
Comme pour aiguiser la vision que l’on a du réel, toucher l’écorce de l’arbre, en tâter la rugosité pour qu’elle s’imprime dans la peau de la paume et fasse circuler plus loin encore, dans les replis internes du corps, cette vie que l’on sent vibrer sur les troncs des arbres, et ressentir que l’ordre des choses peut se remettre en place si l’on tente quelque chose. Dans le dedans de ce qu’on nomme soi, une sensation de plénitude, et même si on réfléchit bien aux mots que l’on emploie, on pourrait parler d’un sentiment d’amplitude, comme si notre cage thoracique s’était écartée et, dans cet espace augmenté, encore plus d’air pouvait pénétrer, plus de perceptions s’affiner avec une sensibilité intensifiée. Les pulsations du cœur amplifient leurs battements et donnent aux pensées un champ plus vaste de tremblements. Un paysage intérieur s’étend sous ce regard. Quelque chose de plus ample que le réel où avancer. Une architecture différente du lieu prend forme, une géographie creuse des sillons nouveaux, délimite de nouveaux lieux qui s’illuminent d’une manière différente. Une transhumance, de celles que l’on n’espérait plus, cherche à se faire jour. Continuer alors à écrire pour se recommencer, pour mettre en mouvement d’autres enfantements sur le seuil de paysages nouveaux. Aux marges du regard, un horizon où accrocher les songes dans le trouble de ce qui est en devenir. Trouver dans les replis du grand livre de nos existences, dans les pages déjà tournées de la vie, la langue qui saurait dire ce qui est en train de se produire, une langue inédite. Une langue trouble, délivrant des pépites surgissant d’un ailleurs dont on ne sait rien, élargissant l’espace du jour et donnant à voir ce qui est le plus secret. Il ne reste qu’à déchiffrer ce qui est éparpillé sur les marges de la page, ce qui est mais que l’on ne voit pas toujours, ces lambeaux de pensées qui cimentent chaque être, et qui restent dissimulées longtemps, et soudain par des chemins imprévisibles, se laissent contempler. À l’intérieur de ce paysage, des points d’incandescence à fixer, sur lesquels concentrer le regard, et vers lesquels se dessine une possibilité de chemin. À l’intérieur de ce paysage, inscrire un ciel bleu, et une silhouette qui marche en traçant ce nouveau chemin espéré depuis tant de temps. Cela sinue encore, comme ces longues phrases dont on ne vient pas à bout, car les lignes droites n’existent pas. Dans la peau de l’écorce sommeillait l’élan.

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