dimanche 30 janvier 2022

Les plaisirs de la porte

"Les rois ne touchent pas aux portes. 

Ils ne connaissent pas ce bonheur :pousser devant soi avec douceur ou rudesse l'un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, --- tenir dans ses bras une porte.

--- Le bonheur d'empoigner au ventre par son noeud de porcelaine l'un de ces hauts obstacles d'une pièce ; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l'oeil s'ouvre et le corps tout entier s'accommode à son nouvel appartement.

D'une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et de s'enclore, --- ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huilé agréablement l'assure."

Francis Ponge "Le parti pris des choses" nrf Poésie/Gallimard p 44

Après les affres du déménagement, en voici les fruits, les joies goûtés aux coin du feu de bois. Ces livres exhumés d'étagères empoussiérées, restés fermés 20-30 ans et que je relis avec délectation.

Certes, j'arrive un peu tard pour les portes mais on dira comme ça : "Ange arrive en retard cette année"

mercredi 26 janvier 2022

# 7 A mes pieds.

      La matière souple et flexible vacille. Câline la semelle de propreté noire et luisante caresse la peau qui l'a choisie. A droite à gauche de l'avant un écart en arrière. Elle tressaille. De la chambre au salon du salon au balcon. Elle frémit. L'aile de quartier rembourrée diffuse sa chaleur attentive. Elle titube. Pointe d'un ballet ordinaire qui abolit et l'espace et le temps. Point de fioriture. Un tissu-velours noir strié de pastel. Sur le cou de pied la boucle d'un lacet timide. Mais un chausson-douceur pour tempérer les levers difficiles . Un chausson-tendresse. Une chaussure de chambre éternelle exploratrice du jour nouveau. Voyageuse légère. Elle assure mon pied de son oeil attentif.

lundi 24 janvier 2022

Hommage à Henri Merle "Je mettrai ..."

 

Je mettrai des jacinthes blanches

à ma fenêtre, dans l'eau claire

qui paraîtra bleue dans le verre .


Je mettrai sur ta gorge blanche

et luisante comme un caillou

du ruisseau, des boules de houx,


Je mettrai sur la pauvre tête

du malheureux chien tout rogneux

qui a des taches dans les yeux


la plus douce de mes caresses,

pour qu'il s'en aille grelottant

un tout petit peu plus content.


Je mettrai ma main dans la tienne,

et tu me conduiras dans l'ombre

où tournent le feuilles d'automne,


jusqu'au sable de la fontaine

que la pluie si douce a troué,

où se détrempe le vieux pré.


….........................................

…..................... la pluie fine

ma pensée douce comme la bruine.


Je mettrai sur l'agneau qui bêle

une branche de lierre amer

qui est noir parce qu'il est vert.

 

Francis Jammes « De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir » nrf Poésie / Gallimard p 90

J'apprends ce matin, la nouvelle du décès de Henri Merle qui a écrit quelques années dans cet atelier. J'ai souvent pensé à lui en relisant ces poèmes. Ce sont les bons côtés d'un déménagement : émergent des livres non ouverts depuis des années et qui vous happent. Celui-ci en est un dont j'ai eu envie de lui / de vous / offrir un fragment.


mardi 18 janvier 2022

Une pierre


C’était une grosse pierre - d’autres auraient dit rocher

- remarquable et discrète elle était toujours là

posée à l’extérieur d’une porte d’entrée


- quatre vingt dix de large soixante de hauteur -

sa surface presque plane nous servait de banc,

de siège pour s’asseoir et voir tomber le jour.


Voir descendre le jour et perdre la lumière

ou voir monter la nuit et gagner le silence.


Etrange comme une perle monstrueuse et baroque

dans la noirceur la pierre, sous la lueur nocturne,

prend la couleur laiteuse d’une lune voilée.


Humble pierre le jour qui ne sert qu’à s’asseoir,

la nuit ambassadrice de l’intersidéral,

d’un cosmos rêvé par un enfant songeur,


comme un point de repère dans l’univers immense,

comme une ancre flottante sur l’océan du temps.


Éperdu on cherchait un ryhtme à l’univers,

une musique unique une harmonie des sphères,

un chiffre qui règlerait la course des planètes


Mais la pierre météore, sur laquelle le soir

au coucher du soleil, parfois l’on s’asseyait

ne bougeait pas d’un pouce : ou peut-être la nuit.


