Suite à ma visite d'Alger, je vous ai proposé quelques photos "touristiques" de Tipasa, du monument de l'Indépendance, du jardin Hamma, mais je n'ai pas eu l'occasion d'échanger avec vous sur mes impressions. J'ai donc écrit ce texte :
"A ma sortie de l'aéroport
d'Alger, c'est la douceur de la température qui me touche dès les
premières minutes, soleil de mai, mimosas poussiéreux. La
navette-taxi qui nous conduits en ville se faufile dans des rues
encombrées, dans un trafic intense et un infernal concert de
klaxons. Rapidement, au fil des jours s'impose l'incroyable pollution
atmosphérique et sonore de cette ville, les plaques
d'immatriculation des voitures sont difficilement déchiffrables sous
la couche de poussière, les arbres, mimosas, lauriers-roses ont
peine à fleurir tant la poussière les recouvre. Les plages sont
incroyablement sales, les égouts s'y déversent directement, l'air
irrespirable à cause des émanations de pétrole des tankers
contigus. Tout semble prétexte à décibels : cris, grincements,
percements, appels à la prière, coups de freins, klaxons,
roulements métalliques sur le sol, ça grince, ça roule, ça hurle,
on s'interpelle. Ce pays -si beau lorsque l'on quitte Alger-, ces
gens si accueillants, font contraste avec la sensation d'abandon que
je ressens. Le pays semble abandonné, on y voit des grues de toute
part mais même les immeubles en construction sont lépreux, tous
travaux semblant suspendus, les immeubles les plus anciens, y compris
ceux du centre ville -exceptés les ambassades et sièges de grands
groupes- sont décrépis, recouverts de linge aux fenêtres, les
trottoirs pleins de trous, défoncés et il faut constamment enjamber
des poubelles et détritus. J'éprouve une réelle impression depuis
une semaine d'un pays à l'arrêt, en état d'hébétude, de
délabrement, de stagnation contrastant fortement avec la richesse de
son sous-sol, la jeunesse de ses habitants, les merveilles de sa
végétation et de son climat.
Où est l'argent ? Où
est passée la richesse ? Ne peut-on s'empêcher de penser. La
corruption y est si flagrante, le marché noir et l'économie
parallèle si visible et évidente, tout ce que je vois, lis ou
entends ne fait que renforcer cette impression.
Actuellement, une mosquée
qui pourra accueillir 120 000 personnes (l'équivalent d'une ville
comme St Etienne) est en construction. Où est la logique entre cette
débauche et la mégalomanie d'un pouvoir en place depuis vingt ans
déjà et la pauvreté évidente ?
Je fais la connaissance
de plusieurs jeunes femmes, voilées de la tête aux pieds de
bleu-marine qui ne sont pas autorisées à rencontrer mes amis parce
que ce sont des hommes. Des femmes gaies, vives, intelligentes et
qui, après dix minutes de conversation, m'attirent discrètement sur
le parking, sortent leur I Phone et me disent : « Regarde ».
Je vois apparaître sur l'écran une ravissante jeune femme aux
cheveux courts, maquillée et vraiment très séduisante. Quand je
lui demande si c'est elle, elle me répond : « Tu as vu, c'est
une autre femme ».... Le discours officiel tenus par les hommes
et les femmes est qu'elles ont choisi elles-mêmes de porter le voile
et que les petites filles veulent imiter leur mère. Que signifie
donc leur geste par rapport à moi ? Je suis offusquée par tant
d'hypocrisie, par ce carcan de traditions mortifères, cet imbroglio
de coutumes qui empêchent et empêcheront le pays d'avancer. La
corruption, la richesse des uns, la pauvreté des autres, la peur, le
silence, les interdits religieux … tout un ensemble fait que ce
pays est coincé depuis soixante ans, depuis qu'il a acquis son
indépendance. Je suis convaincue que si les femmes ne réagissent
pas, ne viennent pas secouer toute cette torpeur, soulever ce voile
qui les tient enfermées, invisibles et muettes, rien ne se passera
dans ce pays.
Dès mon retour,
l'annonce de toutes les manifestations dans les rues d'Alger et de la
plupart des villes algériennes contre le 5° mandat annoncé de
Bouteflika viendra confirmer mon impression et ouvrir quelque espoir
vers un avenir meilleur et j'entendrai avec bonheur l'écrivain Kamel
Daoud citer la phrase : « Quand les gens bougent, c’est une
émeute, lorsque les femmes les rejoignent, cela devient une
révolution. »