Précis
pour le toast du Jour de l'an
Le toast est
une coutume qui s'est appauvrie. On récite tout au plus la banale
formule « A votre santé ». Un premier de l'an, il y a un
siècle, Anna Akhmatova, Russe, poète, nota trois toasts prononcés
à sa table. Un premier : « Je bois à la terre des prés où
nous sommes nés et où nous retournerons tous. »
Un autre
pour Anna : « Et moi à ses poèmes dans lesquels nous vivons
tous. »
Un troisième
: « Nous devons boire à celui qui n'est pas encore avec
nous. »
J'ajoute ici
le mien à la suite ;
Précis pour
le toast du jour de l'an.
Je bois à
celui qui est de service, en train, à l'hôpital,
cuisine,
hôtel, radio, fonderie,
en mer, dans
un avion, sur l'autoroute, à qui franchit cette nuit sans un salut,
je bois à
la prochaine lune, à la fille enceinte,
à qui a
fait une promesse, à qui l'a tenue,
à qui a
payé l'addition, à qui est entrain de la payer,
à qui n'est
invité nulle part,
à
l'étranger qui apprend l'italien,
à qui
étudie la musique, à qui sait danser le tango,
à qui s'est
levé pour céder sa place,
à qui ne
peut se lever, à qui rougit,
à qui lit
Dickens, à qui pleure au cinéma,
à qui
protège les bois, à qui éteint un incendie,
à qui a
tout perdu et recommence,
à l'abstème
qui fait un effort de partage,
à qui n'est
personne pour celle qu'il aime,
à qui subit
des moqueries et qui par réaction sera héros un jour,
à qui
oublie l'offense, à qui sourit sur une photo,
à qui va à
pied, à qui sait aller pieds nus,
à qui
redonne une part de ce qu'il a eu,
à qui ne
comprend pas les histoires drôles,
à la
dernière insulte pour qu'elle soit la dernière,
aux matchs
nuls, aux N du loto foot,
à qui fait
un pas en avant et rompt ainsi le rang,
à qui veut
le faire et puis n'y arrive pas,
et puis je
bois à qui a droit à un toast ce soir
et qui n'a
pas trouvé le sien parmi ceux-ci.
« Aller simple » Erri de Luca Edition bilingue Poèmes Traduit de l'italien par Danièle Valin nrf Gallimard
1° poème de « L'hôte impénitent »