« … Tu as une
lointaine ressemblance avec quelqu'un que j'ai connu, la voix est la
même, le soleil est encore chaud, de quoi ai-je l'air ainsi vautrée
sur cette chaise, moi aussi je dois n'avoir qu'une vague ressemblance
avec celle que tu as connue, tu parles, je n'écoute que les
modulations de ta voix, ce que tu dis se perd dans le feuillage et
cette maison derrière toi, qui n'a pas changé, elle, pas un coup de
peinture aux volets, tous ceux de notre époque pourraient
réapparaître dans ce décor intact, ce sont eux qui seraient
incongrus mais tous reconnaîtraient le décor, le même, toujours le
même, cette permanence des lieux et nous là un demi-siècle plus
tard, je voudrais bien saisir ce qui en toi subsiste et ce qui est
radicalement différent, savoir où je t'ai laissé et qui j'étais à
ce moment-là, mais le décor m'entraîne dans un autre temps auquel
je ne m'attendais pas du tout, pas plus qu'à éprouver autant de
plaisir à le retrouver, j'écoute ta voix, elle va avec le cadre, je
vois ta mère, morte depuis des années traverser la cour et ton père
qui marche dans l'appartement de Vienne, je vois sa corpulence, son
visage et toi, quinze ans, porté par ta voix, je vois bien pourtant
que quelque chose cloche, ce ventre rond sous ton tee-shirt, je me
redresse pour cacher le mien et ces gestes lents, cette posture qui a
remplacé ton impétuosité, j'essaie de rendre mon regard plus
pétillant, je voudrais te dire ... tu continues de parler et je
regarde autour de moi, deux plans se téléscopent, le passé
derrière toi et ton corps devant moi, ta voix fait le lien, cette
mobylette au loin, j'en avais une que tu m'avais vendue quand je suis
partie en fac, elle était bleue, je l'ai écrasée sur l'arrière
d'une voiture qui a freiné trop brusquement, et Françoise, il faut
que je te demande si tu la vois encore puisque tu sembles vivre
encore en ce temps-là, est-ce que tu te souviens de ma grand-mère
et du sapin à côté du bassin, mais tu continues à parler de
Brésil, de petit-fils ... »
mercredi 31 décembre 2014
lundi 29 décembre 2014
monologue avec le texte
- « avant de commencer la lecture, je dois vous dire que Sophie ne peut
pas venir et elle s'en excuse »
- « qui c’est Sophie ? »
- « la fille brune un peu timide qui vient depuis deux mois ; elle est médecin, elle a un cabinet à G. »
- « qui c’est Sophie ? »
- « la fille brune un peu timide qui vient depuis deux mois ; elle est médecin, elle a un cabinet à G. »
peut-être
nous
aurions discuté, ou échangé au moins un regard, un quelque chose m’aurait
mis sur la piste, j'aurais fait le lien ? « La plupart des gens ont l'imagination obtuse »*.
et elle
? nous serions en train de nous reconnaître, comment soutenir nos
regards ?
des
coups d'œil
étonnés,
un léger sourire gêné,
un air de rien ?
ce
serait intéressant de
savoir si j’existe pour
elle,
ou pas
elle ne
sait rien, personne ne m’a évoqué auprès d’elle,
je ne
connais pas ce texte de Zweig « 24 heures d’une
vie d’une
femme »,
il faudra que je le lise en entier
Damien ne
lui a pas donné d’explication quand il l’a quittée, il a surgit chez elle, elle ne l’attendait
pas, « on
arrête
tout » « Rappelez tout le monde ! lança-t-il
au chef du personnel d'une voix tout juste intelligible. Rappelez tous vos
gens, ce n'est plus nécessaire. Ma femme m'a quitté »
Il a dit qu’il
avait craint qu’elle le quitte à nouveau, il a pris les devants, poussé
par la peur d’être délaissé à nouveau, puis il a regretté
Est
revenu la voir
Elle n’a
rien voulu savoir
Alors il
a attendu, maigre, au bord du gouffre
Arrête
de refaire l'histoire !
Il garde la place, pour Sophie,
est-ce
qu'il attend encore aujourd'hui ?
