mercredi 27 février 2013

MA GRAND' OURS...

Il y avait ton dos rond enchevêtré aux abords de mes rêves. Duvet duveteux doux penché sur mon sommeil. Deux yeux pétillants fervents rejeteurs de mauvais sorts. Deux bras tendus au travers du berceau pour chasser la froideur de la nuit.
Il y avait ta truffe noire mon phare dressé au- dessus de tous les précipices du vide de l'absence
Il y avait ta couleur jaune indéfinissable qui traversait le temps et ton odeur de lait caillé que je traquais pour m'en faire un rempart contre les ennemis visibles et invisibles.
Il y avait toi le petit ours blond que je pelotonnais contre moi "Ma force, ma douceur, ma tendre forteresse"

Il y a ton dos rond enchevêtré aux abords de mes nuits pelé râpé flétri que le tumulte de mes insomnies chiffonne. Deux yeux tendres mais fatigués veillent. Qu'ai- je fait de leur insouciance? Il y a une parole confiée au silence que l'ombre nous transmet.
Il y a tes bras et tes jambes brisés de m'avoir tant accompagnée sur les chemins de mon enfance, les genoux écorchés sur les cailloux cent fois tombé.
Il y a ta couleur jaune fânée dans mes mains lavée essorée mal rincée encore et encore embrassée.
Il y a toi "Ma force, ma douceur, ma tendre forteresse".

Il y aura ton dos rond à mon dos rond mêlé. Il y aura tes jambes à mes jambes accrochées tes bras pensifs à mes bras agrippés.
Il y aura ta peau lustrée à ma peau craquelée, tes yeux remplis de souvenirs à mes larmes perlées.
Il y aura ton corps plié sous le faix des années à mon corps perdu, perclus, reclus.
Il  aura toi mon ours vieilli décati "Ma force, ma douceur, ma tendre forteresse"



mardi 26 février 2013

Ours

Pas d'ours
pas de pouce 
pas de bout de tissu à l'odeur de mère indéfiniment suçoté, embarqué, empoché 
paspaspaspaspaspas-paspaspaspaspaspas (alex-andin)
ça sentait la salive surie
la petite soeur se faisait les dents sur le rebord du lit


Un autre en faisait collection
comme d'autres les cochons
les tortues, les chats ou les boîtes à savon
Un jour elle met tout à la benne
les ours sont en voie de disparition
Dans un geste désespéré comme on en finit avec la vie
on croit qu'on peut en finir avec l'enfance
mais le besoin de doux est accroché à la peau
mais le doux rêche du nous-ours

on le lui avait bien rendu
à force de caresses, c'est nous qui l'avions écorché
arraché un oeil
tordu un bras
décollé les oreilles
mis de la coco dans son ventre

"C'est pour mieux te soigner mon enfant"

Dans la chambre de la nouvelle vie à rebours
repose l'ours du pas doudou
il m'avait donné sa photo, dessinée par lui
on me l'avait volée, avec mon porte-monnaie
puis sans doute jetée
pour en finir avec les cochonneries
ne garder des autres que leur valeur marchande
l'ours regarde dans le vide
"Tu es un ours", lui dit-on parfois 
mais il en fait son miel et s'en retourne hiberner
au fond de sa cabane rêvée

Je tricotais des nounours
Un pour ma petite
un pour mon amie
Je passais ce temps à les penser
et glissais dans chaque maille ma tendresse pour elles

il y a une parole confiée au silence que l'ombre nous transmet 

Mon père gardait son bêrét le jour et la nuit
il ne l'enlevait qu'en marque de respect 
c'est pour ça qu'il ne restait pas longtemps à la messe, il avait trop froid à la tête
Ainsi il ressemblait à quelque chose de rond comme un redon
une sorte de nounours, lorsqu'on le câlinait, papouillait, son auréole tombait
plus de nounours, il protestait : qui c'est le chef ?

aujourd'hui le même jour le téléphone sonne et mon père était mort
les morts arrivent par le téléphone
tôt le matin ou tard le soir

papapapapapa papapapapapa

la neige est au beau fixe



mon ours


Du plus loin du passé, assis sur le divan, il condense le temps que l'on a oublié. Au-delà des étoffes qui calfeutrent l'enfance, il y a une parole confiée au silence que l'ombre nous transmet à laquelle on peut croire.

