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Parfois
j'ai la rage, il y a un lieu sur terre que j'aime par-dessus
tout, un bout de papier lu, aucune parole vraie prononcée, des
nuages qui galopent dans le ciel si vite qu'on s'on demande après
quoi ils courent, un fauteuil confortable, un tricot à finir, des
ongles striés et cassants, un vent qui s'immisce sous les portes,
j'ai appris à être froide et détachée,
ça fait du bien, des pages qui volent, un grand panneau
électoral, un homme adossée à un mur qui chantonne, des petits
seins qui pointent, une carte du ciel et Cassiopée qui apparaît, un
immeuble pyramidal qui me bouche la vue, lors
du concert de Youn Sun Nah, je l'ai enviée d'avoir un
tel coffre et de pouvoir sortir d'elle-même des sons aussi amples et
forts, un beffroi qui sonne plusieurs fois par heure, une
grande souffrance venue de temps bien antérieurs, une
incompréhension fondamentale, des amies, beaucoup d'amies et
quelques rares amis, des andins dans un pré, j'aime toutes les activités
qui m'offrent une délivrance ou un oubli et me plongent dans
l'instant pur, un énorme tas de bois
rangés par gabarit et espèces, des épices sur des étagères, de
la confiture de lait et des pissenlits partout, une réelle espérance
et des idées en vrac, je déteste les
lâches, des cauchemars, des cahiers qui
s'entassent dans des caisses, des copeaux de bois, des agates, du
mica, des plumes, un éboulis de pierre, de la garance et des écorces
je ne supporte pas les gens qui placent
leur argent au lieu de vivre, des
cocotiers et Aimé appuyé au tronc de l'un d'eux, des lombrics qui
font l'amour, Moriane qui me tend la main et deux grosses larmes qui
roulent sur ses joues au moment où la voiture démarre, des graines
de tomates et des sentiments qui s'égarent, j'ai
de plus en plus de patience et de moins en moins de forces, deux
femmes qui s'aiment, une assiette de mets délicieux, un champ de
coquelicots, un vieux vélo avec freins sur le rétropédalage, un
jacuzzi et des gauffres à la framboise,
j'aime les vrais couples mais ne suis pas certaine que ça existe.