Un creux rempli de souvenirs qu’il raconte parfois, par mégarde, ressassant
les derniers jours
Il lui
ramenait des affaires, au compte goutte,
un jour un disque, une semaine après un livre, puis une écharpe,
et ainsi de suite, pour la voir, provoquer l'explication, convoquer la réconciliation
Elle n’ouvrait pas, lui disait de laisser les choses dans la boîte aux mots perdus
Alors il lui écrivait
Elle ne répondra pas aux lettres
Six mois
avant, elle était venue à l’improviste
lui annoncer qu’elle
partait pour un autre, sans rien ajouter
Plus
tard, elle était revenue, silencieuse
concentre-toi sur la lecture, tu t’en fous de cette histoire,
ce ne sont pas tes mots « (...) le bruit s'était vite répandu
que Mme Henriette avait pris la fuite non pas seule mais en compagnie du jeune
Français
(envers qui la sympathie de la plupart d'entre nous se mit dès
lors à
fondre à vue d'oeil) »
Damien
n'en parle plus, il la tait, il en rêve ? et dans ce rêve
elle ne vieillit pas ?
Ils se parlent
dans leurs monologues intérieurs ?
ai-je déjà
lu Zweig?
Un après-midi en ville, la tension soudaine de Damien :
voir ses yeux se fixer vers un point, percevoir ce corps prêt
à
bondir, torturé, cloué au sol, et déjà
lancé
à
sa recherche, déjà face à elle
Henriette, regrette-t-elle ?
tu n’existais plus comme ami : sans toi il aurait bondi, se serait faufilé, aurait heurté les passants, l’aurait retrouvée près du bar, serrée dans ses bras, aurait tenté sa chance, encore
tu n’avais
rien à
faire ici, tu n'as rien dit non plus
tais-toi.
*les passages en italiques sont des extraits de "24h de la
vie d'une femme, S. Zweig.
vendredi 26 décembre 2014
nous sommes à une charnière
Charnière, quel rapport avec charnier et charnier avec chair niée et pourquoi j'écris toujours ethymologie avec un h, ça sent l'alcool de mots c't'affaire, ça fait fermentation c'était quoi cette émission sur le e muet, le féminin qu'on n'entend pas, les femmes ont toujours droit au silence "oh ferme-là, tu me casses les oreilles" -Quelqu'un ! faites que cette petite fille soit un e muet, que sa mère arrête de lui crier dessus, que sa mère rentre et la couche,et se couche aussi, que le monde entier se couche, à chaque fois je m'en sens coupable de ne pas m'ingérer "tu es trop directe Chantal" -et toi pas assez mon cher, on se perd dans tes circonvolutions - et je me sens coupable de non assistance à personne en danger, j'accumule de l'observation du matériau, je fais des listes sur une pensée en 2 colonnes le positif d'un côté le reste de l'autre une longue phrase avec des dents, comme un piège à loups qui se referme sur moi dans cette salle d'attente et du temps perdu, depuis combien d'heures -je ne savais pas qu'on pouvait atteindre un tel seuil de fatigue et être encore vivant, si ça se trouve je suis morte et personne ne m'a prévenue, je suis dans l'antichambre de quelque chose, tout à l'heure lorsque je me suis assoupie je suis passée de l'autre côté, sans m'en rendre compte, allez arrête, clame toi, non, toi aussi tu es un e muet, la majorité silencieuse, celle qui n'a pas le droit d'exprimer ses sentiments, calme toi plutôt, un temps perdu de survivante, de quoi je me plains, oh mon dieu si j'avais pris ce métro, j'ai 36 ans , j'ai échappé à un attentat, je suis seule au monde, personne ne sait où je suis, je me suis glissée dans une fente du temps, j'ai 50 ans, je devrais faire partie du carnage, merci qui ? Comme je l'aime ce type avec sa casquette ridicule, de quel carnage a-t'-il réchappé, lui ? où rêve-t'-il d'aller ? comme j'aimerais bercer cette petite fille la câliner la déposer endormie dans sa poussette, rasséréner sa mère ; tous ces gens qui continuent de vivre d'aller et venir, tous ces gens qui s'embrassent sont contents de se retrouver - charnière ? que disent les saintes écritures numériques ? zut presque plus de batterie, personne à rassurer, personne à qui dire que je n'étais pas dans cette rame de métro, "nous sommes à une charnière" et moi je suis sortie de mes gonds, c'est con, "il faut que nous prenions du recul" peut-être qu'à force d'en prendre on tombe à la renverse, quand on dit ça c'est qu'on en a déjà pris "j'ai besoin de réfléchir", miroir mon beau miroir, je la rate jamais celle-là, et moi de dormir, dormir.