Il était ce gardien dans le jardin des ombres de tous ces souvenirs que l'on entend si mal. Et c'est en trois couleurs que sa vie se décline: le jaune du couvre-lit, puis le rouge du pouf, et pour finir le blanc du mur où il s'adosse.

L'oeil est un peu moins vif, le pelage aussi rêche, absorbant les tristesses et les failles secrètes, son rôle est identique à celui de l'enfance: il écoute, il observe et ne renvoie rien d'autre que le reflet du jour dans la pupille éteinte.

dimanche 24 février 2013

Trilogie

 L'ours perdu

« Je veux mon ours marron ... ». Depuis plusieurs heures, il scandait cette phrase sur tous les tons : surprise, colère, tristesse, détresse, rage. Il avait pleuré, geint, hurlé, sangloté. Son oreille gauche qu'il avait tant sucée et qui ne tenait plus qu'à un fil manquait terriblement à ses lèvres.
« Je veux mon ours marron ... » répétait-il entre ses sanglots. Le soir tombait, sous peu la nuit terrible serait là. « Comment je vais faire pour dormir ? ». Sa mère avait beau lui promettre que demain il aurait un grand lit, que maintenant il était grand … rien n'y faisait. « Il y a une parole confiée au silence que l'ombre nous transmet » pensait la mère et la journée de l'enfant en était là.
Elle était retournée dans tous les lieux où ils étaient passés l'après-midi. Et maintenant elle en était persuadée : la dernière fois qu'elle l'avait vu, pendant à sa main, tenu fermement par sa patte brune, toujours la même, déjà bien amochée, c'était à la piscine. Elle avait téléphoné, ils n'avaient rien vu.  « Rien ne sert de pleurer, sans cesse il faut chercher » lui avait-elle dit. Il  le voulait là, maintenant. Il voulait se frotter à sa peau rèche, le serrer contre lui, lui téter l'oreille jusqu'à ce qu'elle soit toute mouillée. Perdu, déboussolé, l'enfant était tout à cette obsession, le reste du monde avait cessé d'avoir goût.
« Je veux mon ours marron ... » dit-il, lors d'un dernier sanglot avant de s'endormir tout habillé dans les bras de sa mère tout en suçant le bout de la manche de son pull et en s'enfouissant entres ses seins. Elle le berçait pour ne pas le laisser seul face au vide dans lequel il s'était engouffré.


L'ours abandonné

Chaque matin, avant de partir à l'école, elle l'installait sur sa chaise haute, bien calé pour qu'il ne s'affaisse pas durant les heures où elle ne serait pas là. Pendant des semaines, elle pria sa mère de le nourrir en son absence, de ne pas le laisser sans soins, et ce n'est que sur cette promesse qu'elle partait sereine à l'école.
Dès son retour à midi, elle se précipitait dans la chambre pour s'assurer que l'ourson avait bien reçu les soins nécessaires, qu'il souriait, était comblé et vérifiait que sa position n'était pas absolument identique à celle qu'elle lui avait donnée avant de partir. Sa mère était-elle capable de l'oublier ? Il était vital de le vérifier. Si par malheur rien n'avait changé, elle percevait immédiatement l'abandon. Elle savait dans quel naufrage définitif il était. Il y a une parole confiée au silence, que l'ombre nous transmet.
Elle chutait dans une détresse l'engloutissant sur l'instant. Elle cajolait, berçait, plaignait le pauvre ourson abandonné et tout près de l'anéantissement bien qu'elle sût qu'il n'existait ni consolation ni réparation.


