samedi 29 novembre 2014

... Et surgissent deux personnages


Il a soixante ans. Il est directeur commercial d'une très grosse entreprise de sa région. Il n'a plus de cheveux depuis quelques années. Il vit seul dans sa garçonnière et rentre le week-end dans sa villa où personne ne l'attend. Il a peur de la retraite et avec raison, puisqu'il va mourir dans deux ans. Il a vingt-huit ans, un long imperméable qui lui couvre les jambes, une écharpe qui vole au vent et il chevauche une Terrot noire. C'est un jeune ouvrier ambitieux, beau comme la nuit. Il a sept ans, il court en culottes courtes dans une cour de ferme avec son frère de lait. Il a quarante ans. Il est devenu directeur des hauts-fourneaux dans lesquels il a commencé comme simple technicien. Dans sa petite ville il est l'un des premiers à avoir eu le téléphone, le frigidaire et la salle de bain. Il roule en Panhard vert pomme. Il a dix-huit ans, il est monté à Paris pour suivre des études. Il est l'unique de cette famille de six enfants qui a pu entreprendre des études. Il fait du tennis, achète des livres de poésie, va au cinéma et au café. Quand il rentre au pays, il est l'intellectuel promis à un bel avenir. Il a vingt-cinq ans, il s'est marié, a déjà une fille et un fils. Il a vingt-deux ans, prisonnier en Allemagne. Sans une jeune fille de quatorze ans, il serait mort de faim. Il a cinquante ans. Il ne dort plus. Il doit liquider l'usine, licencier, mettre en vente. L'usine était sa maison. Ses enfants l'ignorent, sa femme ne l'admire plus. Sa mère est morte cette année, il n'a plus ni frère ni soeur et les maîtresses n'ont jamais été que de passage. Il a dix-neuf ans, un magnifique costume de zouave, il fait son service militaire au Maroc quand la deuxième guerre mondiale éclate.

Ella a soixante-dix ans, n'a plus de vélo depuis que ses genoux la font souffrir mais il lui reste encore quelque chose de ses jambes de gazelle. Une élégance de port, une fierté dans le regard et son courage presque tout entier. Elle a dix ans. Sa queue de cheval rebondit à chacun de ses pas sautillants. Ses yeux pétillent. Elle rentre en sixième dans quelques semaines, c'est l'été, sa saison préférée et son amoureux s'appelle Alphonse. Alphonse lui joue des airs d'accordéon, elle porte des robes claires qui vont bien avec ses airs. Elle a quarante ans. Vient de divorcer. Ne pense qu'à eux deux qui ne vieilliront pas ensemble. Chaque couple rencontré lui arrache le coeur. Elle se sent vieille. Sa vie lui a échappé. Son mari, ses enfants, tout fout le camp. Elle a vingt ans. Elle est à l'université. Découvre le théâtre, les sorties la nuit, les virées en voiture, les fêtes et les nuits blanches. Elle est belle et a des ailes. Elle a un amant, découvre le plaisir. Elle sera journaliste, parcourra le monde. Elle est sûre de son avenir.. Aucun doute ne s'immisce en elle. Elle resplendit. Elle a cinquante ans. Les deuils l'ont abattue. Elle ne rêve plus. Elle a de plus en plus l'impression d'une longue route qui défile et elle, en bord de route qui observe. Elle a neuf mois. Elle hurle de douleurs dans son lit d'hôpital et ne mangera rien de plusieurs semaines. Tous pense qu'elle ne survivra pas. Elle en réchappe. Les cris seront pour elle toujours associés à la rage de vivre. Elle a trente ans, est mère de deux enfants, s'est jetée à corps perdu dans le monde du travail. Les désillusions commencent leur lent travail de sape. Les hommes se retournent sur son passage, pas sûr qu'elle les voie. Elle a douze ans. C'est le jour de sa communion solennelle. Les adultes lui mentent ce jour-là aussi. Elle perd la foi et sa confiance en eux. Elle a cinq ans. La famille s'agrandit d'un troisième enfant et emménage dans une grande maison. Sur la photo, elle fait la moue. Elle est maintenant « la grande » et se sent tout petite.

vendredi 28 novembre 2014

Proposition 4. 2 personnages

Le Roumieux.

