mercredi 6 février 2013

La vache et le prisonner

Je suis dans un pré. Bien que ma vision soit macro à fond sur les brins d'herbe, je le sais. L'orage a surpris les picniqueurs. Ils m'ont laissé sur place dans leur précipitation, avec les noyaux d'olives et les miettes de chips. D'ordinaire, ils font bien plus grand cas de moi, puisque je suis toujours du voyage, sentinelle majestueuse de leurs boire et déboires. D'une certaine manière, j'avais le pouvoir d'exaucer des voeux, ce qui est paradoxal comme toujours dans ces cas-là. L'envoûtement a toujours un bon côté, pour les autres je veux dire. "Et la lumière fût", telle était mon credo. Aujourd'hui, je ne suis pas à mon avantage. Je dirais même que je suis dans une fâcheuse position. Je penche. Si la pluie continue - tel quel - je vais rouiller. Bien qu'ayant été traité d'une noble manière, à l'origine et programmé pour courir la campagne, mon sort m'a fait petit à petit glisser vers une autre existence, d'autres décors, plus abrités. Ces repas champêtres pour lesquels je n'étais plus fait, me rappelaient tout de même "the old good time", si je puis me permettre. 
Le sol bouge autour de moi, un pas lourd et nonchalant, un mufle énorme, rose et poilu, un bruit formidable de tonte et de mâchouillement : voilà ma chance : Une belle langue de vache, un moment interrompu par la circonspection, s'approche et vient lécher le sel des chips incrusté dans mes volutes. Je me déploie,  je me déplie, je m'augmente, je reviens à la vie, et la belle aux yeux si doux, à la robe si dorée, à l'odeur laiteuse regarde son mâle redevenu, de toute sa présence de femelle attentive et sans a priori.
Et moi, campé sur ma force extravagante, je savoure ce moment.

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