dimanche 5 novembre 2017

Dans un seul carré -sans les noms-

La carte pliée en deux, je replie le bord gauche puis le bord inférieur pour ne conserver qu'un carré délimité au NE par un énorme bâtiment que la légende qualifie « Hôpital public », à l'Est par une agglomération que traverse une rivière enjambée par un pont, au centre la rivière s'élargit, tout autour s'agglutinent de très nombreuses habitations recouvertes de cinq lettres majuscules dont je ne suis toujours pas parvenue à  déterminer si elles sont mon lieu séminal ou pas.
Les cartes sont encore plus invitantes ainsi repliées, plis, interstices, confins, zones cachées nous interpelant et nous invitant.
Ce que j'ai sous les yeux est plus urbain et me ramène à un autre temps que le précédent : celui du lycée, des bus attendus sur ce fameux pont chaque matin dans le brouillard, cache-nez serré autour du visage et grelottants. Je restais bouche-bée devant ces lycéennes au fort accent italien habillées comme des mannequins, maquillées, ce qui me semblait ABSOLUMENT incompatible avec le monde que j'allais rejoindre, celui de la culture, du latin, des auteurs classiques pour lesquels nous devions étudier pendant des années si on voulait un jour qu'ils nous soient accessibles. Elles résidaient en un lieudit portant un nom moyenâgeux et je n'y voyais qu'une incompatibilité supplémentaire plutôt que coïncidence. Le bus par une rue étroite, sombre, plongée dans le brouillard, bordée d'usines, chaussures, Fonderie d'argent, entreprises textiles et d'immeubles décatis où habitaient ces ouvriers que je voyais entrer au boulot en courant. Parfois, je la remontais à pied, le plus rapidement possible sans vraiment comprendre pourquoi ici la population parlait arménien, italien, arabe, nous disions d'ailleurs en parlant de certains immeubles « l'immeuble des arméniens ». Parfois, quand nous souhaitions rentrer à pied plutôt que de longer cette rivière souvent pleine de miasmes, nous pouvions emprunter un chemin dit « Chemin vieux » mais il fallait le cacher aux mères qui n'y voyait que satyres rôdant dans les fourrés aussi ne le prenions-nous qu'à plusieurs, pouffant de leurs peurs qui pourtant donnaient toute sa saveur à ce chemin bordé de mûres sauvages.

Par contraste, tout là-haut dans la lumière perchés sur la colline, les imposants bâtiments de l'hôpital dont le père de mon amie de coeur était le directeur, personnage encore plus important et effrayant que les bâtiments, dans sa 404 verte, toujours accompagné de sa belle secrétaire dont nous savions toutes -sans le savoir- qu'elle était sa maîtresse. Arrivés au Pont Neuf qui enjambait LE Fleuve et que nous ne traversions jamais, nous apercevions face à nous, tout là-haut, perché au sommet d'une colline, une église et sa vierge, où plus tard j'irai avec mon amoureux pour dominer LE fleuve, embrasser les toits, rêver à l'avenir radieux qui nous attendait forcément, nous embrasser dans le mistral que nous adorions alors, emportés à la proue d'un bateau en partance, naviguant très loin et tout là-bas, dans les champs par delà le fleuve, des immensités d'iris se balançaient dans la lumière. 

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2 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Linette a dit…

Bel hommage aux lieux de ton adolescence, aux frémissements cachés dans les plis de la carte.