vendredi 10 novembre 2017

Cartographie # 2 : la carte au 1/50 000.

     Que je la regarde du Nord au Sud ou d'Est en Ouest une couleur envahit l'espace de ma carte I.G.N: le vert!
     Il mange les carrés des maisons isolées, dévore les hameaux, grignote les départementales et les quelques nationales pour mourir en frange de l'agglomération gagnée de haute lutte au moyen-âge sur les fourrés, les grands sapins et les grands pins à coups de défrichements successifs.
     Quand je suis arrivée là, ma première fois a été l'indécision: l'envie de rebrousser chemin tant cet univers était noir! Chaque chemin qui s'ouvrait, c'était l'entrée d'une grotte d'où pouvait surgir à chaque instant un monstre aux yeux rouges ou un diable crachant les flammes de l'Enfer qui aurait laissé ses empreintes sur la carte. Et l'envie de braver les éléments hostiles, de traverser le mur du sombre et de l'humidité, de pousser la porte qui permettait de comprendre l'obscurité, d'apprivoiser les frondaisons.
     La curiosité l'emporta. .Je me laissais glisser sur une départementale que j'emprunterais si souvent par la suite. La route sentait l'humus, respirait le silence entrecoupé du craquement lugubre des arbres si hauts que je les entrevoyais toucher le ciel. Des raies de lumière jaillissaient par endroits pour se poser sur les fougères exubérantes. Je baignais dans l'océan des verts: des vert-clair, vert-jaune, absinthe, lichen à des verts plus charpentés: vert mousse, brun-kaki, impérial ou Véronèse. Une vaste palette que le vert quasi uniforme de la carte rend bien trop fade.
     La route sinuait élégante et périlleuse dans une déclivité importante et s'enfonçait perpétuelle tout en obscurité et lumière tamisée. La voiture silencieuse et lente pour ne déranger ni choses ni bêtes laissait entendre le murmure d'une eau en contrebas mais impossible à identifier tant la pente était raide et capricieuse. Quand une trouée subite! C'en était fini de descendre. Une clairière grande comme un mouchoir de poche tapissée d'herbe pâle et en son centre, timide et malicieuse, la petite rivière roucoulait. Une haie clairsemée de courts roseaux et de grandes fleurs d'eau la protégeait des intrus de mon espèce. J'ignorais alors qu'elle escorterait mes longues flâneries et qu'elle embrasserait bien de mes coups au cœur. Je me contentais de suivre la boucle qu'elle décrivait, empruntais le pont qui l'enjambait, la laissais continuer son cours sur la gauche alors que la route m'emmenait vers la droite et que je grimpais à nouveau mais sur l'autre versant.  Autre point de vue mais omniprésent, le vert-forêt.
     Pendant plusieurs années, je m'endormirais en vert, me réveillerais en vert, rêverais , cauchemarderais en vert mélangeant âprement le vert maléfique du moyen-âge à celui bénéfique de l'espérance. Seulement voilà, l'espérance a failli.

2 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

Qu'il est beau ce vert que tu nous fait suivre de boucles en boucles, de bords d'eau en sentes profondes. L'espérance a failli ??? Ton texte ne laisse pas cette impression

MarieBipe REDON a dit…

comme c'est doux !