Il a 59 ans. Il n’a pas de résidence. Il vit sur la Lande au gré des saisons. Il marche en boitant. Cela fait deux ans qu’il n’est plus retourné à Mendes, chercher son courrier en poste restante. Sa barbe est longue. Il porte un grand manteau.
Il a 22 ans et vient de réussir le concours de Polytechnique. Il est triste. Il sait que son père sera fier de lui quand il lui annoncera la nouvelle. Il sait que sa vie se referme sur ce concours.
Il a 30 ans. Il est en poste à Bordeaux. Depuis trois ans, il fréquente Anna rencontrée sur le banc des élites. Elle est d’origines russes, une grande fille aux cheveux châtain clair. Elle sort de la douche, nue, il croit qu’il aime son corps élancé, humide, ce corps nerveux, aux gestes un peu brusques.
Il a 43 ans. Il vient de divorcer. Anna est partie vivre à Moscou. Ils n’ont pas eu d’enfants, le sujet n’a jamais été évoqué entre eux, croit-il. Aurait-elle voulu un enfant ? Il se pose la question pour la première fois. Il est triste. Il est amoureux de son corps laiteux, des poses qu’elle prend quand elle se sait regardée. Maintenant, il se dit qu’il n’a jamais aimé cette femme. Ils se sont mis d’accord sur le prix de vente de leur appartement de Bordeaux. Pour une fois, ils ne se sont pas disputés.
Il a 66 ans. Sur la lande on l’appelle le Roumieux.
Il a 55 ans. Il vit dans une petite grange abandonnée. Les paysans le laisse l’occuper en échange de menus travaux agricoles. Il surveille les bêtes, en été, sur les pâtures. Il boit l’eau des rivières. Il parle au vent. Au Grand Glaïeul. A son passé.
Il a 72 ans. Il meurt dans une heure. Il le sait. Il n’est pas triste. Cette nuit, il regarde le ciel d’août, allongé devant la grange. Une étoile filante passe en un éclair. Il pense au petit prince. Il pense à son père.
Il a 11 ans et demi. Il rentre en 6ème. Il aime bien la petite fille un peu boulotte assise à côté de lui, au premier rang. Il écrit un poème dans sa tête. Quand il sera grand il voudrait devenir berger ou bien astronaute, ou poète. Ou les trois à la fois.

L’homme de la coursive.

Il n’a pas d’âge. Il est l’ombre de cette seconde suspendue au fil du temps.
Il y a un mois, il était là, dans la coursive, en sous-sol, debout près d’un soupirail. Il regardait au loin derrière la porte vitrée. Derrière lui, un barbecue fumait. Ca sentait bon la viande grillée.
Avant, il n’avait pas d’existence, pas de corps. Maintenant il vit ici hors du temps sur une autre scène d’où il tire un fil d’un cocon invisible. Le fil s’étire devant lui, se noue, se dénoue, se démultiplie, s’élance au-delà du soupirail, tels des fils de soi.
Il n’a pas d’âge et il le sait. Il existe entre la dernière seconde et la prochaine, l’espace d’un soupir, l’espace du rêve qui se tait au réveil.
Il pourrait avoir 51 ans, avoir des yeux perçants, avoir pour métier : clown ou faiseur de farces, il pourrait tenir une boîte en verre dans laquelle se mêleraient des couleurs, mais le rouge dominerait, ce ne serait pas une boîte de bonbons, mais de gouaches écrasées.
Il pourrait avoir 100 ans, il marcherait dans un désert, puis surgirait sur les planches d’un théâtre dans les habits de Molière.
Là il aurait une dizaine années, il serait fille. La petite demanderait à ce qu’on l’amène au-delà du mur qui enceint sa maison.
Il aurait 30 ans, et rentrerait dans un dojo vide, il se souviendrait de ce lieu d’antan, chercherait quelque objet oublié, mais ne le trouverait pas.
Il aurait encore 51 ans, et regarderait le vélo laissé en bas de l’escalier, de l’autre côté d’une porte vitrée. Il n’en serait pas étonné. Ouvrirait la porte. Porterait le vélo de marche en marche puis le sortirait dehors.
Il a encore perdu son âge et se tient à nouveau dans la coursive, derrière la porte vitrée. De ses mains jaillissent des fils blancs, des fils de soie.