jeudi 18 décembre 2014
Automne 2014, consigne 5
Pour cette cinquième consigne, il faudrait se risquer sur la pente du monologue, qui ne se développe qu'à partir de ce que sait le narrateur, sans avoir besoin de narration objective. Une voix intérieure qui s'ouvre à de libres associations, sans besoin de les justifier.
(J'espère que vous avez bien travaillé ! j'ai hâte de lire vous productions....!)
jeudi 11 décembre 2014
Liliana et elle
Liliana
Elle a 30 ans, elle
est journaliste, vit à Paris et côtoie Albert Camus et Louis
Guilloux, elle aime cette vie d'intellectuelle.
A 8 ans , dans une
école de Venise, elle s'oppose à une enseignante qui a puni
injustement une de ses camarades : elle ne supporte pas une
vérité dénaturée.
Elle a 33 ans , un
premier roman écrit dans sa langue maternelle est refusé chez les
éditeurs italiens, alors elle le réécrit en français : La
Vestale sera publiée chez Gallimard .
Elle a 18 ans,
vient de quitter son lycée à Venise pour s'inscrire à la fac de
Padoue, en philosophie.
Elle a 40 ans et
traduit Camus, Gracq, Breton en italien.
Le 10 mars 1950, à
43 ans , elle va au théâtre juif de la rue Guy-Patin à Paris avec
Louis Guilloux, voir les marionnettes. Elle vit une histoire d'amour
discrète avec lui. Elle lui écrira plus de cinq cent lettres.
A 50 ans, elle est
journaliste pour la Rai et des radios françaises.
Elle a 39 ans, elle
habite un appartement dans le palais situé de l'autre côté du
canal qui borde la place San Zanipolo et, chaque matin elle peut
fixer le terrible Colleoni sur son cheval de bronze. Entre les
visites de Guilloux, elle arpente Venise, scrutant et narrant dans
Carnet vénitien le temps
éclaté de la vie dans sa ville tout
au long d'une année.
Elle
a 28
ans, elle est une jolie femme
brune, élégante , raffinée et mystérieuse :
la petite Angelina la fille de sa voisine lui murmure un soir qu'elle
est si belle qu'elle ressemble à un ange ; Liliana se sent des
ailes !
Au mois d'avril
1951, pendant une dizaine de jours, elle découvre la Bretagne avec
Guilloux : ce sera Carnac, Brest, les calvaires. Elle emplit son
regard des couleurs de la Bretagne, entre le gris tendre des maisons,
le jaune des ajoncs et le bleu doux du ciel.
Elle
a 63
ans, vit très seule, mais assure des conférences au sein d'une
association oeuvrant pour le rapprochement des pays d'Afrique avec
l'Europe et fait de nombreux
voyages. Elle est
toujours obsédée par la vérité.
Elle
a 42 ans et traduit en français Les Fiancés
de Manzoni avec Guilloux, elle se prénomme alors Silvana par
discrétion.
Elle a 68 ans ,
c'est le 2 juillet 1985 : elle meurt à l'hôpital de Mestre.
A la fin de sa vie,
elle découvre le Japon , la philosophie zen, la littérature, la
poésie et durant sa dernière année se consacre à composer des
haikus. Ce sera sa dernière activité littéraire.
Elle
Elle a 45 ans et se
trouve être une habituée des halls de gare et des arrêts de bus :
ce matin, c'est pour l'île d'Aix qu'elle s'évade avec sac à dos ,
où est arrimée sa canadienne, un couteau à huîtres dans une
poche et un livre dans l'autre : il lui faut l'air de l'océan
et la solitude pour quelques jours.
