vendredi 30 janvier 2015

En train, à pied et à cheval sur la consigne



Comme un jeu de piste, séance après séance, de maison en appartement, (« attention ! Changement de dernière minute : ce n’est plus chez A mais chez B. » ; « B-i ou B-e ? »), nous revisitons une consigne, et ce n’est rien de la dire, puisqu’en ce qui me concerne, des personnages que j’ai déjà oubliés, comme elle l’exige, sont déposés dans une gare, une salle d’attente, des trains. Même si les consignes ne sont plus guère utilisées, (pour cause de plans Vigipirate plus ou moins activés, mais en général plutôt foncés), difficile à présent de faire transiter par ces petits casiers gris, -dont la clé à bout rouge aura au préalable, été déposée sous le paillasson de l’agent trouble - une mallette bourrée de FRANCS surtout depuis que nous sommes passés à l’Euro. Je ne sais pas dans quelle mesure ce passage a impacté ou non le dépôt, mais le fait est que l’Euro et la consigne ne font pas bon ménage.
Chaque nouvelle directive arrive à heure juste, et si la grande prêtresse est déficiente, un messager est dépêché ; on ne reste pas en rade comme des personnages en attente de correspondance ; si on est soi-même empêché, la consigne est rapidement déposée dans notre boîte mail, ce qui me rend un peu perplexe puisque d’habitude on dépose des choses dans les consignes et pas le contraire. Mais la variété sémantique de la langue m’a toujours ravie, et l’important c’est que ça corresponde.
Le déplacement du lieu, de l’objet, et de sa fonction. J’en connais une qui ne raterait pas l’occasion de dire « hétérotopie » ; moi j’hésite encore, n’ayant pas tout à fait encore mis le mot « à ma main », ou « à ma plume ». Un lieu fermé / ouvert, un lieu qui devient personnage avec son invitation échappatoire, son temps assis -lorsque l’on est chanceux- qui impose la réflexion sur le sens des départs, toujours chargés dans le même sens, et la peur constante du piège que représente la consigne.
Dans un premier temps, contemporain,  il s’agirait donc de savoir ce que l’on met dans la consigne, ou ce que l’on ne peut plus y mettre. Tout aura, auparavant, été soigneusement radiographié, scanné, car il est hors de question qu’une bombe explose en pleine séance, éparpillant participants et cacahuètes et faisant des tâches sur les canapés. Non. En revanche, la - voire les – bombes, peuvent avoir explosé avant. Avant que ça ne commence. Les temps (à définir mais toujours menaçants) étant aux attentats, on s’en émouvra, mais on ne sera pas surpris outre mesure, on ne prendra pas cela comme de l’opportunisme et de l’exploitation de l’actualité, mais comme un fait qui, certes, reste encore exceptionnel, mais cependant déjà intégré dans le quotidien « Soyons vigilants ensemble ». Les personnages seront au fait des événements. Ils arriveront dans l’histoire bardés jusqu’à la nausée d’informations. Ils ne seront pas nés du dernier train, à moins que l’apparition d’un nouveau-né ne soit nécessaire au bon déroulement de la consigne. (Mais non, il n’y a pas été déposé dedans ! on n’est pas chez Victor Hugo quand même !) Ils ne réagiront pas tous de la même façon, certains auront plus d’épaisseur psychologique (je n’ai pas dit qu’ils seraient forcément obèses non plus) ; d’autres bénéficieront d’un vocabulaire soutenu. D’autres enfin, des figurants, feront partie du flux, du décor ; ils n’auront aucune récurrence, ils iront de cour à jardin, et on leur appliquera le tarif syndical pour cette prestation, mais pas plus.
Dans un autre temps, hors du récit sans doute, on aura pris la peine de relire Murakami, Blaise Cendrars, Maylis de Kérengal (mais rien ne nous y oblige), les carnets de voyage de l’oncle Frédéric, Agatha Christie, de demander quelques tuyaux au mari de Jeanine sur les tracés des TGV, de passer quelques après-midi à Chateaucreux, à la gare de l’Orient express à Istanbul ou à la gare St Lazare, dans le NUIT ET BROUILLARD, bref, d’accumuler du matériau ferroviaire afin d’en avoir sous la pédale le moment venu, celui de la consigne.
On se sera souvenu que l’on a soi-même passé beaucoup d’un ancien temps dans les trains, entre St-Etienne et Paris, entre Paris et la grande banlieue, dans les wagons rouges et blancs entre St-Etienne et Lyon, entre Paris et la Mer du haut, dans les trains de nuit verts à soufflets, dans les soufflets, avec les bidasses, avec la fumée, et dans les salles d’attente de « cinéma » aussi. On aura fait un tour complet de sa mémoire de on, et on en rechapera des fragments couturés, sans oublier les atmosphères de gare du Nord la nuit, où l’on attendait, là plutôt qu’ailleurs, où il s’agissait d’attendre rien, sans même se poser de question.
De temps en temps on s’intéresserait un peu à l’histoire à raconter, mais l’important serait surtout l’attente, le figé, la stagnation dans le doute ; une tension perpétuelle qui questionnerait toujours, sans perdre de vue la consigne et ce qu’elle contient, ou ce qu’elle cache. Jusqu’à la fin on resterait dans la marge, celle de la liberté, celle du mythe de la contrainte imaginée par le Bon François et revigorée par sa bonne messagère.
Pour mener à bien toute cette entreprise, un abonnement à La vie du rail, un billet A/R pour Oulan-Bator et l’acquisition de quelques valises à roulettes  me semblent nécessaires.

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Texte plein d'humour, de seconds et 3° degrés, vif, riche qui vous prend par la main et vous entraîne à grands pas dans la lecture, vitres ouvertes et cheveux ébouriffés par le rythme et le vocabulaire. Bravo