seuil, provisoire

Nous irons à Mossoul
Nous irons à New York
Nous irons au Bataclan
Nous irons dans ce petit village de la Dordogne où l'on plume les oies vivantes pour en faire des doudounes de luxe, où la police des champignons patrouille et vous confisque votre panier si vous n'êtes pas dans ses petits papiers.
Nous irons à Alep, chercher du savon de Marseille, nous n'irons pas à Calais, 
Circulez !
Nous irons en Suisse, bien sûr, pays de la liberté neutre et propre, où les bottes bien cirées ne demandent qu'à marcher
Nous serons là, sur le pas de la porte, à humer le vent, à déduire son orientation, à admirer la lumière de Novembre sur le bouleau doré et plein d'oiseaux qui regardent le monde de plus haut.
Nous mettrons un pied sur la première marche de l'escalier qui se dérobe, travaillé dans ses minces fondations par les racines des arbres qui se sont plantés là, tous seuls, comme des arbres émigrés.
En fait nous resterons là sur le seuil, la valise au bout du bras qui s'allonge sous son propre poids de valise, jusqu'à la laisser reposer sur le palier. Les mains pendantes
Au seuil de quitter cette maison, nous aurons une pensée pour ceux qui sont venus de loin, l'ont habitée avant nous, l'ont construite, même. Nous aurons une pensée pour ces gens, venus du Sud ou de l'Est de l'Europe, ces crève-la-faim chercheurs d'eldorado preto, transformés en taupes le temps d'attraper la silicose, ressortis à l'air libre quand leurs poumons ne pouvaient plus l'aspirer. Nous aurons une pensée pour ces esclaves importés par la Compagnie de la Méditerranée qui pensaient retrouver la mer et se sont retrouvés sous terre.
Nous resterons sur le seuil à écouter les doubles discours apportés par le vent dans le criaillement des étourneaux
Nous penserons qu'un jour la Terre n'était/ne sera/ n'est - qu'un seul pays. "On tourne en rond, y a rien à faire, c'est la malédiction du système solaire" chantais-je, il y a longtemps. 
Nous consulterons le Dictionnaire des migrations, fascinées par les flèches rouges, vertes, bleues, aux mouvements puissants et incurvés.
Des flèches pour les peuples errants, des flèches du Sud vers le Nord, de l’Est vers l'Ouest, mais toujours à la lisière du méridien de ceinture, au-delà duquel il fait froid, il fait nuit, il fait océan.
Nous étions prêtes à partir, à quitter, à décamper, à fuir,
Parce que le chef ne nous convenait pas, parce que les petits cons sous nos fenêtres nous pourrissaient la vie, parce qu'il y avait décidément trop de vent à présent, pas assez de neige, passablement de moustiques et énormément de pyrale du buis. Nous étions prêtes à déménager parce que les loyers étaient devenus exorbitants, le voisinage trop 4/4 ou pas assez.
Dans la valise nous avions mis quelques doudous, des bonnets de rechange et des paires de lunettes aussi. Des crayons et des cahiers, de l'aspirine et du pain dur.
La valise est légère, elle est vieille et rafistolée, elle a beaucoup servi. Voyages d'agréments, « escapades », tourisme professionnel. Une valise dorée qui a connu les soutes, les compartiments non fumeurs, les plate formes d'où l'on peut passer ses appels téléphoniques, et le garage du dessus de l'armoire.
Nous irons à Mossoul voir les djihadistes entraîner dans leur « martyr » des martyrs non volontaires, et les libérateurs de rue faire des omelettes avec des œufs humains.
Nous irons à New York défiler avec les Américains -qui n'ont pas voté…
Nous irons à Lampedusa, à Lisboa, à Lesbos
Nous irons à Saint-Pétersbourg, à Libreville, à Istanbul, à Reykjavik, à Papeete. Et si nous allions « là-bas » ?


Nous resterons sur le seuil, ma petite fille et moi, à humer encore le vent et puis nous resterons là, car il n'y a nulle part où aller.

