vendredi 30 janvier 2015

Automne 2014, consigne 7

Marie-Pierre ayant dégainé plus vite que mon ombre, je résume la nouvelle consigne ( De F.Bon)

On part à l’assaut de quelque chose qui n’est pas visible, l’unité d’un texte à venir, pour lequel on a accumulé du matériau, de l’écriture, en ce que ce texte va nous révéler une dimension imprévue... 
......un écrit distancié, comme si vous n’aviez rien écrit encore, un dossier (presque aussi rasoir que les dossiers envahissants nos vies professionnelles), décrivant non pas l’écriture comme projet de vie, mais décrivant le plus précisément possible le texte auquel on veut aboutir.

En train, à pied et à cheval sur la consigne



Comme un jeu de piste, séance après séance, de maison en appartement, (« attention ! Changement de dernière minute : ce n’est plus chez A mais chez B. » ; « B-i ou B-e ? »), nous revisitons une consigne, et ce n’est rien de la dire, puisqu’en ce qui me concerne, des personnages que j’ai déjà oubliés, comme elle l’exige, sont déposés dans une gare, une salle d’attente, des trains. Même si les consignes ne sont plus guère utilisées, (pour cause de plans Vigipirate plus ou moins activés, mais en général plutôt foncés), difficile à présent de faire transiter par ces petits casiers gris, -dont la clé à bout rouge aura au préalable, été déposée sous le paillasson de l’agent trouble - une mallette bourrée de FRANCS surtout depuis que nous sommes passés à l’Euro. Je ne sais pas dans quelle mesure ce passage a impacté ou non le dépôt, mais le fait est que l’Euro et la consigne ne font pas bon ménage.
Chaque nouvelle directive arrive à heure juste, et si la grande prêtresse est déficiente, un messager est dépêché ; on ne reste pas en rade comme des personnages en attente de correspondance ; si on est soi-même empêché, la consigne est rapidement déposée dans notre boîte mail, ce qui me rend un peu perplexe puisque d’habitude on dépose des choses dans les consignes et pas le contraire. Mais la variété sémantique de la langue m’a toujours ravie, et l’important c’est que ça corresponde.
Le déplacement du lieu, de l’objet, et de sa fonction. J’en connais une qui ne raterait pas l’occasion de dire « hétérotopie » ; moi j’hésite encore, n’ayant pas tout à fait encore mis le mot « à ma main », ou « à ma plume ». Un lieu fermé / ouvert, un lieu qui devient personnage avec son invitation échappatoire, son temps assis -lorsque l’on est chanceux- qui impose la réflexion sur le sens des départs, toujours chargés dans le même sens, et la peur constante du piège que représente la consigne.
Dans un premier temps, contemporain,  il s’agirait donc de savoir ce que l’on met dans la consigne, ou ce que l’on ne peut plus y mettre. Tout aura, auparavant, été soigneusement radiographié, scanné, car il est hors de question qu’une bombe explose en pleine séance, éparpillant participants et cacahuètes et faisant des tâches sur les canapés. Non. En revanche, la - voire les – bombes, peuvent avoir explosé avant. Avant que ça ne commence. Les temps (à définir mais toujours menaçants) étant aux attentats, on s’en émouvra, mais on ne sera pas surpris outre mesure, on ne prendra pas cela comme de l’opportunisme et de l’exploitation de l’actualité, mais comme un fait qui, certes, reste encore exceptionnel, mais cependant déjà intégré dans le quotidien « Soyons vigilants ensemble ». Les personnages seront au fait des événements. Ils arriveront dans l’histoire bardés jusqu’à la nausée d’informations. Ils ne seront pas nés du dernier train, à moins que l’apparition d’un nouveau-né ne soit nécessaire au bon déroulement de la consigne. (Mais non, il n’y a pas été déposé dedans ! on n’est pas chez Victor Hugo quand même !) Ils ne réagiront pas tous de la même façon, certains auront plus d’épaisseur psychologique (je n’ai pas dit qu’ils seraient forcément obèses non plus) ; d’autres bénéficieront d’un vocabulaire soutenu. D’autres enfin, des figurants, feront partie du flux, du décor ; ils n’auront aucune récurrence, ils iront de cour à jardin, et on leur appliquera le tarif syndical pour cette prestation, mais pas plus.
Dans un autre temps, hors du récit sans doute, on aura pris la peine de relire Murakami, Blaise Cendrars, Maylis de Kérengal (mais rien ne nous y oblige), les carnets de voyage de l’oncle Frédéric, Agatha Christie, de demander quelques tuyaux au mari de Jeanine sur les tracés des TGV, de passer quelques après-midi à Chateaucreux, à la gare de l’Orient express à Istanbul ou à la gare St Lazare, dans le NUIT ET BROUILLARD, bref, d’accumuler du matériau ferroviaire afin d’en avoir sous la pédale le moment venu, celui de la consigne.
On se sera souvenu que l’on a soi-même passé beaucoup d’un ancien temps dans les trains, entre St-Etienne et Paris, entre Paris et la grande banlieue, dans les wagons rouges et blancs entre St-Etienne et Lyon, entre Paris et la Mer du haut, dans les trains de nuit verts à soufflets, dans les soufflets, avec les bidasses, avec la fumée, et dans les salles d’attente de « cinéma » aussi. On aura fait un tour complet de sa mémoire de on, et on en rechapera des fragments couturés, sans oublier les atmosphères de gare du Nord la nuit, où l’on attendait, là plutôt qu’ailleurs, où il s’agissait d’attendre rien, sans même se poser de question.
De temps en temps on s’intéresserait un peu à l’histoire à raconter, mais l’important serait surtout l’attente, le figé, la stagnation dans le doute ; une tension perpétuelle qui questionnerait toujours, sans perdre de vue la consigne et ce qu’elle contient, ou ce qu’elle cache. Jusqu’à la fin on resterait dans la marge, celle de la liberté, celle du mythe de la contrainte imaginée par le Bon François et revigorée par sa bonne messagère.
Pour mener à bien toute cette entreprise, un abonnement à La vie du rail, un billet A/R pour Oulan-Bator et l’acquisition de quelques valises à roulettes  me semblent nécessaires.

