lundi 29 décembre 2014

monologue avec le texte


         - «  avant de commencer la lecture, je dois vous dire que Sophie ne peut pas venir et elle s'en excuse »
         -       « qui c’est Sophie ? »
         - « la fille brune un peu timide qui vient depuis deux mois ; elle est médecin, elle a un cabinet à G. »
 le prénom, l'allure, le métier, tout correspond à Sophie, je ne l’aurais pas forcément reconnue, je ne l’ai jamais vue, juste des photos et quelques détails tirés du roman fantaisiste raconté par Damien,
peut-être
nous aurions discuté, ou échangé au moins un regard, un quelque chose m’aurait mis sur la piste, j'aurais fait le lien ? « La plupart des gens ont l'imagination obtuse »*.
et elle ?  nous serions en train de nous reconnaître, comment soutenir nos regards ?
des coups d'œil étonnés, un léger sourire gêné, un air de rien ?
 "Ce qui ne les touche pas directement, ce qui n'ébranle pas leur sensibilité à coups de burin parvient rarement à les enflammer; mais le moindre incident survient-il sous leurs yeux, à portée de leurs sentiments, et les voilà en proie à une passion démesurée"*
ce serait intéressant de savoir si j’existe pour elle, 
ou pas
elle ne sait rien, personne ne m’a évoqué auprès d’elle,
je ne connais pas ce texte de Zweig « 24 heures d’une vie d’une femme », il faudra que je le lise en entier
 « Soudain notre homme corpulent et pesant descendit les marches qui grincèrent sous son poids : son visage était méconnaissable et ses traits étaient à la fois las et courroucés. Il tenait une lettre à la main »
Damien ne lui a pas donné d’explication quand il l’a quittée, il a surgit chez elle, elle ne l’attendait pas, « on arrête tout » « Rappelez tout le monde ! lança-t-il au chef du personnel d'une voix tout juste intelligible. Rappelez tous vos gens, ce n'est plus nécessaire. Ma femme m'a quitté »
Il a dit qu’il avait craint qu’elle le quitte à nouveau, il a pris les devants, poussé par la peur d’être délaissé à nouveau, puis il a regretté
Est revenu la voir
Elle n’a rien voulu savoir
 Alors il a attendu, maigre, au bord du gouffre
Arrête de refaire l'histoire !
 « Il y avait de la tenue dans cet être frappé à mort, une contenance surhumaine face à tous ces curieux qui se pressaient autour de lui et qui, effrayés, honteux, confus, préféraient maintenant s'éloigner » écoute cette histoire…
Il garde la place, pour Sophie,
est-ce qu'il attend encore aujourd'hui ?
Un creux rempli de souvenirs qu’il raconte parfois, par mégarde, ressassant les derniers jours
Il lui ramenait des affaires, au compte goutte,  un jour un disque, une semaine après un livre, puis une écharpe, et ainsi de suite, pour la voir, provoquer l'explication, convoquer la réconciliation
Elle nouvrait pas, lui disait de laisser les choses dans la boîte aux mots perdus
Alors il lui écrivait
Elle ne répondra pas aux lettres
Six mois avant, elle était venue à l’improviste lui annoncer qu’elle partait pour un autre, sans rien ajouter
Plus tard, elle était revenue, silencieuse
concentre-toi sur la lecture, tu t’en fous de cette histoire, ce ne sont pas tes mots « (...) le bruit s'était vite répandu que Mme Henriette avait pris la fuite non pas seule mais en compagnie du jeune Français (envers qui la sympathie de la plupart d'entre nous se mit dès lors à fondre à vue d'oeil) »
Damien n'en parle plus, il la tait, il en rêve ? et dans ce rêve elle ne vieillit pas ?
Ils se parlent dans leurs monologues intérieurs ? 
 « Mais ce qui intriguait à ce point toute la maisonnée, c'était le fait que ni le fabricant ni ses filles, pas plus d'ailleurs que Mme Henriette elle-même, n'avaient rencontré ce Lovelace auparavant"
ai-je déjà lu  Zweig?
Un après-midi en ville, la tension soudaine de Damien : voir ses yeux se fixer vers un point, percevoir ce corps prêt à bondir, torturé, cloué au sol, et déjà lancé à sa recherche, déjà face à elle
 « ce qui signifiait que la conversation de deux heures la veille au soir sur la terrasse et l'heure passée ensemble à prendre le café au jardin avaient suffi à pousser une femme de trente-trois ans, réputée irréprochable, à quitter du jour au lendemain son mari et ses deux enfants et à… »
Henriette, regrette-t-elle ?
tu n’existais plus comme ami : sans toi il aurait bondi, se serait faufilé, aurait heurté les passants, l’aurait retrouvée près du bar, serrée dans ses bras, aurait tenté sa chance, encore
tu n’avais rien à faire ici, tu n'as rien dit non plus
tais-toi.




*les passages en italiques sont des extraits de "24h de la vie d'une femme, S. Zweig.

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Intéressante cette idée de monologue avec un texte.
Heureuse année à vous toutes et tous et bon réveillon