L'ours blessé

Pendant les heures de jeu, l'ourson pouvait être manipulé avec tendresse, délicatesse ou, s'il avait été sot, rudoyé voire malmené. Au fil des mois, des ans, son corps se déformait, se salissait. Il prenait de l'âge.
Sa patte droite ne tenait plus que par un fil, ce qui ne l'empêchait pas de grimper, courir, aller à l'école, manger, dormir, d'être un ours ordinaire. Un jour, la patte roula sur le plancher. Les hurlements de la petite fille firent accourir sa mère : « Maman, vite, vite, il saigne, regarde, il va mourir ». L'écoulement du sang hors de son corps, la violation de l'intégrité de ce corps déclenchait une violente panique. Chaque seconde comptait. Entre le moment où la mère accourait, celui où elle se saisissait de la boîte à couture, celui où elle enfilait l'aiguille et enfin … pansait l'ourson, s'écoulaient des minutes pendant lesquelles le sang giclait, se perdait irrémédiablement. Chaque seconde était vitale, secondes pendant lesquelles la petite anticipait toutes les pertes à venir, entrevoyait le trou qui sera sans cesse plus béant à chaque nouvelle perte. Il y a une parole confiée au silence que l'ombre nous transmet.

vendredi 22 février 2013

AUTOBIOGRAPHIE DES OBJETS

par ordre d'apparition

  • la chaufferette de Linette prise par surprise
  • la pierre de rêve de lin
  • les herbes sèches aux grues de Natô
  • les statues de Grand Glaïeul
  • la petite bestiole rouge à pois blancs de Marie, Pierre
  • le chandelier de l'Ange
  • le nounours se Laura


jeudi 21 février 2013

gestation, éclosion, expiration


Il y a la cacophonie des métiers à tisser, des ouvrières-tapissières
Il y a les blessures de chair, l’adoption, les noëls, les anniversaires
Il y a les matins d’hiver, les bras de la fillette
Les matins d’été, abandonné dans l’herbe des pâturages
Les soirées d’automne, délaissé au fond de la mallette
Les heures printanières, à se disputer ma préférence.

Il y a l’entracte, l’oubli, la lassitude de la peluche, l’usure du je
Il y a les enfants qui grandissent, les déménagements, la poussière
Il y a les jeux de tortures, les disputes, le temps qui découd la vie

Il y a une parole confiée au silence, que l’ombre nous transmet
Il y a le souffle marqué à l’encre brune qu’une seconde suffit à suspendre
  Il y a l'éternité de chaque matin que l'absence nous envie






Romain ... solite


Un ours peut-être

Lin a dégainé plus vite que moi !
Voici donc les photos de l'objet du jour sous plusieurs angles:



Je rappelle les consignes: 

- nous sommes toujours dans l'autobiographie de l'objet
- insérer cette phrase de Pierre-Albert Jourdan " il y a une parole confiée au silence, que l'ombre nous transmet". On peut retrouver sur mon blog "Jardin d'ombres" le texte d'où a été extrait cette phrase .
- glisser l'air de rien un alexandrin (ou plusieurs) dans le texte.
- intégrer d'une manière ou d'une autre ( je sais c'est très vague...) la notion de triptyque ...
Voilà! Bonne écriture! 
 

mercredi 20 février 2013

consignes du 20 février

La consigne sera précisée par Laura, quelques indications cependant pour les absents qui souhaiteraient mouiller la chemise dès ce soir :
L'objet : un ourson en peluche d'un temps pas si lointain, à la pelure brune et rêche, oreille tombante de naissance ou presque, une cuisse qui a connu les affres de petits neveux.

