mercredi 11 septembre 2013

Nuits africaines



Est-ce la moiteur du climat, l'état léthargique dans lequel l'humidité ininterrompue laisse le corps, la perte de tous repères habituels qui font retentir si fort en moi les nuits africaines ?

Chaque nuit me prenait dans un sortilège. Aussitôt couchée, tout bruit semblant avoir cessé, je m'aperçois bien vite que le silence est habité par un brouhaha lointain et incessant. Vagues musiques dans le lointain, caquètements, bêlements, sarabandes de souris et de margouillatss sur ma tête, tambours, paroles de femmes … La moiteur du corps et des draps, les bruits-musique en fond sonore, le sommeil arrivant basculent mon esprit dans un état de confusion mentale. Mon corps ne m'appartient plus, mon esprit non plus. Je suis ensorcelée, prise dans les rets d'un maléfice ou est-ce subjuguée par un charme, tous ces sons lointains ayant l'effet magique d'incantations. Ces sensations totalement inhabituelles à mon corps, mon cerveau brouillent tout. Perceptions, souvenirs se mêlent, fusionnent. Tous mes repères s'évanouissent, ne reste rien à ma rescousse, ni connaissances, ni certitudes, ni croyances. Hallucinée, l'esprit flottant, tout mon être est en semi-conscience, hors de tout contrôle de la raison. Fascinée, charmée, vaguement effrayée, tout m'échappe. Dans un état de demi-sommeil différent du rêve, ma porosité au monde, mon déboussolement est total. Déliée, sans défense, envahie par le monde, tout peut arriver.
Certaines nuits, éclate une altercation. Des cris explosent, des hurlements fusent. Les femmes hurlent, les ados rétorquent, des enfants pleurent et derrière tout cela toujours les mêmes battements de tambours, les vibrations de basses d'une musique, les frôlements, bêlements. Rythmes et volumes vont crescendo puis tout à coup s'apaisent en un diminuendo comme si une entente était en vue. Quand, tout à coup – un chef d'orchestre dirige t-il les opérations ?- rythmes et volumes enflent sans que ne se perçoive aucune réelle agressivité. Emportée par cette fête des voix, je me suis souvent questionnée : altercation impromptue ou danse organisée ? Questions / Réponses ? Choeur hommes / Femmes ?
… Et puis chacun-chacune salue, j'entends les pieds frotter le sol, on rentre, la bagarre est finie jusqu'à la prochaine fois, on se salue.

5 heures du matin, au réveil d'une nuit ensorcelante, de « pensées » molles, de rêves érotiques, j'entends, avant le jour un oiseau lancer son chant, mais les bruits domestiques qui commencent l'empêche de se déployer dans le silence. Chants des coqs, poulies des puits grinçantes, couinements des portes métalliques, bêlements des chèvres plus forts, tintements des bassines métalliques entrechoquées, doux chuintement des courts balais de palmier que passent les jeunes filles dans les cours, repoussent doucement le voile de la nuit. Quelques jeunes enfants pleurent. Le muezzin a déjà poussé ses appels. Dans deux heures, il fera jour et les sons vont s'amplifier.
Certains matins, lorsqu'il a plu la veille au soir, sont comme un commencement du monde : les coqs chantent, en silence les enfants calmés balaient la cour détrempée, le déjeuner est de pain frais livré à six heures par Blandine, de confiture de mangues, de petites bananes et d'un ananas juteux juste ouvert. La pluie a apaisé le monde, les hommes, les esprits. Règne un calme inouï. On dirait un début de monde, tout neuf, tout frais, tout calmé, lavé. Les femmes vident les cases, les nattes sortent au soleil pour sécher. On recommence à zéro.
Finis les sortilèges. Qui a parlé d'envoûtements ? Les palmiers se balancent dans un ciel infiniment bleu.

La cour se réveille

Lever



Sous le palmier

Estelle au puits


Tatasonga au nord de Natintingou

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