jeudi 27 novembre 2014

mon personnage à casquette et son personnage à queue de cheval

A)
Il a 5 ans.  Il garde les moutons.  Sous sa tignasse, il a le front étroit des enfants qui regardent en bas. Il a 25 ans.  Il est militaire en Autriche. Il porte l’uniforme bleu jonquille des Chasseurs Alpins, la tarte qui penche sur l’oreille gauche. Il a 12 ans.  Il va parfois à l’école lorsque les travaux de la ferme lui en laissent le loisir, lorsqu’il a 2 souliers à mettre à ses pieds, lorsque la neige a été coupée à temps. Il a 47 ans.  Leur mère est morte,  une nièce est née. Il porte une casquette unie. Il ne porte plus jamais de béret. Il préfère les casquettes. Il en a toute une collection. Il a 26 ans.  Il ne retrouve pas sa maison. Il n’a plus de maison. Il rêve de transsibérien. Il a 7 ans.  Il compte les moutons. Il fabrique des trains avec 3 bouts de bois et 4 de ficelle. Il ne joue pas avec ses frères. Il va à l’école avec sa blouse noire. Il reçoit des coups de règle sur les doigts. Son regard sur ses souliers. Ses poings fermés à l’intérieur de son coeur. Il a l’âge d’aller au bal, mais il y a la guerre.  Il a 30 ans.  Il n’a pas de femme officielle.  Il a 55 ans.  Il prend des avions, des cars, des trains. Il a 58 ans.  Il est célibataire, il a une femme cubaine le temps d’un voyage. Il a 48 ans, il fait la bamboche avec la Fédération Des Amicales de Chasseurs (la F.N.A.C.). Il a 61 ans. Il est dans un village russe à parler avec les mains. L’autocar repart sans lui. Il a 60 ans.  Il revend sa ferme qui ne rapporte rien. Il s’achète une maison qui ne ressemble pas à grand chose, il habite sur la place écrasée par la stature de la statue. Il a 35 ans.  Il  vit avec sa mère. Mais pas avec son père. Ensemble ils boivent du vin. Il porte des chemises à carreaux, des marcels bleus, des bourgerons fanés. Il a peut-être un manteau. Il a 65 ans.  Il rapièce ses vêtements. Il écoute le jeu des mille francs. Il a 75 ans.  Il écoute le jeu des mille euros. Il connaît le débit de la Volga, la longueur de tous les fleuves, la hauteur de toutes les montagnes, la superficie de tous les pays. Il a 5 ans.  Il ne lave jamais sa vaisselle et mange dans la même assiette qu’il range après chaque repas sous l’évier. Il a 5 ans. Dans ses malles des centaines de carnets. Dans ses carnets des centaines de listes. Dans ses armoires, à chaque rayon, un inventaire . Sous sa casquette ses cheveux sont toujours drus. Il a 65 ans.  Il va chaque jour à la gare regarder les affiches. Il a 75 ans.  Il a 76 ans.  Il a 77 ans.  Il a 5 ans.  Une nièce lui rend visite une fois par an. Il lui sort une assiette presque propre et des noisettes. Il ne lui sert pas de vin. Il a toute la vie devant lui. Il tient ses listes à jour. Au dos des cartons de lessive AXION anti-calcaire. Au dos des paquets de Gitane. Sa gestion des stocks. Il a 77 ans. Il  lui raconte le grand père assassiné. Il a 85 ans, il ne reconnaît plus grand monde. Il a 5 ans.  Il est mort. Tout est en ordre, étiqueté et des boîtes à chaussures remplies de mystères.