Les consignes :
- insérer dans le texte " il y a une parole confiée au silence, que l'ombre nous transmet".
-insérer un alexandrin (12 pieds)
- s'emparer de la notion de "triptyque" (papier plié) dans l'écriture...

dimanche 17 février 2013

La Centrale Montemartini

Les pièces antiques du Musée du Capitole sont exposées dans une ancienne usine électrique construite en 1912 pour éclairer Rome. Turbines à charbon et tuyauteries mettent en valeur les chairs et les courbes des statues de marbre. Diane chasseresse, Apollon, Aphrodite soulignent la force des machines et la beauté de l'architecture.




Contrastes saisissants et complémentarité fascinante.









consigne animalière


mercredi 13 février 2013

LAISSER PARLER...

La nuit tombe, violente, même si c'est une dernière nuit de printemps. Il fait presque doux et l'espace entre l'ombre et la lumière devient mon territoire. Je traverse suffisamment bas le ciel pour que l'homme devine ma présence et suffisamment vite pour ne pas qu'il m'atteigne avec son lance- pierres,son joujou infantile.
Frondeuse, je reviens sur mon vol, je le frôle, je l'esquive, je le nargue. Il s'imagine mille pattes prêtes à s'agripper à ses cheveux, à le soulever de terre pour l'emporter vers quelque paradis sournois, vers le Lucifer de la nuit. Il ne veut plus rester seul dans le noir. Cette solitude l'encombre tout autant qu'elle l'effraie. Alors il allume son chandelier à quatre branches chiné il ne sait plus trop où, son grigri, son repousse- cauchemars. Une lueur, puis deux, puis trois lueurs et l'homme devient difforme, grotesque, le feu se joue de lui et je le vois devenir Grand Guignol lui, qui ne cherche qu'à plaire, obséquieux jusque dans ma chasse- poursuite.
Je sors de ma cachette et tente un nouveau passage. D'abord tout en lenteur puis je fonce en piqué, je bats des ailes, j'affole le flamme même si je sais me tenir suffisamment loin pour ne pas me brûler au feu du désir de le terrorriser.
Le piédestal du candélabre se fait lourd et tangue dangereusement dans sa main. Je bats en retraite à l'intérieur de la vieille grange d'où la tête en bas, accrochée à une poutre vermoulue, je surveille sa venue. Je le guette. Il me suit de peu. Fanfaron, il entre en vaiqueur, le chandelier éclairé tout devant comme le bouclier de sa conquête.

Quand j'agite mes ailes tout en lenteur calculée, les murs s'habillent et se déshabillent d'ombres dyonisiaques. Plus vite, plus vite encore, les ombres caracolent, il pivote d'avant en arrière, de droite et de gauche, fait volte- face. Je pique la mise en scène avant que d'entreprendre l'assaut périlleux, me cramponner à sa toison qu'il croit être d'or...
Chauve qui peut, j'ai enfin réussi!


De la boîte...