mardi 27 janvier 2015

Visages de Venise




Le poing fermé, pétrifié dans l'attitude de qui veut laisser partir le coup mais se maîtrise encore assez pour le garder aussi serré que la mâchoire, laissant ainsi saillir les plis tendus d'un visage parcheminé du passé. L'autre main , paume ouverte, est encore pleine d'un tourbillon d'espoirs, où peuvent se déchiffrer des lignes de vie à venir, malgré les dangers qui la menacent, semblables à un regard serein posé loin sur l'horizon. Dans le labyrinthe des visages que Venise offre au plus humble passant , enfin à celui qui sait qu'il ne sait pas grand-chose , on dit que l'on peut en compter plus de mille… alors il faut juste se laisser surprendre et guetter ces flux d'ombre et de lumière qui tour à tour se diffusent sur la peau de la ville . 
 
Elle a le visage ravagé du plein midi quand elle ne peut plus reprendre souffle, asphyxiée par les touristes qui piétinent tous le même pavé , s'exclament mais ne regardent que les ors d'un maquillage qui tend peu à peu à couler. 
 
Elle a le visage plein d'ombre et de mystère de ces églises désertes tapissées de toiles prestigieuses, de colonnades, de sculptures, de mosaïques, d'espace où l'intime pourrait enfin s'épandre et cela ferait presque peur.

Elle a la frimousse enfantine de ces campi où s'ébattent des enfants à la sortie des écoles, où des ballons se faufilent entre les jambes des passants, où des trottinettes zigzaguent entre les traits d'ombre et de lumière dont seuls des enfants savent s'emparer. 
 
