jeudi 21 mars 2019

ALGER : début février 2019 juste avant les manifestations suite à l'annonce du 5° mandat de Bouteflika

Suite à ma visite d'Alger, je vous ai proposé quelques photos "touristiques" de Tipasa, du monument de l'Indépendance, du jardin Hamma, mais je n'ai pas eu l'occasion d'échanger avec vous sur mes impressions. J'ai donc écrit ce texte :

"A ma sortie de l'aéroport d'Alger, c'est la douceur de la température qui me touche dès les premières minutes, soleil de mai, mimosas poussiéreux. La navette-taxi qui nous conduits en ville se faufile dans des rues encombrées, dans un trafic intense et un infernal concert de klaxons. Rapidement, au fil des jours s'impose l'incroyable pollution atmosphérique et sonore de cette ville, les plaques d'immatriculation des voitures sont difficilement déchiffrables sous la couche de poussière, les arbres, mimosas, lauriers-roses ont peine à fleurir tant la poussière les recouvre. Les plages sont incroyablement sales, les égouts s'y déversent directement, l'air irrespirable à cause des émanations de pétrole des tankers contigus. Tout semble prétexte à décibels : cris, grincements, percements, appels à la prière, coups de freins, klaxons, roulements métalliques sur le sol, ça grince, ça roule, ça hurle, on s'interpelle. Ce pays -si beau lorsque l'on quitte Alger-, ces gens si accueillants, font contraste avec la sensation d'abandon que je ressens. Le pays semble abandonné, on y voit des grues de toute part mais même les immeubles en construction sont lépreux, tous travaux semblant suspendus, les immeubles les plus anciens, y compris ceux du centre ville -exceptés les ambassades et sièges de grands groupes- sont décrépis, recouverts de linge aux fenêtres, les trottoirs pleins de trous, défoncés et il faut constamment enjamber des poubelles et détritus. J'éprouve une réelle impression depuis une semaine d'un pays à l'arrêt, en état d'hébétude, de délabrement, de stagnation contrastant fortement avec la richesse de son sous-sol, la jeunesse de ses habitants, les merveilles de sa végétation et de son climat.
Où est l'argent ? Où est passée la richesse ? Ne peut-on s'empêcher de penser. La corruption y est si flagrante, le marché noir et l'économie parallèle si visible et évidente, tout ce que je vois, lis ou entends ne fait que renforcer cette impression.
Actuellement, une mosquée qui pourra accueillir 120 000 personnes (l'équivalent d'une ville comme St Etienne) est en construction. Où est la logique entre cette débauche et la mégalomanie d'un pouvoir en place depuis vingt ans déjà et la pauvreté évidente ?
Je fais la connaissance de plusieurs jeunes femmes, voilées de la tête aux pieds de bleu-marine qui ne sont pas autorisées à rencontrer mes amis parce que ce sont des hommes. Des femmes gaies, vives, intelligentes et qui, après dix minutes de conversation, m'attirent discrètement sur le parking, sortent leur I Phone et me disent : « Regarde ». Je vois apparaître sur l'écran une ravissante jeune femme aux cheveux courts, maquillée et vraiment très séduisante. Quand je lui demande si c'est elle, elle me répond : « Tu as vu, c'est une autre femme ».... Le discours officiel tenus par les hommes et les femmes est qu'elles ont choisi elles-mêmes de porter le voile et que les petites filles veulent imiter leur mère. Que signifie donc leur geste par rapport à moi ? Je suis offusquée par tant d'hypocrisie, par ce carcan de traditions mortifères, cet imbroglio de coutumes qui empêchent et empêcheront le pays d'avancer. La corruption, la richesse des uns, la pauvreté des autres, la peur, le silence, les interdits religieux … tout un ensemble fait que ce pays est coincé depuis soixante ans, depuis qu'il a acquis son indépendance. Je suis convaincue que si les femmes ne réagissent pas, ne viennent pas secouer toute cette torpeur, soulever ce voile qui les tient enfermées, invisibles et muettes, rien ne se passera dans ce pays.
Dès mon retour, l'annonce de toutes les manifestations dans les rues d'Alger et de la plupart des villes algériennes contre le 5° mandat annoncé de Bouteflika viendra confirmer mon impression et ouvrir quelque espoir vers un avenir meilleur et j'entendrai avec bonheur l'écrivain Kamel Daoud citer la phrase : « Quand les gens bougent, c’est une émeute, lorsque les femmes les rejoignent, cela devient une révolution. » 

2 commentaires:

MarieBipe REDON a dit…

Quand tu m'as dit hier que tu avais écrit sur ce sujet dans ton autre atelier, je voulais te demander de me le faire lire. Merci d'y avoir pensé toute seule. J'ai le coeur gros et les larmes aux yeux. Heureusement les femmes et aussi les femmes comme toi qui vont voir, même qu'une semaine. Merci pour nous tous. Bipe

Linette a dit…

Atmosphère étouffante de ce que tu as vu et que ton texte rend si évident. Quant aux femmes, si "on ne les étouffe pas" je suis sûre que c'est par elles que viendra le changement.