B)
Elle a 38 ans. Elle aime à le préciser.  Elle a 8 ans. Elle fait sa commandante dans la cour de l’école. Elle distribue les rôles et ses camarades filent doux. Elle a  50 ans mais elle aime s’entendre dire qu’elle ne les fait pas. Elle a 20 ans. Elle a 30 ans. Elle a 40 ans. Elle fait du sport. Elle nage, elle court, elle grimpe, elle galope, elle stretche, elle pilate. Elle prend soin de son corps, de sa masse corporelle, de ses adducteurs. Elle a 14 ans. Elle est dodue et boutonneuse. Elle a 17 ans. Elle est méconnaissable. Elle porte des pantalons de cuir noir moulants et des tee-shirts imprimés panthère. Elle a 38 ans. Elle porte presque seule l’enseigne qui bat de l’aile. Elle agite les siennes encore plus fort. Elle a 19 ans. Elle a intégré une école de commerce et s'adonne au management. Elle porte des tailleurs noirs, stricts qui mettent en forme ses formes ; un accessoire jaune apporte un peu de fantaisie. Elle a 42 ans. Elle élève plus ou moins seule 2 ados adorables. Elle a 6 ans. Sa mère est morte. Elle a 16 ans. Elle a déjà déménagé 6 fois. Elle a 48 ans. Elle prend souvent le TGV, elle est sans cesse en déplacement, elle vibrillonne, elle aime se sentir importante, indispensable, mouche du coche, reine des abeilles. Elle tient sa place dans l’Organisation. Elle a 25 ans. Ses rêves sont en continuelle expansion. Elle en réalise quelques uns. Elle a 38 ans. Son mari est parti avec l’une des vendeuses. La garce. Elle a 6 ans. Elle ne pleure pas. On lui dit que sa mère est au ciel. Elle scrute. Quelques oiseaux sans noms et des insectes. Des traînées d'avion. Elle se regarde devant la glace, se met du rouge à lèvres. Elle s’habille avec les vêtements de sa mère morte.  Elle a 49 ans. Elle se dit qu’elle n’arrivera jamais à porter ses 50. Elle a 51 ans et tout le monde la trouve très épanouie ; certes elle sait qu’elle parle trop fort. Elle a 100 ans, parfois le soir, lorsqu’elle dépose les armes et quitte ses chaussures à talons.

Automne 2014 consigne 4



Nous étions réunis hier, autour d'un délicieux kouglof préparé par Ange Gabrielle ( photo prise sur le net), pour partager la quatrième proposition d'écriture de ce chantier:
- développer un personnage lié à notre lieu de départ (voir proposition 1) que l'on décrit à la manière de Claude Simon dans les Géorgiques : une forme syntaxique sujet/verbe "il a " au présent de l'indicatif suivie de son âge ( il a 50 ans....) et de courts éléments biographiques liés à l'âge , sans respecter  une chronologie pure et simple.
- développer un second personnage, avec la même contrainte syntaxique, "emprunté" au récit d'un copain.

mercredi 26 novembre 2014

EN AVANT...

Marcher pour exister, avancer, s'inoculer des doses infinitésimales de liberté, marcher pour vivre, bouffer, avancer pour ne pas tomber. Pourtant
la sonde Rosetta envoie un selfie à seize kilomètres de sa cible, la comète 67P/ Tchourioumov à 470 millions de kilomètres de la Terre.
 Le monde est-il plein de revenants qui éructent et qui crachent sur des zones de non-droits pour malades en voie d'extinction?
 Mais il y  a une forme de fierté à être toujours à Gaza, à être debout après vingt - six jours de bombardements et de destructions.
Vouloir atteindre cet endroit mystérieux abritant la pierre philosophale, la poudre sèche, l'élixir de la paix et de la méditation.
Alors que 200 000 civils au moins fuient la ville de Sinjar, dans le Nord de l'Irak.
Se vouloir pharmacien de l'âme, donner le musc à effleurer; le camphre à respirer, le saphran à humer et fuir la barbarie
Meurtres de Montigny: vers la mise en examen d'un ancien suspect.
Se réserver le droit de hurler,de gémir, de serrer dans ses bras le jasmin ou le nénuphar, de le noyer dans des larmes de soie.
Nigéria, quarante étudiants tués par Boko Haram. La Russie emprisonne les miltants de Green Peace venus protéger l'Arctique. Syrie les rebelles reculent et se radicalisent. Huis clos pour le procès de viols collectifs. Prostitution: la pénalisation divise la classe politique.
Pouvoir crier, jouir, se muter en luciole, survoler tous ces espaces de violence, s'enserrer dans la nacre et éteindre les feux.