Au cœur du silence sombre elle s’envolait souvent

et je pouvais la voir au milieu de mes rêves.


Protégeant la maison elle tournait en rond

en un cercle parfait dont nous étions le centre,

mais au lever du jour, à nouveau, elle est là :


discrète, comme endormie, mais froide sous la main,

dans la chaleur du jour elle rend la fraîcheur

qu’elle a capté la nuit dans son parcours cosmique.


Les souvenirs d’enfance lorsqu’on les réassemble

deviennent parfois des contes que l’on a inventés.

objet mystère


"je ne sais pas", pas de ponctuation

samedi 15 janvier 2022

à l'antique

à l’antique – ou tout au moins à l’ancienne –

prendre la peau des mots – dans la lenteur du

geste nécessaire – avec l’attention requise –

et manier l’art de la concentration marié aux

impondérables de l’instant – délayer la forme

des lettres – emperruquer chacune d’encre dès

l’espoir de nos lèvres – le bleu mésange flue

sur la rivière de la page – une valse se joue

entre plume et papier – des hoquets d’encre –

et les mots deviennent couleurs – cela glisse

cela crisse cela s’écrit – pleins et déliés –

tout est là pour éclairer ces mots ruisselant

de plaisir – délivrés des bords de la plume –

langue du porte-plume serré entre les dents –


Codicille:

Pour ce qui est de la forme, je persiste dans mes contraintes habituelles:

pas de majuscule - commencer par à - pas de ponctuation autre que le tiret - être proche des cent mots ( 104 exactement) - des vers justifiés - et ce qui pourrait faire titre ou dire de quoi il s'agit, à la fin.

Pour ce qui est du fond, je continue d'écrire sur une série d'objets en lien avec l'écriture.

 

jeudi 6 janvier 2022

Une porte de grange


La porte de la grange qui donne sur la cour

montre sur sa surface des traces du passé,

souvenirs de couleurs des anciennes peintures ;


les fentes des panneaux nous parlent de saisons ;

des hivers algides et des été ardents

ont révélé des fentes comme des plaies ouvertes ;


la matière est si sèche qu’elle semble rainurée 

par un peigne d’acier aux pointes acérés ;


la vieille porte bouge sous l’haleine du temps

et montre sur sa peau les stigmates de l’âge,

manifestations brunes de son vieillissement.


Comme la main qui tremble trace sur le papier,

tentatives de mots, des signes  peu lisibles,

qui pourtant de l’oubli extraient des souvenirs


comme syllabes tombées d’on ne sait quel soleil

s’envolant dans le soir : leur lueurs nous éclairent.


De la porte de grange qui donne sur la cour,

un vantail a frémi sous la poussée d’un souffle

faisant grincer un gond tordu, humide et froid,


comme un disque vieilli, parmi les craquements

d’un matériau usé nous rend des voix contraintes,

d’où sourd la poésie plus forte que l’usure.


Écrire avec ces sons les petits bruits du temps ;

écrire le silence d’un passé accompli ;


écrire ce qui se tait sous l’écorce des mots

craquelés de saisons et rechercher en vain,

dans le lambeau des songes, un peu de vérité,


De la porte de grange que nous restera-t-il,

Un peu de ce qu’elle est, un peu de ce qu’elle fut,

Dans la lumière orange d’une fin de journée


Qu’y a-t-il à sauver de ce qui fut vécu ?

Peut-être d’avoir aimé et de l’avoir été.

mardi 4 janvier 2022

Sur le seuil : klasma des portes

 

Je n'aime pas qu'on me claque. Il y a des échardes un loquet pendouillant des courants d'air des chicots de bois. Mes ferrures sont fragiles, de la rouille tranquille des siècles de poussière des écailles de temps. Je ne suis pas une traître des judas des fentes des termites ignorés. Je grince au moindre mouvement. De l'huile 3 en 1 des entrebâillements des ni oui ni non. Si j'étais humaine, pas sûre que j'aimerais passer ma vie entière dans cet intérieur. Il y a des seuils de la tolérance des valses hésitations de la peinture décolorée des pas qui s'éloignent.


codicille : à la façon Stéphanie Chaillou (un léger défaut d'articulation). 100 mots. titre de pièce de théâtre