Elle a le visage émacié presque décharné, d'une décrépitude annoncée lorsque frôlant des doigts ses murs resserrés , pour une caresse, on les contemple emplis d'ocre et de poussière : on prend alors conscience de l'ampleur des morsures. 
 
Elle a ce visage rayonnant lorsque une explosion de lumière fait flamboyer fenêtres et façades et que l'eau en un miroir facétieux renvoie toute cette splendeur en de fulgurantes paillettes et dentelures. 
 
Elle a ce visage moqueur de qui, se mirant dans une glace déformante constate les effets d'une vieillesse noble déjà bien installée. 
 
Elle a le visage de ces grandes vedettes, empli d'artifices, de passion et de fureur qui la submergent et qui semble figé dans la réalité d'une jeunesse fanée depuis longtemps. 
 
Elle a le visage mélancolique d'une chanson égrenée par un gondolier solitaire enfonçant sa rame dans un rio tout en songeant à une vie fantasmée.

Elle a le visage libertin de qui se calfeutre derrière un masque afin de réaliser ses désirs les plus secrets et se faire passer pour ce qu'il n'est pas. 
 
Elle a le visage entrelacé de vérités et de mensonges quand le masque se confond avec le visage , et l'on ne peut qu'errer dans ce labyrinthe de rides d'eaux et de terre , imaginer la forêt souterraine soutenant cette ville qui ne montre qu'une moitié d'elle-même dans une inébranlable fragilité. 
 
Elle a le visage brouillé de ces petits matins pleins de brumes où on n'aperçoit même plus San Michele, l'île des morts, mais où l'on croise les fantômes de quelques uns qui ont marché ici, qui ont aimé , qui ont écrit, qui ont rêvé, qui ne sont plus mais qui dans ce brouillard hantent encore la cité.

Elle a le visage nocturne qui vous frôle d'un souffle, sous les arcades sombres avec un parfum qui pourrait bien vous perdre , au bord d'un rio où l'on pourrait bien glisser, puis soudain sous les réverbères de la place où vous la reconnaissez et murmurez amoureusement son nom.
 
Elle a surtout ce visage d'aube quand, son propre pas perturbant le silence, on assiste aux élucubrations d'un ciel qui se mire dans les eaux de la lagune et tout est alors possible, puisque le soleil lui donne ce teint de pêche et que des rubis, ors, turquoises, émeraudes, saphirs, jaspes brodent l'étoffe du matin.

mardi 20 janvier 2015

Comme un écran de veille


Un univers plat où rien ne vit. De temps à autre l’image se referme sur elle-même, s’envagine, disparaît en volute et dans l’instant une autre image est là, immobile à son tour.
Mais l’image n’est pas forcément, parce qu’immobile, sereine.
Parfois elle laisse transparaître l’enfer d’une pensée, qui s’est figée, à la lisière du front ; ou bien l’éternité d’un souvenir aux bords sucrés. Bien sûr les yeux font presque tout le travail. La lumière qui y passe ou bien s’en enfuit décide à elle seule du climat. On pourrait le croire. Ce serait tenir à l’écart ce léger mouvement de paupière, cet infime pli de la bouche qui tire vers le ricanement. Cette mèche de cheveu échappée du couvre-chef.
Combien de milliards de choses, de visages, de paysages, de mots, de ciels de tables, de chaises, d’assiettes, de bouches de lèvres, d’oiseaux ce visage a-t ’-il contemplés ? Combien de milliards d’images s’y sont-elles imprimées ?
Je  te dévisage, Monsieur, je pose sur tes traits des histoires qui ne sont pas les tiennes, je t’envisage, te vole tes pensées. Dans cet espace restreint où nos 2 vies attendent, à l’arrêt, ton visage est happé par mes yeux. J’en regarde la surface, la croûte plus que la peau, le masque. Tu peux faire de même, nos visages ainsi posés en devanture, ne nous appartiennent plus.
Je te lis mais me trompe sans doute de chapitre. Je t’image tout à ton futur voyage alors que peut-être tu penses à ton prochain repas, ou à tes brûlures d’estomac. Le paysage ici abandonné, parce que tu n’as pas la force d’en offrir un autre, cette neutralité qui n’advient pas, est-elle la somme provisoire et momentanée d’une vie passée à regarder sans être vu ? Quelqu’un a-t'il imprimé la trace de ses caresses sur tes joues ? Quelqu’un a-t’-il laissé le goût de ses lèvres sur le bout de ton nez, sur tes paupières ? Quelqu’un a-t’-il chatouillé les oreilles ?