lundi 24 novembre 2014

le lieu dans la rumeur du monde


dans l’espace les écrans que l’on allume
au carma café, l’un des 21 cyber-cafés de la ville .. tout le cablage qui passait dessous est perdu
quelques silhouettes glissent
s’instruire, raconter, plutôt que se battre .. effervescence dans les cyber-cafés
le décor s’allume
la première intifada s’est déroulée avec des armes et des pierres, la seconde est née à l’ère des nouvelles technologies
des messages sonores diffusent
c’est le dernier diamant, le plus pur, d’une œuvre taillée dans la splendeur des choses
des silhouettes déambulent
vidocq sera un film aux textures très picturales
des pieds foulent la moquette grise
dans son nouveau roman, il poursuit son voyage au pays des boutiques obscures, en suivant une héroïne qui lui ressemble
des mains feuillettent
il écrit tous phares éteints, dans les avenues sombres où sa mémoire se perd
des voix questionnent, interpellent
à ouaga, tout le monde se dit artiste
les caisses vertes circulent
tour d’horizon de l’activité musicale, littéraire, théâtrale et décryptage des tendances technologiques du moment
de petites mains puisent
dans 150 pays la torture est un art officiel
l’endroit s’est rempli de voix
une très belle boutique des horreurs, servie par une imagination fertile
il y a des cris d’enfants
une fenêtre sur la vie
des bouteilles de soda pendent aux bouts de bras adolescents
ça rassure les pères qui préfèrent voir leurs filles devant un écran qu’en train de se balader à l’université
le flux quitte le lieu
femme enceinte enceinte acoustique, vous ne trouvez que ce que vous cherchez
les caisses se sont vidées les corbeilles débordent
des humains transformés en dindes de noël
un message dit qu’il faut partir
vivre est un plaisir ? non c’est difficile même si on est à l’aise
l’endroit s’apprête à fermer clore éteindre suspendre l’activité
les meilleures proses ont une fin
stop

dimanche 23 novembre 2014

Trop

Il y a cette abondance de tout, de couleurs, de rouges, de rumeurs, de voix humaines , de bruits de pas, de cloches, de lumières, d'ombres, de reflets, de rouges, de bleus, d'ors, de pacotille, de regards, de miroirs, de langues, de fleurs, de poissons, de fruits, de glaces, de rouge…

Epuisé, car on est trop gourmand de cette ville, on rentre se reposer dans l'antre protecteur où s'allume presque malgré soi l'écran d'ordinateur.
On navigue, on circule, on se perd, on entend et désentend aussi rapidement :

Burkina Faso prend le contrôle de
un homme en garde à vue se pend à
une jeune irano-britannique condamnée à
dix morts dans un attentat en
l'état dit tout faire pour

On erre dans ce chant d'acouphènes , on ne cherche plus à décrypter ce palimpseste fantomatique :

l'armée repousse une attaque à
les djihadistes exécutent plus de
de la magie dans l'air au royaume de
les paradis irradiés de
comment dire non aux

On se sent devenir poisson, on frotte ses écailles sur les débris d'un monde dont les éclats se propagent d'écho en abîme :

le gouvernement turc piégé par la bataille de
nouvel échec des pourparlers entre
une adolescente de 15 ans tuée à
les Etats-Unis face aux vieux démons de
Egypte, sept morts dans des heurts