Elle a 24 ans,
rejoint un stage de zen et on vient de lui voler son sac avec ses
papiers et son argent ; c'est la troisième fois que çà lui
arrive, elle se pose des questions mais ne trouve pas de réponses.
Elle a 33 ans avec
plein d'enfants autour d'elle, c'est la vie qu'elle a choisie , enfin
pas tout à fait quand même, des rêves continuent de la hanter
qu'elle rejoint dans les livres qui la sauvent de tout.
Elle a six ans,
avec son père et son frère elle construit des châteaux de sable
sur une plage de l'océan. Un jour, elle partira elle aussi comme ces
petits voiliers qui voguent là-bas très loin.
Elle a 18 ans ,
l'avenir l'angoisse, elle ne sait pas où elle va. Elle est très
solitaire et regarde autour d'elle avec une inquiétude d'ombre
au fond des yeux: elle n'est pas faite pour ce monde là.
Elle a 40 ans et a
compris qu'on ne construit pas sa vie uniquement sur des rêves,
alors elle jette le sac de matelot de son grand-père sur l'épaule,
où elle a glissé le nécessaire pour quatre jours de vie et un
livre de poèmes qui ne peut se lire qu'à Venise, et elle réalise
le rêve , après des heures de trains avec changements, attente,
angoisse, de déambuler seule dans Venise.
Elle a 55 ans, n'a
prévenu personne et s'est affalée dans un train, elle ne sait pas
où elle va et çà lui est égal. Elle se dit qu'elle voudrait bien
retourner à Venise.
Elle est à Venise
.
mardi 9 décembre 2014
La grande jeune fille au magasin. Le vieil homme dans le champ.
Elle a 7 ans toute encombrée de sa grande taille. Elle a 13 ans des yeux très bleus. Elle est timide. Calme. Un fin sourire aux lèvres elle acquiesce. De petits mouvements de tête. Le jury l’interroge sur son travail. Elle a 29 ans. Elle a 26 ans. Elle photographie les ruelles de Kyoto. L’éclosion des fleurs. Les chats nonchalants. Elle a 23 ans. Elle pleure dans le stock entre les caisses de livres. Sa voix tinte comme une clochette soulevée par le vent. Elle a 17 ans. Sa frange coupée très courte. Elle ressemble à une princesse de l’ère Edo. De fines mèches électriques cernent ses joues poudrées. Le front brille souvent. Ses mains alignent les piles avec précision. Elles ne peuvent s’en empêcher. Elle a 22 ans. Au cours de "sumi-e" elle trace des silhouettes de fruits ou de légumes. Elle a 28 ans. Ses bras ses mains tentent de se glisser entre les "shôji" en papier de riz. Cela dure longtemps. En noir et blanc. Couche par couche elle revêt des kimonos. Elle va avoir 30 ans.
Il a 63 ans. Sa silhouette voutée forme une virgule entre les sillons de terre. Il porte un béret noir qui penche vers son oreille. Il a 68 ans ou 73 ans ou 85 ans... Il tient sa main d’enfant quand ils se promènent tous deux à travers champs. Des chemins creux. L’odeur près des cochons. Il a 37 ans. Ses mains calleuses poussent l’aiguille dans les pièces de cuir. Il est sellier. Dans son atelier il peint les champs les arbres les fleurs. Des odeurs de térébenthine. Il a 69 ans. Il fait son portrait en robe blanche et sourire. Il coupe les branches des «chatons». Qui ressemblent à de petites pâtes très douces des coussinets. Il a 73 ans. Sur la tablette de la clinique ils jouent à la bataille. Il l’a laisse gagner ? Ou c’est l’inverse ? Il a 71 ans. Il lui répond que quand il sera mort ils ne se verront plus. Il a loué une cabane dans la montagne au dessus du lac. Il va à la pêche avec ses copains. Il a 36 ans peut-être. Il sourit sur la photo. Elle est sur ses genoux heureuse. Il est difficile de dire son âge.
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