Sur le seuil, provisoire

Nous irons à Mossoul
Nous irons à New York
Nous irons au Bataclan
Nous irons dans ce petit village de la Dordogne où l'on plume les oies vivantes pour en faire des doudounes de luxe, où la police des champignons patrouille et vous confisque votre panier si vous n'êtes pas dans ses petits papiers.
Nous irons à Alep, chercher du savon de Marseille, nous n'irons pas à Calais, 
Circulez !
Nous irons en Suisse, bien sûr, pays de la liberté neutre et propre, où les bottes bien cirées ne demandent qu'à marcher
Nous serons là, sur le pas de la porte, à humer le vent, à déduire son orientation, à admirer la lumière de Novembre sur le bouleau doré et plein d'oiseaux qui regardent le monde de plus haut.
Nous mettrons un pied sur la première marche de l'escalier qui se dérobe, travaillé dans ses minces fondations par les racines des arbres qui se sont plantés là, tous seuls, comme des arbres émigrés.
En fait nous resterons là sur le seuil, la valise au bout du bras qui s'allonge sous son propre poids de valise, jusqu'à la laisser reposer sur le palier. Les mains pendantes
Au seuil de quitter cette maison, nous aurons une pensée pour ceux qui sont venus de loin, l'ont habitée avant nous, l'ont construite, même. Nous aurons une pensée pour ces gens, venus du Sud ou de l'Est de l'Europe, ces crève-la-faim chercheurs d'eldorado preto, transformés en taupes le temps d'attraper la silicose, ressortis à l'air libre quand leurs poumons ne pouvaient plus l'aspirer. Nous aurons une pensée pour ces esclaves importés par la Compagnie de la Méditerranée qui pensaient retrouver la mer et se sont retrouvés sous terre.
Nous resterons sur le seuil à écouter les doubles discours apportés par le vent dans le criaillement des étourneaux
Nous penserons qu'un jour la Terre n'était/ne sera/ n'est - qu'un seul pays. "On tourne en rond, y a rien à faire, c'est la malédiction du système solaire" chantais-je, il y a longtemps. 
Nous consulterons le Dictionnaire des migrations, fascinées par les flèches rouges, vertes, bleues, aux mouvements puissants et incurvés.
Des flèches pour les peuples errants, des flèches du Sud vers le Nord, de l’Est vers l'Ouest, mais toujours à la lisière du méridien de ceinture, au-delà duquel il fait froid, il fait nuit, il fait océan.
Nous étions prêtes à partir, à quitter, à décamper, à fuir,
Parce que le chef ne nous convenait pas, parce que les petits cons sous nos fenêtres nous pourrissaient la vie, parce qu'il y avait décidément trop de vent à présent, pas assez de neige, passablement de moustiques et énormément de pyrale du buis. Nous étions prêtes à déménager parce que les loyers étaient devenus exorbitants, le voisinage trop 4/4 ou pas assez.
Dans la valise nous avions mis quelques doudous, des bonnets de rechange et des paires de lunettes aussi. Des crayons et des cahiers, de l'aspirine et du pain dur.
La valise est légère, elle est vieille et rafistolée, elle a beaucoup servi. Voyages d'agréments, « escapades », tourisme professionnel. Une valise dorée qui a connu les soutes, les compartiments non fumeurs, les plate formes d'où l'on peut passer ses appels téléphoniques, et le garage du dessus de l'armoire.
Nous irons à Mossoul voir les djihadistes entraîner dans leur « martyr » des martyrs non volontaires, et les libérateurs de rue faire des omelettes avec des œufs humains.
Nous irons à New York défiler avec les Américains -qui n'ont pas voté…
Nous irons à Lampedusa, à Lisboa, à Lesbos
Nous irons à Saint-Pétersbourg, à Libreville, à Istanbul, à Reykjavik, à Papeete. Et si nous allions « là-bas » ?


Nous resterons sur le seuil, ma petite fille et moi, à humer encore le vent et puis nous resterons là, car il n'y a nulle part où aller.

vendredi 4 novembre 2016

on ne sait jamais

entendue ce matin (dans la chronique de François Morel sur France Inter) la chanson de Juliette : "Aller sans retour"
Ce que j´oublierai c´est ma vie entière, 
La rue sous la pluie, le quartier désert,
La maison qui dort, mon père et ma mère
Et les gens autour noyés de misère
En partant d´ici
Pour quel paradis
Ou pour quel enfer?
J´oublierai mon nom, j´oublierai ma ville
J´oublierai même que je pars pour l´exil

Il faut du courage pour tout oublier
Sauf sa vieille valise et sa veste usée
Au fond de la poche un peu d´argent pour
Un ticket de train aller sans retour
Aller sans retour
J´oublierai cette heure où je crois mourir
Tous autour de moi se forcent à sourire
L´ami qui plaisante, celui qui soupire
J´oublierai que je ne sais pas mentir

Au bout du couloir
J´oublierai de croire
Que je vais revenir
J´oublierai, même si ce n´est pas facile,
D´oublier la porte qui donne sur l´exil

Il faut du courage pour tout oublier
Sauf sa vieille valise et sa veste usée
Au fond de sa poche un peu d´argent pour
Un ticket de train aller sans retour
Aller sans retour

Ce que j´oublierais... si j´étais l´un d´eux
Mais cette chanson n´est qu´un triste jeu
Et quand je les vois passer dans nos rues
Étranges étrangers, humanité nue
Et quoi qu´ils aient fui
La faim, le fusil,
Quoi qu´ils aient vendu,
Je ne pense qu´à ce bout de couloir
Une valise posée en guise de mémoire