Il n’est plus temps sans doute. L’image s’est à nouveau figée. Mais pendant un bref instant, j’ai cru y voir glisser un sourire.
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[Et puis, mais ça n'a rien à voir,!!!, voici le beau visage d'Hubert Haddad, (sur une photo aussi dorée et croûteuse qu'une installation de Giuseppe Penone) auteur d'un livre intitulé "Du visage et autres abîmes" (que m'offrit en son temps, notre chère Anne Marie Bredy, à l'origine de cet atelier) et dont voici l'argumentaire.
"Le visage humain est assurément la surface la plus passionnante de l’univers. Sur cette "peau d’âme" s’inscrivent les fugacités de la prétendue "nature humaine". Hubert Haddad en explore ici tous les aspects, toutes les mimiques et expressions. Le visage est l’envers trahi du décor, l’image inverse du monde, son reflet souvent si mystérieux. À vrai dire, il est pur effet de culture. Hubert Haddad évoque tour à tour les multiples états du visage, de sa formation utérine à ses divers rôles sociaux et physiologiques, comme la gemmelité, la vieillesse ou la monstruosité.
Une suite d’illustrations commentées vient étayer cette réflexion : visages de la sorcière, de l’homme public, de l’hystérique ou du phénomène de foire..."
 EXEMPLES





et auteurs(du coup j'en mets un "s") aussi de tous ces magnifiques machins magasins sur les ateliers d'écriture.] 

et une émission sur FranceCul Hubert Haddad sur France Culture


photo Hubert Haddad © ZULMA/HANNAH ASSOULINE

lundi 19 janvier 2015

visages paysages


Cernes du temps, rides, caresse du vent
Lignes de fuite sur le parchemin-peau
Astres sombres, lumineuses pupilles
Ultime traces d’un sourire, d’un mot
Dessins d’étoiles autour des yeux
Imprimé d’épiderme, estampe, paysage
Univers gravé dans les plis du cuir
Spirales du cours d’eau, source d’or


                                                     "scrigno" de guiseppe penone au musée de grenoble



Longueur des traits, joues rondes 
Unique mélodie de voix, elle chante 
Clair-obscur en noir et blanc au front 
Insulaire point culminant d’un dessin qui s’élance
Langueur du geste dans les cheveux 
Eclat marin des yeux, bleu comme un ciel


samedi 17 janvier 2015

Dévoilement du visage ou celle sans visage


« Voici donc le visage humain devenu un pays à explorer, un paysage dont l'apparente stabilité dissimule quantité de minuscules événements » Jean-Michel Maulpoix Préface « Henri Michaux »


