lundi 30 juin 2025

L'oeil et la source /5 bis/ Ineffacé

 



Le regard, porté par le désir d’un ailleurs, s’amarre loin sur la ligne d’horizon dont on sait depuis longtemps qu’elle reste inatteignable, mais on ne se résout pas, malgré tout, à la quitter des yeux. C’est un songe qui flotte alors, entre passé, présent et avenir dont on n’a pas les clés. En soi l’ineffacé. Au loin ce qu’il reste à découvrir de soi. Cette étendue profane, au silence épais en surface, mais où, par en dessous des rumeurs étranges dont on ne peut palper la teneur, grondent et s’amplifient. Ces sons, car on ne peut réellement parler de voix, s’épanchent, se diffusent, s’éparpillent sous l’eau, sans que l’on ne puisse les recueillir afin qu’ils nous révèlent ce quelque chose qui nous attend. Mais on se tient prêt à accueillir une prémonition, à se confronter à ce qui pourrait devenir vision. Au fond de soi des signes et des traces se condensent en superpositions de plis telles des pages saturées de messages, de dessins , de pensées serrées au sein d’un livre, que l’on pourrait déplier pour délivrer ce qui fut une vie :des archives que l’on ne consulte qu’avec distance, avec même parfois une certaine appréhension, car il y a toujours le risque de remuer ces souvenirs de l’intime et peut-être même des secrets bien enfouis, comme un chant muet ; et est-ce vraiment bon de les propulser à une lumière vive. Certains jours pourtant, on ressent cette nécessité d’outrepasser le danger et de rallumer le brasier de la mémoire, et l’on s’enfouit dans ce qui resurgit, progressant par ricochets ou à saute-moutons des rives d’un passé à un autre, qui donne tout son sens à ce que l’on est devenu. Et l’on ne peut s’empêcher d’observer, en éprouvant sans doute un sentiment de pitié ou de désarroi selon les moments, face à la vaste étendue du ciel, que notre vie est si minuscule et que ce que l’on a accompli a si peu d’intérêt, qu’il serait préférable de disparaître rapidement de la surface de la terre. Mais on tente malgré tout de sauver quelque chose, on se sent comme une mouche en train de se noyer dans une goutte d’eau, on s’agite en tous sens, on bat des ailes, et dans un éclair de lucidité ou d’amour-propre, on se tient face à quelque chose de soi que l’on trouve émouvant. C’est infime, mais cet infime, lui, brillant d’un étrange éclat, nous regarde et nous redonne des yeux, en un souffle venu de nos errances. Et nous voilà en chemin encore.

 

Pour la version 1 à partir des trois images liées à Marguerite Duras, voir ici 

mardi 24 juin 2025

 CHERCHER  -  VOIR  où  TROUVER.  /12/

 



Derrière les spirales closes entre les cercles de métal la matière du temps s'enfuit ignore la réalité du présent. La géométrie du carré s'est effacée dans la topographie du rond. Illusion de douceur. L'enfermement est le même et les années se meurent à rechercher l'issue du labyrinthe. Froideur de la matière sous sa couleur de plomb. 
Ainsi les veines du parquet mimétisme des raboteurs veines saillantes sous le poids de l'outil. Leur prison est la même à genoux. Dur labeur encerclé de par les lignes droites. Temps imparti pour la perfection d'un rendu les yeux chargés des copeaux de fatigue. 
Soulever les paupières ou du moins essayer apercevoir le ciel. La verticalité des murs les fenêtres étroites empêchent la lumière mais l'Esprit la devine. Et par-delà les cheminées par-delà les nuages abscons une étoile l'étoile de la Liberté. Où se cache la Vérité?

CHERCHER  -  VOIR  où  TROUVER.  /11/


 

 

 

 


 

 

 

 

 

La vie la mort créées
entre deux temps
entre des murs suintant 
la douleur d'exister
larmes-grêlons piétinées 
à pas lents 
sur la glaise mouvante
s'en aller
greffons multipliés à l'empathie
d'un mur
candélabre implorant 
aux bras fendus de joie
"Entre vidas" pour légende
"Entre muerte" en direction
repos du corps
abandon
souplesse de la main-nonchalance
 sur papier déchiré
le monde du visible
derrière les paupières closes


