samedi 17 janvier 2015

Dévoilement du visage ou celle sans visage


« Voici donc le visage humain devenu un pays à explorer, un paysage dont l'apparente stabilité dissimule quantité de minuscules événements » Jean-Michel Maulpoix Préface « Henri Michaux »


Ton visage m'étonne à chaque fois que je le scrute, fixé à jamais sur une photo. Ce n'est pas par ton visage que je te connais mais les intonations de ta voix qui me le dévoilent : rieur ou en colère, semonceur, sévère ou triste.
Ta voix, les phrases que tu m'adresses, dessinent ton visage plus justement qu'aucune photo ne sait le faire ; c'est pourquoi justement sur les photos tu n'y es pas.
Enfant, je savais avant même de me lever, quelle était ton humeur et donc ton visage aux bruits que tu faisais - casseroles entrechoquées, pas précipités, portes claquées, ou sons feutrés du pique-feu et de la porte -.
Quand tu me racontais ton enfance, par la nostalgie et les mots que tu utilisais, je voyais apparaître le visage de l'enfant que tu avais été et malgré notre différence d'âge, c'est toi qui devenais l'enfant et moi, la vieille femme récipiendiaire de tes précieux récits.
Ton visage en négatif dans ta silhouette, de la tête aux pieds de noir vêtue ; le portrait de toi accrochée dans la petite chambre, portrait pris le jour de ton mariage ne me parlait pas de toi. Je n'y croyais pas un instant : trop figé, peau trop lisse, yeux immobiles. Toute la vie de ton visage, cette tache blanche qui flottait au-dessu de tes vêtements, était dans sa mobilité, sa vivacité. Ton visage miroitait dans ta silhouette comme apparaîssent furtivement les yeux du chat dans l'obscurité.
J'aimais ton visage que pourtant je ne parviens pas à revoir aujourd'hui, je l'aimais mais ne pense pas l'avoir jamais réellement regardé ; je l'entendais, devinais, savais, sentais.
Belle ? Décrire tes traits ? N'a aucun sens. Belle tu l'étais par la vie qui émanait de toi, la force que tu dégageais et la volonté que tu affirmais.
Ton visage à la fin de ta vie : champignon désséché, fripé qui se vidait de l'intérieur. Ton visage mort, tout à coup, détendu. Ce n'était plus toi, quelqu'un était venu et t'avait remplacée.
Ton visage, constamment balayé de feux follets ou révélé par les flammes, intériorité à fleur de peau, peuplé d'ombres violentes, d'aplats, de lueurs flamboyantes, mouvant, fascinant, métamorphosé à vue, se dessinant en creux et en relief dans ma mémoire.


1 commentaire:

Lin a dit…

j'aime beaucoup l'idée de voir un visage en "négatif" comme sur une pellicule avant le développement
sinon tout est beau!