Ton visage m'étonne à chaque fois que je le scrute, fixé à jamais sur une photo. Ce n'est pas par ton visage que je te connais mais les intonations de ta voix qui me le dévoilent : rieur ou en colère, semonceur, sévère ou triste.
Ta voix, les phrases que tu m'adresses, dessinent ton visage plus justement qu'aucune photo ne sait le faire ; c'est pourquoi justement sur les photos tu n'y es pas.
Enfant, je savais avant même de me lever, quelle était ton humeur et donc ton visage aux bruits que tu faisais - casseroles entrechoquées, pas précipités, portes claquées, ou sons feutrés du pique-feu et de la porte -.
Quand tu me racontais ton enfance, par la nostalgie et les mots que tu utilisais, je voyais apparaître le visage de l'enfant que tu avais été et malgré notre différence d'âge, c'est toi qui devenais l'enfant et moi, la vieille femme récipiendiaire de tes précieux récits.
Ton visage en négatif dans ta silhouette, de la tête aux pieds de noir vêtue ; le portrait de toi accrochée dans la petite chambre, portrait pris le jour de ton mariage ne me parlait pas de toi. Je n'y croyais pas un instant : trop figé, peau trop lisse, yeux immobiles. Toute la vie de ton visage, cette tache blanche qui flottait au-dessu de tes vêtements, était dans sa mobilité, sa vivacité. Ton visage miroitait dans ta silhouette comme apparaîssent furtivement les yeux du chat dans l'obscurité.
J'aimais ton visage que pourtant je ne parviens pas à revoir aujourd'hui, je l'aimais mais ne pense pas l'avoir jamais réellement regardé ; je l'entendais, devinais, savais, sentais.
Belle ? Décrire tes traits ? N'a aucun sens. Belle tu l'étais par la vie qui émanait de toi, la force que tu dégageais et la volonté que tu affirmais.
Ton visage à la fin de ta vie : champignon désséché, fripé qui se vidait de l'intérieur. Ton visage mort, tout à coup, détendu. Ce n'était plus toi, quelqu'un était venu et t'avait remplacée.
Ton visage, constamment balayé de feux follets ou révélé par les flammes, intériorité à fleur de peau, peuplé d'ombres violentes, d'aplats, de lueurs flamboyantes, mouvant, fascinant, métamorphosé à vue, se dessinant en creux et en relief dans ma mémoire.


vendredi 16 janvier 2015

visage

Il a dans la bouche le goût de l’agitation du ruisseau et de la fougère sur la lande au petit matin ;
Il entend 77 sursauts dans son corps, Bang Bang Bang : des pas étouffés marcher vers lui;
Il aspire une dernière fois le souvenir de sa femme, encore à moitié nue deux heures avant de prendre le train pour Moscou ;
Il attend
observe le chant des cigales cette fin d’été, le bruit des vagues en contre bas de la route ;
Il attend,
écoute le caillou sur lequel sursaute son monologue intérieur, s’écrasent les mots trop lourds. Des légers, aussi.
Il fait grincer sous sa langue, le souffle du papier à lettre et la gifle de cette troisième ligne : « je te quitte »
Il effleure du bouts des doigts Le Partir et dans un dernier geste, il murmure : « ma vie a été riche, mais elle a été vaine ».



jeudi 15 janvier 2015

Automne 2014 consigne 6

S'interroger sur le visage en tant qu'écriture. Comment le faire exister dans la phrase sans le décrire?

 Il disait : « Le visage d’un enfant, n’étant pas encore sculpté par le langage, est visage hors du temps.
« Le temps du visage est le temps de ses rides. »
Il disait aussi : « Le premier visage est tendre appel aux visages qu’il préfigure ; le dernier, la somme de tous nos visages flétris. »

Edmond Jabès, Le livre des Ressemblances, Gallimard, 1978.

dimanche 11 janvier 2015

monologue entre dehors et dedans


Tu surgis soudain d’un passé un peu lointain, mais pas trop, ça fait combien de temps ? ah nos joyeuses années militantes, les ondes, les fous rires (ici pointe de regret), un peu comme si tu avais poussé là, sur la moquette grise fraichement aspirée, où je promène mes jambes en compensées et la corolle de ma jupette, tu es là tout droit, un livre à la main, c’est quoi ce livre ? (tu me le montreras à la fin mais je n’en dirais rien ici, c’est un peu secret), je te demande si tu vas bien et tu ne dis pas «oui», ce oui vague et facile qui élude les creux, gomme les aspérités, éloigne la parole, as-tu dis non ou l’ai-je entendu ? je m’en saisis pour laisser venir des mots qui n’auront peut-être pas la banalité ni la fadeur, le ton convenu et désengagé que j’adopte d’habitude sur le lieu, (ce lieu en train de me rappeler par la voie sonore, «chers clients, chers adhérents...», qu’il ouvrira ses portes les dimanches de décembre, que je suis contre le travail dominical, que cette année je vais devoir déroger à mes principes), pendant que tu oses me dire des choses de ton désarroi, que tu as été quitté, délaissé, largué, jeté, que tu me laisses lire ton chagrin dans les yeux, le désarroi des hommes me touche, je nous rappelle qu’il y a longtemps c’est toi qui m’avais consolée, quand prise dans la tempête je m’étais confiée à ta force tranquille, solide comme un roc, le bloc aujourd’hui se fissure, me  dévoile ses failles, une fragilité inattendue, mais belle, émouvante.