 CHERCHER   -  VOIR   où   TROUVER.  /10/





       Virgules de sang
apostrophes posées sur la berge
en attente d'un peut-être départ
langues de feu
lutte extrême
souffle du chaud et du froid
aux frontières de la mer gelée 
la glace-baldaquin pour les corps immolés
pour les corps pétris
sous le bleu profond 
des lignes de la nuit
en attente d'une île
réversion des couleurs
émergence d'un souffle
dans le vert sombre de la 
pierre dressée
de l'horizontal au vertical
l'effort de vivre et de créer
                                                                                                                                                                                         
 
 
 

lundi 23 juin 2025

 CHERCHER - VOIR où  TROUVER  ( IV- bis)

 Le moucharabieh de la peur
sur fond de mur de pierres
petits carrés-mouchoirs
voilage de l'indifférence
de la liberté emmurée
mot pernicieux déchiré refoulé
mot enterré dans la profondeur d'un
couloir
aux cris lugubres de l'oubli
des idéaux meurtris sous les pieds
lacérés des pertes ajoutées
froid tremblement lumière sourde
aux cris mouroirs
aux cris miroirs
d'un échappement impossible
seul le labyrinthe des jours 
vide de l'enfermement
du retour impossible
tourner tourner tourner
ne pas sombrer 
être le derviche de son ombre
d'une autre vie imaginée

 

vendredi 13 juin 2025

l'œil et la source /11

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

dans l’entre-deux des lèvres se décline la langue



la parole parabole résonne entre deux rives

le mot hébreu safa a le triple sens

de lèvre de langue et de rive

alors voguent les mots

d’une lèvre à l’autre

d’une rive vers l’autre

d’une langue à l’autre





entre les montagnes une vallée à traverser

dans la co-errance d’un crabe

d’une image en métaphore et en naissance d’images

on chemine pour traduire une lance à la main

on trébuche parfois

on lutte avec le contre-sens

sous un regard protecteur 

 



traduire vient du latin traducere

trans :à travers, ducere : conduire, mener

cela veut donc dire faire passer, faire traverser

d’une langue à une autre porter vers un au-delà du vouloir dire

ne pas cesser de vivifier

la résonance d’un dire





rendre compte du chaos du discours

extraire les pépites du dessous des mots, leurs ailes de lumière

qui parsèment les pages du livre

mais aussi les aléas de la perte au gré du passage

lors de la fuite de mots

et traduire c’est aussi trahir on le sait





comme sur le tronc de l’arbre les écorces s’ajustent se grisent ou se colorent

la traduction effectue une traversée, tangue du point de départ à l’arrivée

s’essaie à un tableau impressionniste entre rythme, sens, transmission et réincarnation, à une polyphonie sur la peau de la page

comme sur les tableaux il faut combler les lacunes et recoller les écailles qui se sont mises à jour



les doigts bien serrés sur la corde des mots assister à une métamorphose

 


vendredi 6 juin 2025

L'œil et la source / 4bis/ Insaisissable


 

Sur la pierre de granite, la tache de lichen saxicole est immobile depuis des millénaires. D’autres sont là, plus loin, et recouvrent le rocher de plaques grisâtres, denses de ces petites particules qui constituent le lichen. Cet être vivant, souvent caractérisé de lépreux ou pustuleux, d’eczéma de l’arbre ou de la pierre, n’est pour moi, comme les taches et les nuages, rien d’autre qu’un projecteur de songes. Le lichen fait image. Il me propose ses hiéroglyphes à décrypter. Ma vie ressemblerait-elle à un jour de lichen* où je tenterais de déchiffrer ce que va être la matière du temps, ou à réfléchir sur ce qui fait s’irradier l’imaginaire, ce qui donne image à voir et à méditer. La broderie des lichens inciterait à voir outre le visible. De cette tapisserie sur pierre aux gravures sur roches dans les grottes préhistoriques, il n’y a qu’un fil à saisir et à se laisser happer par les dessins qu’il reste à interpréter, à replacer dans le contexte de l’histoire, ou à admirer tout simplement. Sur la peau des pierres, tout un monde pour laisser libre cours aux songes et aux transfigurations que l’on peut imaginer, créer, recréer. Les images, les photographies sont des porteuses d’histoires, révélatrices d’un en-dedans que la trajectoire de l’œil a pu détacher et provoquer ainsi une rencontre, une pensée. Cette scène du puits de Lascaux, une source pour apprendre à lire, relire, relier les temps, et prolonger les sources à l’infini. Quelque chose surgit, qui vient dialoguer avec un présent, au-delà de la disparition d’un monde. D’autres temps, d’autres réalités, mais des impressions, des imaginaires qui se côtoient, se croisent, des dérives qui s’épousent. Pourquoi faire image, si ce n’est pour aller vers l’au-delà d’un réel, faire émerger des questions, déplacer le regard, pousser la pensée sur des territoires inconnus, faire du geste de photographier un phrasé d’imaginaire. S’immiscer dans ce chaos d’images perdues, ou de souvenirs qui s’emmêlent, images diffractées d’une réalité dont on n’a plus de certitude. On tentera de reconstruire ce qui a été déconstruit par les années, de se reconstituer un paysage mental, désaliéné de ses entraves. Autour de chaque image, particulièrement lorsqu’on est auteur et acteur de la photographie, il y a une sphère émotionnelle où poser sa peau, frotter son épiderme aux visions cachées, à ses archives intérieures qui surgissent, se révèlent dans une vitalité insoupçonnée. Saisir un élan dans ce tremblement qui palpite, une ouverture vers le fragile, l’insaisissable, vers cette étincelle qui a permis au regard de s’accrocher, l’espace d’un instant.

