dimanche 17 mars 2013

C'est dans une maison

 

C'est dans une maison qu'on est seul. Et pas au-dehors d'elle, mais au-dedans d'elle, quand toute l'ombre se pose sur les épaules, quand les lèvres se taisent, les yeux s'ouvrent tout grand et s'apaisent, quand la poitrine se dilate librement à l'abri des regards.
C'est dans une maison que solitude rime avec quiétude, que le dehors s'efface et que nos rêves affleurent. Alors, tous les inconnus qui nous habitent peuvent enfin peupler ce feutré conte d'hiver qu'est notre for intérieur. L'air se fait plus dense, l'obscurité et le silence envahissent tout l'espace de leurs ailes de papillons de nuit qui volètent comme un groupe de jeunes gens sur un boulevard le soir en bord de mer.
C'est dans une maison que j'ai accroché la sanguine peinte par tes doigts qui me renvoie à cette solitude silencieuse que j'aime retrouver en rentrant chez moi.
C'est depuis que tu me l'as offerte que j'ai trouvé le centre du mandala qui était là depuis longtemps en moi. Dedans, juste dedans. Et, sans doute, l'écroulement silencieux du monde aurait commencé ce jour-là. Au début, j'ai cru que ce serait douloureux, tant de silences tant d'ombres tant de place pour ne voir que soi-même, à peine si j'aperçois les mains de la jeune femme tant le tableau absorbe la lumière. Après quelques mois, je pressais le pas en montant l'escalier et vite je jetais mon manteau pour qu'on se regarde dans les yeux.
Ce sont les jours de neige où j'aime particulièrement la retrouver. Quitter tout ce blanc dehors, cet aveuglement, le gel et le froid et me blottir dans sa chaude obscurité accueillante. C'est un peu comme si je quittais Wall Street, ses rumeurs, ses paris, ce monde d'argent et de luttes pour rejoindre – telle Alice traversant le miroir – un monde ouaté ouvert à tous mes fantômes. Au fil des ans, c'est dans ma chambre, face au miroir que j'ai trouvé sa place définitive. Je la vois en permanence. Debout dans la chambre, je lui fais face et, couchée, c'est elle qui me guette dans le miroir. Ses joues roses et ses grands yeux sont mon arsenic, ma mort subite, et certains soirs, je m'endors nombreuse. Nous sommes dix dans mon grand lit, tous veulent parler en même temps, un vrai concert de noix de coco. Qui me croira si je révèle que le silence, l'obscurité, la solitude engendrent un tel vacarme intérieur ? Qu'en dirait un informaticien avec ses oui/non, à chaque question sa réponse prévue et aucune autre ? Moi, je m'y retrouve, plus même, j'y puise des forces et une énergie décuplée pour affronter le dehors chaque jour. Je suis à même chaque soir de retrouver mes pistes sans devenir paranoïaque.
Quel talent dans les doigts qui ont tenu ce crayon ! Quelle mission s'est vue confier l'artiste ! Se doutait -elle de tous les fantômes qu'il allait libérer ?
Maintenant, après tant d'années, maintenant que tous se sont exprimés l'un après l'autre, je te vois, toi, la jeune fille, et je sais que tu souris parce que tu es forte, calme, sereine, sans préjugés.

2 commentaires:

natô a dit…

j'adore ton texte .. il m"emporte dans ces mondes mystérieux, à la frontières du réel, comme ceux que me fascinent tant dans les livres de henry james .. peut-être cela a-t-il été déjà dit à l'atelier (?) mais le "certains soirs je m'endors nombreuses", quelle belle trouvaille !

lin a dit…

et ces oppositions entre vacarme et silence, intérieur extérieur, face et couchée, soi et nombreuses, comme l'a bellement écrit Natô, etc;, c'est génial, hyper construit sans en avoir l'air !!! spontanément