Lettre de la 13° année
"Mes chéries,
J'éprouve à nouveau le besoin de vous écrire, vous qui êtes venues si tôt cette année.
Le fait est que mon magasin de ciel est rempli d'hirondelles, ce qui m'a conduit à me mettre à écrire cette lettre de bienvenue, car leur retour avec le beau temps mérite toujours ces félicitation de la dernière fois.
"Je ne vous écrirai plus" se dit-on en vous envoyant la dernière lettre, mais soudain vous revoilà avec toute la surprise des premières vacances.
Vous posez vos nids dans les entonnoirs de l'air et vous vous faites marqueterie dans le bleu comme des incrustations aussi byzantines que surréalistes.
Ceux qui prétendaient nous enfermer dans leur arrogance voient que subitement nous nous amusons à vous regarder, trouvant chez vous le signe qui sauve et exorcise.
Sourcils du matin et du soir vous voudriez rester tranquilles sur le ciel, peintes et immortelles ; mais on voit bien que vous ne pouvez pas car vous avez beau résister d'un vol freinant et statique, aussitôt vous prend le frémissement de l'oscillation.
Ce qu'on ne saura jamais c'est si vous êtes les mêmes ou si vous êtes différentes. Chateaubriand racontait avoir vu les mêmes hirondelles à Rome, au Caire, en Belgique. Les romantiques croyaient porter dans leur coeur leur propre hirondelle, tel un destin ailé, comme la comète familière qui, quand ils ouvraient leurs valises matelassées, s'envolaient par la fenêtre de leur hôtel, protégeant et ponctuant leur destinée.
Déchaînez encore votre joie et ne cessez de nous offrir ce si joli spectacle de celles qui courent comme pour se jeter dans le bras de quelqu'un.
Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)
Cette dernière lettre correspond approximativement à mon déménagement. La 1° était postée de la Drôme où, dans le ciel de ma fenêtre, les hirondelles égayaient mon coeur et mes regards ; cette dernière, avec leur départ et le mien de la Loire où, d'où je résidais, je n'en pouvais apercevoir que très rarement. Les jours moroses d'hiver, quand je ne verrai que la grisaille, c'est leur retour que j'attendrai avec impatience.