 

 On peut retrouver la version 1 ici

lundi 2 juin 2025

10 V1 Des images à y regarder à deux fois (V2 en dessous)

 

 

 

 

 

 


 

 D'un monde à l'autre

à lire l'écrivain voyageur comme si on y était

"Je suis follement visuel"

embarqués sous sa plume et son œil d'oiseau migrateur

De ces voyages immobiles

à tourner les pages comme on battrait des ailes

De ces livres-cadeaux tant aimés

qui font de nous des "récits""piendaires"*

qui à notre tour les offrons

et nous rassemblent dans une sorte de confraternité du plaisir


De ce qui est caché

De ce qui reste dans la marge

de ce qui semble être mais est bien plus que ça

Des images à y regarder à deux fois

 

Et l'arbre déploie ses ramures à perte de vue

l'œil se perd dans les bibliothèques

s'habitue aux tranches sur les rayonnages

ne comprend plus

à perte de sens dans un pays inconnu un paysage 

sage à première vue

l'œil se sent usurpé

ce ne sont pas des livres

ce ne sont pas des manuels de survie

ni des atlas ni des cartes

ce sont des données plus ou moins alimentaires

pas forcément nourrissantes


Quel en est le classement ?

pourquoi tant de hauteur perdue sous plafond ?

 

Sous les branches domptées à chaque nœud de l'arbre

une promesse de fruit

un ancêtre

un paquet de café

le gros lot

 

l'œil regarde accommode éprouve l'inconnu

Puis s'accommode du rouge érodé des briques

de la géométrie inhumaine de l'entrepôt

du menu proposé

"Faites rêver vos invités dès la première bouchée"


*récits-piendaires : merci au lapsus d'oreilles de Solange

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V2 du 10

(Des images à y regarder à deux fois)

 Comment choisir sa route parmi tous ces méandres ?

Tous ces chemins qui ne mènent qu'à Rome

surtout si on ne veut pas y aller

Tous ces fleuves qui mènent à la mer

quand on préfère la montagne

Toutes ces données codées dans les entrepôts amazoniques

dans la boue dans la fange de la jungle googlelienne

dont un oeil émerge parfois au-dessus de la vase

un troisième oeil ? un big brother ?

Une voix sourd d'entre les pages

du manuel de survie

mais le monde est muet

liquéfié dans sa glaise

les récits de voyage immobiles ou lointains

l'oeil se perd, se méprend, voit double

dans la mangrove où se tissent

les racines aériennes qui remontent à la source

les branches arrivent au tronc plutôt que le contraire

Et dans des bibliothèques calibrées

chaque produit mort dans son étagère

de la nourriture en briques

on nous prend pour des poires dans nos espaliers

codebarrés indicés qrcodés

et jamais ne pouvoir cocher la bonne case

 

Comment se repérer parmi tous ces mensonges

l'oeil crie, le nez sature de pourriture glacée

"suis devenu bizarrement allergique aux choses qui se décomposent trop vite"

Comme (un) Bouvier traçant son sillon parmi des routes affreuses

On n'est plus sûr que le dehors guérit

"On se sent inférieur au voyage"

 

on est parfois las d'aller voir là-bas si on y est

 

 

"Chaque jour

Je reçois de moi-même

Ce que l'usage est d'appeler de mauvaises nouvelles...

Chaque aube

Dans la forêt que j'avais plantée

Je m'égare...

Chaque matin

Je me porte en terre

Mais je suis le seul à marcher derrière moi" (Nicolas Bouvier)