samedi 10 janvier 2015

monologue du souffle

il faut que cela s'écarte, que le souffle s'insinue et efface le trop plein de mon esprit, creuse un espace, dénoue les fils entremêlés d'une pensée sans recul, réveille les bleus de l'aube oubliés, caresse les lobes de l'oreille et redonne l'équilibre à mon corps fatigué, rende le frisson à mes yeux devant tout ce qui est donné à voir et à entendre, trace cet arc de lumière entre le dehors et le dedans , me traverse et me remette debout, alors oui je sais où il me faut aller, c'est là , dans ce recoin silencieux du Castello, dans ce coin du recoin , à l'écart de tout ce qu'on croit être Venise, je vais là, je suis là, je marche, je tourne sur moi-même et à chaque pas mon pied effleure les dalles funéraires de nobles vénitiens endormis là depuis des centaines d'années mais cela ne me trouble pas, bien au contraire, car je me sens comme soulevée sur des nuées d'azur, dans une nappe de temps où tout mouvement, même le plus infime, prend de l'ampleur : un brin d'herbe qui s'incline, le frôlement de l'air dans le cou, le feuillage du cyprès qui frémit sous la présence d'un merle près de la statue de Saint-François , la main posée sur le puits, l'intensité des silences même si, dans le hors-champ du cadre où je suis enserrée, se notifie la sirène d'un bateau, puis plus près le battement d'ailes d'une mouette caressant le cloître de son passage, et dans le même instant mon pas qui rythme le jour allant vers sa fin, un pas puis un autre, puis un autre, puis un autre et doucement se glisse en moi la sensation d'être, non d'être dans un lieu précis avec des coordonnées de latitude et longitude, dans ce presque jardin clos de murs, mais d'être au sens fort de ce mot c'est à dire ressentir cette bribe de soi élevée au degré d'une conscience avec le bleu du ciel caressant le campanile, les parois ocre rouge des briques calfeutrant mes pensées et le murmure des mots que l'on voudrait griffonner alors sur la page blanche - sans majuscule ni point - afin de laisser le vide s'infiltrer, frotter à son tour les tombes usées aux inscriptions illisibles, (mais mes propres morts vivent en moi) et révéler ce chant des fissures où la pensée se laisse aller, s'allège jusqu'à devenir une sorte d'adagio puis de plus en plus partition de silences qu'on serre autour de soi comme les plis d'un voile pour se réchauffer un peu, et dans ce tourbillon d'impressions qui submergent , rester dans ce paysage dans cette marge du temps, en suivre les lignes d'horizon, et démontrer peut-être qu'un autre chemin est possible - ce serait un peu comme photographier le secret d'un secret, avec au bout des doigts une focale qui s'élargirait - puis ce temps horizontal ne pouvant durer, s'immiscer dans la volée de cloches et s'éveiller dans un bien-être total au cœur de ce cloître, regarder à nouveau cet entour qui nous est indispensable , voir un enfant dialoguer avec un lézard, entendre le murmure d'une jeune femme à son compagnon qu'est-ce qu'on est bien tu trouves pas, et toujours en un souffle que c'est joli , puis observer ce couple qui pénètre d'un pied , se brûle au silence et repart aussi vite, cet homme à casquette qui vient prendre une photo de la statue de François avec le citronnier à son côté puis disparaît à son tour, et se dire alors que je tourne dans les cloîtres pour tous ceux qui ne savent pas quel trésor est caché là, quelles questions peuvent naître ici, quels    blancs    prennent place en soi avec de plus en plus d'ampleur         et de bonheur        alors je marche    et   même si         çà rime à quoi       se    dit      un peu       le   pas        se     fait        air                des   mots          se posent                     le       temps          poncé         pétille        et       parler       ras        est         sûr