Un jour, de ma boîte aux lettres il dépassait se débattant et criant qu'il voulait sortir.
Revenant de faire mes courses, dans le silence du hall d'entrée de mon immeuble, avant que de monter l'escalier puisque ce jour- là je privilégiai la marche, la forme ça s'entretient, dit- on, je le cueillis dans ma main, mon tout premier extra- terrestre.
A peine reposé sur la paume que de ses pieds de batracien, il s'engagea pour explorer le monde. Il eut vite fait de déborder et poussa la curiosité sur mon bras nu. Pourtant maladroit, il se contentait de frôler ma peau et avançait paresseux mais dans sa façon de se couler de droite et de gauche, il avait quelque chose de félin et força mon respect.
Ma tentation était grande de le caresser mais je n'osai interrompre son avancée vers une destination dont j'ignorai le terme et ne mesurai pas les conséquences.
Je grimpai les étages, fort heureusement il y en a cinq, pour laisser à mon Golem attachant le temps de son exploration. Aucune excuse de sa part pour s'aventurer dans les moindres faux- plis. Il ne rosit pas davantage en s'agrippant aux bretelles de mon débardeur. Aucune gêne que de se laisser glisser sur la peau lisse d'un sein, sous la finesse d'une dentelle abricot.
Une patte, deux pattes, mille pattes sondaient l'abîme de mon décolleté, un nouvel oasis sucré, un jardin des délices confinant à l'ivresse des sommets après une longue course éreintante mais palpitante.
Les étages s'éternisaient, mon talisman rêveur continuant sa route, le galbe de ses hanches tanguait dans le creux de mon cou.Il pimentait son avancée par des exercices d'équilibriste attachant ses bras courts à la commissure de mes lèvres. Il pénétra par effraction dans ma bouche avant que de se poser en équilibre sur l'arrondi de ma joue.
Je redoublai d'attention pour ne pas buter contre une marche, mon fidèle Golem couché sur mon visage. Il s'aventura sur le bord de l'oreille, hésita, scruta, palpa, sonda puis se laissa glisser tout en courbes concaves et convexes pour ne plus faire qu'un avec l'anse accueillante et chaude du pavillon. Attendrissant mais épuisé, il avait sombré dans un sommeil où je ne pouvais le rejoindre.
J'ouvris la porte, même son bruit lourd quand je la refermai ne le dérangea pas. Tendrement, je balançai la tête de droite puis de gauche pour le bercer jusqu'à épuisement, pour qu'il restât là longtemps, tout le temps qu'il faudrait.
Je filai à la salle de bains, dans le miroir, le vide. Je passai mon doigt sur les contours du lobe de l'oreille, quelques poussières de cendres. Un explosion de douleur me submergea.
Mon Golem avait disparu, il ne serait plus jamais là.


  

mercredi 6 février 2013


je regarde
elle sourit
quatre flammes s’envolent
elle regarde
je souris

il y a des tiges rouges qui fondent
et mes pupilles rétrécissent
et ses paupières palpitent
il y a des entrelacs de bronze
mon pelage vibrant
contre sa fourrure douce
quatre yeux allumés dans le soir
il y a comme un vase sur son socle noir

le loir et la belette
dinent aux chandelles

au matin
des centaines de fourmis 
sur le mur orange



                                    merci à hector pour son dessin

La vache et le prisonner

Je suis dans un pré. Bien que ma vision soit macro à fond sur les brins d'herbe, je le sais. L'orage a surpris les picniqueurs. Ils m'ont laissé sur place dans leur précipitation, avec les noyaux d'olives et les miettes de chips. D'ordinaire, ils font bien plus grand cas de moi, puisque je suis toujours du voyage, sentinelle majestueuse de leurs boire et déboires. D'une certaine manière, j'avais le pouvoir d'exaucer des voeux, ce qui est paradoxal comme toujours dans ces cas-là. L'envoûtement a toujours un bon côté, pour les autres je veux dire. "Et la lumière fût", telle était mon credo. Aujourd'hui, je ne suis pas à mon avantage. Je dirais même que je suis dans une fâcheuse position. Je penche. Si la pluie continue - tel quel - je vais rouiller. Bien qu'ayant été traité d'une noble manière, à l'origine et programmé pour courir la campagne, mon sort m'a fait petit à petit glisser vers une autre existence, d'autres décors, plus abrités. Ces repas champêtres pour lesquels je n'étais plus fait, me rappelaient tout de même "the old good time", si je puis me permettre. 
Le sol bouge autour de moi, un pas lourd et nonchalant, un mufle énorme, rose et poilu, un bruit formidable de tonte et de mâchouillement : voilà ma chance : Une belle langue de vache, un moment interrompu par la circonspection, s'approche et vient lécher le sel des chips incrusté dans mes volutes. Je me déploie,  je me déplie, je m'augmente, je reviens à la vie, et la belle aux yeux si doux, à la robe si dorée, à l'odeur laiteuse regarde son mâle redevenu, de toute sa présence de femelle attentive et sans a priori.
Et moi, campé sur ma force extravagante, je savoure ce moment.

