jeudi 9 juillet 2020

Ravin du Jugement /2

J’ai voulu toucher l’invisible entre les failles du temps. La carte en mains , je me suis approchée du Ravin du Jugement. J’ai frôlé ses ciels et surplombé ses abîmes. Ai marché sur le chemin, que l’on dit celui du facteur, parfois simple sente entre ravin et pierre, concentrant mon regard sur la pose du pied entre pierre et racine. Sur ma droite, des flaques d’obscurité, un ravin donc empli de troncs déchiquetés, d’une végétation gloutonne se répandant comme membres de chimères aux méandres délirants. Impossible de discerner ce fond de ravin, à peine devine-t-on le cri de l’Ance dans ses entrailles qui entaille le silence de ce lieu où l’on souhaite que rien ne se passe. Tenter alors d’emplir ses poumons du souffle des arbres, bosquets de noisetiers et bouquets de bouleaux, de sentir le froissement des perles de lichen entre les doigts, de poursuivre les turbans de lierre du regard jusqu’à leur disparition. Sur toute cette nuit qui tremble au fond du ravin, ne pas trop se pencher. Laisser ces grumeaux de noirceur macérer dans ces antres, poursuivre le chemin, espérer l’éclaircie où apaiser les yeux et porter loin sur l’horizon , un ou deux toits connus, quelques prés arpentés par un tracteur, une route plus haut, et après une légère courbe la tourelle du château et le hameau enfin silencieux et fier. Découvrir sur le bas-côté, un rocher refuge – on en revient toujours là – dit “le fauteuil du diable” qui surplombe le vallon où se murmurent peut-être des phrases inaudibles , qu’il est mieux de ne pas comprendre. Alors, du ventre même, quelque chose de connu se décline, comme une secousse d’éternité qui résonne et diffuse dans les veines le message d’être encore vivant, les mailles des forces invisibles se desserrent et la lumière qui baigne le hameau révèle des brassées de fleurs où reprendre des couleurs. Au retour, laisser fondre sous le palais quelques fraises des bois et framboises déposant un message rougi au coin des lèvres.



 

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Je vois que tu ne perds pas ton temps, ni le Nord ... Magnifique texte, j'en aime surtout la fin et cette lumière qui libère de l'oppression du début et le rouge goûteux des fraise et framboises des bois