On ne lit plus que ces quelques mots sur la bande passante affichée sur l'écran d'ordinateur ; on n'imprime rien, on sombre dans cet entre-deux de la veille et du sommeil où ce qui s'écrit n'est rien d'autre que des éclats de scories alors que l'après-midi même, on se glissait dans la nacre des ciels de Tiepolo, dans des Annonciations, des Assomptions , des Baptêmes ou des Cènes . On voudrait ouvrir ce monde là à la lecture publique : à contempler fleurs ou nuages, une force douce pourrait naître et dans cette soudaine apnée, tendre un fil où tout un chacun pourrait avancer sur l'équilibre des jours. 
Mais on le sait bien, il y a aussi les Crucifixions, les massacres des Innocents, les Lapidations, les Martyrs de saints, les Décapitations, les Pietà – dont on se lasse pas pourtant…. et tout cela ne manque pas dans Venise : il y aurait même une sorte d'overdose à trop hanter les églises et les musées de la ville. Alors on se concentre sur les émotions ressenties à rester un long moment dans l'oratoire de San Polo devant les mélancoliques toiles de Giandomenico Tiepolo où se déroule une Passion empreinte de silence et de solitude. Les photos ne disent rien de l'émotion contractée et dilatée, lorsque certains tableaux se tressent en soi comme lames de verre, se déploient avec la même force que ces chapelets de mots qui entaillent la langue et que l'on garde en bouche jusqu'à ce goût du sang. On ne saurait dire ni le pourquoi, ni le comment de ces rencontres clandestines incrustées dans une intime solitude. On se sent juste alors au bord d'un précipice où l'on n'aurait pas peur de glisser.




jeudi 20 novembre 2014

"Bruissements accentués"

On apprend à l'instant qu'une bombe a explosé dans la gare d'Atocha de Madrid à 7h30 ce matin. Ce matin les négociations du prix du lait ont encore échoué. Lorsque nous aurons du nouveau, nous interromprons nos programmes. Nicolas Sarkozy est candidat à sa propre caricature. Le décret 2004.175 stipule que les mots "de la programmation et du développement" seront remplacés par les mots "de l'évolution et de la perspective". Le ministre Luc Ferry a visité une école du 16ème arrondissement de Paris ce matin et a trouvé ça "très joli". Tout homme qui est décidé à mourir peut agir sur les événements. On se demande si le chiffre 11 a été choisi au hasard ou si dorénavant  il faudra surveiller ce chiffre à chaque fois qu'il surviendra. Faudra-t-il aussi surveiller ses multiples ? se demandent les experts ; 2 années 1/2 / 911 jours après 11/09. Nous interrompons nos programmes car on nous signale qu'une autre bombe a éclaté quelques minutes plus tard. On signale déjà des dizaines de morts. On pense aux Séparatistes basques d'ETA. Attentat au cœur de Madrid. Arrêté du 11.3 portant extension d'un avenant à la convention collective des industries métallurgiques. Irak : guerre de l'après-guerre. Europe. Que faisiez-vous le 11 septembre 2002 ? 2005 ? 2010 ? Que faisiez-vous le 11 mars 2004 ? Que faisiez-vous le 24 décembre 1992 ? Le 11 septembre 1888 ? Comment la finance a tué Moulinex ? Algérie : le grand silence. Presse menacée. Femmes voilées : le débat fait rage. Guerre secrète. Pourquoi tant de haine ?

"Même un paysage tranquille, même une prairie avec des vols de corbeaux, des moissons et des feux d'herbe ; même une route où passent des couples, même un village pour vacances, avec une foire et un clocher, peuvent conduire tout simplement à un camp de concentration."*

Aujourd'hui sur la même voie, il fait jour et soleil.

Il est important de savoir que le pied d'un mur ou d'une clôture est un endroit desséché.
L'Europe face aux migrants. Quelle autonomie pour les Kurdes d'Irak ? Ultranationalistes en ex-Yougoslavie. Le salon du livre s'ouvre à Paris dans un contexte bouleversé. Une 3ème bombe cachée dans un sac à dos a explosé vers 10 heures dans un autre train de banlieue. Sarko : un chat qui retombe toujours sur ses pattes ?