vendredi 1 février 2013

Laisser parler sa part animale

 
Accrochée à la poutre centrale, je suis au-dessus de leurs six têtes, toutes penchées sur du papier blanc. Elles écrivent et de leurs plumes sortent de longs filaments fins comme sortent de mes glandes les fils de soie.
Pas un bruit exceptés un tic-tac et un léger bourdonnement continu de moteur. La plupart de ces têtes sont blanches. Je ne peux pas me laisser glisser le long de mon fil de sécurité sans être repérée aussitôt. Seules deux têtes m'attirent, une rousse fournie, entourée de mousse épaisse, je sens que je pourrais m'y cacher et, une brune frisée. Là-dedans aussi je pourrais m'aggriper sans être vue et peut-être même – si ces têtes qui n'étaient pas là tout à l'heure s'en allaient plus tard - en profiter pour voyager incognito, changer de lieu, sans craindre de mourir par le froid de la nuit.
Je sens que l'entreprise est risquée, poutres blanches, murs blancs, il y en a une qui lève constamment la tête et tout près de ces deux seules têtes possibles, des flammes. Je sens leur chaleur monter jusqu'à moi. D'où je suis, elle est douce. Bien à l'abri dans mon interstice, je m'y chauffe, mais je sais qu'elles sont terribles. Dans ma descente, leur chaleur va brusquement changer la teneur de l'air, porter mon poids différemment de ce que je prévois, me faire peut-être dévier de la trajectoire choisie. La chaleur et la lumière risquent de me happer. D'autant plus que ces flammes sont en hauteur, quatre flammes de bougies, au sommet de branches tarabiscotées et bien au centre de cette table sur laquelle se penchent ces six têtes silencieuses. Ma visibilité sera totale et ils me haïssent. Aucun animal sur terre n'éprouve autant de répulsion à mon égard que les hommes. La plupart hurlent en m'apercevant. Leurs cris me font rétracter mon fil et demeurer immobile des heures. Heureusement, ils sont lents. Quand ils attrappent l'une d'entre nous, ils l'écrasent entre deux doigts, dégoûtés, alors que la majorité d'entre nous ne pique ni leur est nocive en rien. Nos huit pattes longues et grêles et nos fils puissants et invisibles nous permettent bien souvent de sauver nos vies. Grâce à nos glandes à soie, nous tissons ces toiles qu'il nous envient mais ils ne retiennent que nos glandes à venin alors qu'elles ne nous servent que pour digérer les insectes dont on les débarasse. Nous logeons partout là où ils croient être chez eux, nous sommes beaucoup plus nombreuses qu'eux, les débarassons des insectes, que d'ailleurs ils haïssent tous – même si nous tenons le sommet de leur répulsion -. Et pourtant, quelle élégance dans nos pattes, dans le velours de notre pelage, quelle prestance dans nos gestes et quelle finesse alliée à la puissance dans nos toiles !
Parfois, j 'entends : « Non ! Arrête ! Araignée du soir, espoir ! ». Allez, je me lance. D'un seul bond, je glisse le long du fil, rebondis à l'arrivée, dans la chevelure de la brune. Je rentre au chaud.
Echappée aux regards, aux flammes. Je ne bouge plus, c'est élastique, odorant, tiède.Pourvu qu'elle ne se mette pas à parler et que tout vibre, pourvu qu'elle n'approche pas sa chevelure du feu !
Mes pédipalpes me renseignent : ça sent la vanille, le savon. Y a-t-il à manger là-dedans ? Où va t-elle m'emmener ? Ai-je fait le bon choix ? Va t-elle me haïr ? Sur quel oreiller et dans quel lieu serai-je demain ? L'excitation est si forte maintenant que j'ai réussi.
Ca s'agite autour de la table. Les têtes se redressent. J'entends ses mâchoires craquer, vais-je supporter le voyage ?