dimanche 7 février 2010

Lettre à Béa




Béatrice,



D'accord, j'entends les consignes, des lettres, des lettres... mais j'en écris de moins en moins.
Toi, tu as inspiré Dante, mais moi qui m'inspirera ? Et à qui écrire ? Mon père ? Ma mère ? Ils ne sont plus là depuis longtemps et ne répondent plus de rien. Mon frère ? Il ne m'a jamais répondu et on ne se parle pas. Ma soeur ? On se téléphone chaque semaine et elle lit toutes mes pensées par blog interposé. Restent mon fils et ma fille. Il fut un temps où l'on s'écrivait... je crains qu'aujourd'hui ils ne croient que j'ai tout à coup perdu la tête et diagnostiquent un Alzheimer précoce. Assez des soins, ces temps-ci il faut que je me protège. A mon homme assis dans la pièce à côté? La loupe de l'écriture déformerait tous mes propos, c'est déjà si difficile de se comprendre par la parole.
Je corresponds depuis plus de vingt-cinq ans avec Henri, un vieux monsieur maintenant. Nous avons déroulé ce fil d'or de notre amitié toutes ces années -parfois douloureuses- Même cette correspondance-là est entrain de se relâcher. Il est si âgé qu'il a peine à répondre et peu à peu tout s'effiloche. J'espace les lettres, je les remplace par des appels...

Alors ? Il reste encore une vieille tante allemande qui me régale de ses caractères gothiques, mais que comprenons-nous l'une de l'autre ? Entre les barrières de la langue, le tremblement de l'écriture dû au grand âge, les caractères gothiques que je devine plus que je connais ?

Après tout peu importe ce que nous comprenons, l'important est ce lien, le maintien de ce lien, que nos deux mains tiennent ce fil fragile du bout des doigts, ce fil de soie que je vois se dérouler est sécrété par la fine patte d'araignée de mon crayon, en volutes, courbes et lignes. Il s'étire, le sens se dilue et se perd, mais le lien résiste, de plus en plus ténu jusqu'à ce que mort s'en suive.

Et puis, je sais bien que sans écrire à personne, j'écrirai toute ma vie, à Béa, à toi mon amour que je ne connais pas, à ce quelqu'un tapi en moi à qui parle ma voix. Et si tous ces fils entrelacés ne sont pas faits pour être lus, ils n'en sont pas moins des antennes lancées en vrille pour tâter d'un monde inconnu. Ils ne cassent pas et tissent en moi et autour de moi un cocon qui m'apaise, me construit, m'emmaillotte et rend ma vie aussi précieuse qu'une chrysalide de ver à soie.

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