 

samedi 3 janvier 2015

Récits d'objets

Le Musée des Confluences (Lyon) a convié des écrivains à choisir un objet parmi ses collections et à en faire la matière de leurs récits. Le temps d'une lecture, les mots et la chose s'entrelacent. 
Dans cette collection, j'ai choisi Emmanuelle Pagano "En cheveux" et Philippe Forest "L'enfant fossile"

E. Pagano a choisi un châle en soie de mer dont l'originalité tient autant à sa nature qu'à son histoire. Sa matière est la soie, pas celles que nous connaissons (celle du bombyx du mûrier ou la soie sauvage) mais le fil soyeux élaboré par un coquillage bivalve, la grande nacre de Méditerranée. Pour résister aux courants, le mollusque s'ancre au fond marin au moyen d'une touffe dense de filaments formant le byssus. Ce châle a été tricoté à partir de telles fibres préalablement lavées puis cardées tandis que son pourtour est orné d'une frange de byssus à l'éclat mordoré. Relatée depuis l'antiquité, l'exploitation de soie de mer le long des côtes de la Sardaigne, de la Sicile, de la Calabre et des Pouilles, a perduré jusqu'au début du XX° siècle.

" ... C'est Nella qui m'avait expliqué comment on fabriquait cette soie de lumière dans laquelle était tricoté le châle qu'elle me laissait palper, moi et pas mon frère, qui d'abord s'en était offusqué, comme un trop petit pour les choses de grands, puis s'en était désintéressé, répondant à mon père lorsqu'il nous cherchait, ma tante et moi, elles font des trucs de filles, elles se déguisent."

P. Forest, lui, a choisi un fragment de mâchoire d'enfant qui tient dans le creux de la main, vestige vieux de quelques 40 000 années et qui appartient à l'Homo sapiens, c'est à dire à notre espèce.

... Il faut absolument faire confiance à la fiction afin que la réalité se manifeste enfin. Je suppose que si je suis devenu écrivain, c'est parce que je n'ai pas cessé de le croire. Archéologue à ma manière : non pas pour retrouver ce qui a été, mais à seule fin de le faire advenir. Persuadé que les mots viennent avant les choses, que les choses viennent des mots, qu'elles naissent d'eux, qu'il faut aveuglément se fier aux fables pour que celles-ci prennent forme et révèlent la vérité qui n'existe nulle part sinon en leur sein.    ....
....
.... même celui qui se souvient finit par disparaître ... jusqu'à ce que du monde où il a vécu ne subsiste rien. Rien ? Un vide creusé dans l'épaisseur même du temps et où vient se loger perpétuellement la même absence, retenant la forme fossile de ce qui n'est plus, mais qui, cependant, pour l'éternité, un jour aura été."

Et comme un bonheur ne vient jamais seul, le 1° janvier 2015 le philosophe F Worms affirmait sur France Culture "Le deuil est la seule manière que nous ayons de continuer une relation donc aussi d'être nous-même"

Bonne lecture et bonne visite de ce beau musée.

vendredi 2 janvier 2015

Heureuse année 2015 à tous


Que l'année 2015 soit celle du merveilleux, du rêve, de l'aventure, de l'ouverture, de la curiosité, des rencontres, des étonnements, des questionnements, du partage. Que nos journées soient inondées de lumière et nos nuits de magie. Que chacun de nos 365 jours soit un vaste chantier pour un monde plus beau, pour un hymne à nos différences et vécu comme un départ.


photo JF Barthale