* début du film Nuit et brouillard de Resnais, texte de Jean Cayrol

lundi 17 novembre 2014

Personnages (5)

Assis sur son pliant près de la porte de la gare,  un accordéon posé sur les genoux, il joue presque en sourdine, sur des rythmes impossibles, des airs étranges évoquant des vallées profondes, des sentiers muletiers, les voyageurs qui les empruntent et des aigles qui les survolent, témoins impassibles d'évènements terribles. Ses vêtements, son petit chapeau posé sur le sommet de la tête lui donnent un air étranger.

Chemise blanche, cravate sombre, son costume chic et ses chaussures éblouissantes forment une panoplie que complète une Rolex, comme ultime décoration de la réussite économique et sociale. L'ensemble lui donne un air déplacé dans cette foule à la mise décontractée et pratique qui attend sur le quai. On ne comprend pas ce qu'il dit au téléphone dans une langue étrangère, mais il semble très en colère.

Le casque sur les oreilles, les pieds dépassant du quai, l'adolescent se balance en rythme, les yeux fixés sur les rails, comme s'il attendait que quelque chose se passe. De temps en temps, il s'immobilise, quelques bruits, quelques bribes de mots non identifiables, franchissent la barrière de ses lèvres, puis il retombe dans son balancement mutique.

L'homme en uniforme sort du petit bureau marqué, Chef de Gare, et jette un long regard sur la foule amassé le long du quai. Puis il se dirige vers une des extrémités de la gare et remonte lentement le long des voies vers l'autre bout. De temps en temps, d'un geste de la main il indique à quelque réfractaire ou distrait qu'il faut reculer au delà de la limite de sécurité matérialisée au sol par une bande de peinture claire.


Le jeune homme au bord du quai provoque chez moi un sentiment de malaise. Il me donne l'impression de prendre son élan. Cette nuit sans sommeil, solitaire sur ce quai m'a mis dans un état second, propice à imaginer les aventures les plus chimériques. Les nerfs à fleur de peau prétendent ressentir le moindre mouvement d'âme. C'est un de ces moments, où le sentiment d'extrasensorialité donne toute licence à l'imagination pour s'enflammer.

vendredi 14 novembre 2014

impasses, chemins, mouvements du monde

Sur la toile
des nombres et des codes des zéro et des uns
des lignes de chiffres simples apparaissent disparaissent
 colorées ou grises
Ce sont les chemins de l'information où se bousculent des cris...
des dominés
des enfants noyés dissouts sur une table chirurgicale pour une banale appendicite tués par une balle perdue
des filles des femmes violées stérilisées assassinées
des villes qui tombent
des corps mis en quarantaine
des prisonniers du virus dont on ne parle plus
des viandes-poisons avariées asticotées
baleine échouée sur une plage de Camargue
des buts marqués manqués
des matchs à égalité
des ventes privées point com
des inondations de la boue
Des conversations des malversations
Derrière la toile dans les pages les plus éloignées sur les chemins les moins visibles de l’information...
le robot a repris sa liberté après vingt ans d’emprisonnement dans l’espace il a oublié de s’ancrer et gambade loin des regards
 un quartier de Fortaleza un village d’Autriche ont  leur propre monnaie dissociée des taux bancaires une monnaie  générée par la richesse des échanges entre des producteurs locaux et les habitants
 une schizophrène  du passé canonisée quand d’autres expérimentent la nouvelle molécule chimique
des jardins partagés  sur les toits des villes
de la pluie dans le désert
L'enfant crie Au Feu et sauve ses sœurs sa mère 

Le mouvement du monde bafouille se répète  à l'identique grelotte et s’échauffe
le mouvement s’ouvre sur une prairie se referme sur l’infamie 
parle peu des femmes sinon comme choses 
parle peu des enfants sinon comme victimes 
le mouvement du monde.... Encore