jeudi 23 octobre 2025

L'oeil et la source /6 bis/ Infiltration

 

 

L’ailleurs se dissimule aussi dans les bas-fonds de soi. Il faut s’infiltrer, creuser, se laisser guider par les rayons de lumière qui suintent d’entre les ombres, avancer à tâtons dans l’obscurité des galeries à emprunter. Croire ou espérer qu’il y a toujours un fil auquel s’accrocher qui traverse ces zones embrumées et confuses où malgré tout le pas se dirige. On est tous, un jour ou l’autre, cet homme prostré sur une chaise, à laisser décanter en lui le trop plein d’événements, d’informations, de souvenirs bons ou moins bons qui le hantent et l’empêchent d’avancer. Il ne reste qu’un vêtement de silence à endosser et suivre, trouver, chercher à voir, à dire ce qui, dans l’intériorité de chacun peut arriver à être suscité, effleuré, espéré. Ce fil de soi à retrouver et à ne pas lâcher. Ce que l’on n’a jamais vraiment pris la peine de regarder, ou que l’on a trop vite recouvert des hardes de la bienséance, ou que l’on a délibérément enfoui au plus loin de son épiderme. C’est là dans un lieu reculé, solitaire et silencieux, sur une chaise de simplicité, bancale peut-être, que l’homme se fait face et peut, dans sa singularité première, tenter de dénouer obsessions, vertiges, questionnements, incertitudes, tout ce qui l’empêche d’être, ou qui l’a conduit sur des chemins dont il veut se déprendre. Et si son visage disparaît c’est qu’il est sur le sentier d’une métamorphose, celle qui se doit de s’accomplir si l’on a le nom d’homme. La lumière filtre, s’insinue, met au jour ce qui doit l’être .Le visage ne peut encore être éclairé, il n’a pas achevé sa mue, il ne peut être déchiffré. Nous sommes sans visage. Nous ne savons pas qui nous sommes tant que nous nous n’avons pas acquis cette conscience d’être sur un chemin de mutation. Dans le vécu de tout homme la ligne droite n’existe pas, tout est méandres et arabesques, adieux et abandons, rencontres et retrouvailles, décompositions et recompositions. En un mot, création. Prophète de soi-même, c’est à cela que l’on est appelé. Tout se passe constamment entre moments d’ombres et poussées de lumières, vagues de voiles qui cachent puis délivrent les veines de ce qui qui grandit en soi. Approcher à petits pas du mystère que l’on est à soi-même, poursuivre notre propre création et recréation de qui on est, un travail à mener, à peaufiner tout au long de ses jours. Se sentir alors vivant et non vécu.

S'y noyer même, mais ne pas se dissoudre V2 pour les images voir la V1

 V2 du 9

Lobo Antunes azulejos

bain de cotons bleus

pilotis Venise Solange

 

Le bleu indispensable

Transpercé par les lances de l'enfance

dont il faut à jamais soigner les bleus

charrier des déchets de souvenirs

dans les circulations de sang

 

Du bleu

Plein les yeux

le son cristallin du Qânun

se mêle aux gravillons de sable

la mer, son va et vient

installe le calme

tandis qu'en silhouette le rocher à tête de Befana

défie la rage de vent

ce soir j'intègre les massacres et les bains de sang

dans la paix du moment crépuscule flamboyant

impuissante

je baigne enveloppée dans la foule attentive

comme dans du coton

les regards convergent vers le blanc de la robe et le bleu de la mer

inoubliable

je prends ce qui m'est offert

mon dos calé contre une pierre

plus debout qu'assise

prête à jaillir

prêt à avaler la musique

le feu du ciel conquistador de bleus

la langueur des vagues léchant le sable

plus tard la robe blanche s'avance dans la mer

la femme musicienne se retourne et sourit

étonnée de son acte joyeux, irrépressible,

elle marche et ne se dissout pas

 

l'instant reprend sa place

dans le puzzle du temps

l'enfance au magasin des nostalgies

sur pilotis

 

le bateau est à quai

il faut rejoindre l'autre rive

dans le brouhaha de diesel et de langues toutes étrangères

disparaître dans les reflets de la lumière du phare qui dansent sur le bleu devenu noir.

 

octobre 2025

Des images à y regarder à deux fois

V2 du 10 (pour les images voir la V1)

(Des images à y regarder à deux fois)

 

Nicolas Bouvier

arbre espalier

Bibliothèque de bouffe amazon

 

Comment choisir sa route parmi tous ces méandres ?

Tous ces chemins qui ne mènent qu'à Rome

surtout si on ne veut pas y aller

Tous ces fleuves qui mènent à la mer

quand on préfère la montagne

Toutes ces données codées dans les entrepôts amazoniques

dans la boue dans la fange de la jungle googlelienne

dont un oeil émerge parfois au-dessus de la vase

un troisième oeil ? un big brother ?

Une voix sourd d'entre les pages

du manuel de survie

mais le monde est muet

liquéfié dans sa glaise

les récits de voyage immobiles ou lointains

l'oeil se perd, se méprend, voit double

dans la mangrove où se tissent

les racines aériennes qui remontent à la source

les branches arrivent au tronc plutôt que le contraire

Et dans des bibliothèques calibrées

chaque produit mort dans son étagère

de la nourriture en briques

on nous prend pour des poires dans nos espaliers

codebarrés indicés qrcodés

et jamais ne pouvoir cocher la bonne case

 

Comment se repérer parmi tous ces mensonges

l'oeil crie, le nez sature de pourriture glacée

"suis devenu bizarrement allergique aux choses qui se décomposent trop vite"

Comme (un) Bouvier traçant son sillon parmi des routes affreuses

On n'est plus sûr que le dehors guérit

"On se sent inférieur au voyage"

 

on est parfois las d'aller voir là-bas si on y est

 

 

"Chaque jour

Je reçois de moi-même

Ce que l'usage est d'appeler de mauvaises nouvelles...

Chaque aube

Dans la forêt que j'avais plantée

Je m'égare...

Chaque matin

Je me porte en terre

Mais je suis le seul à marcher derrière moi" (Nicolas Bouvier)