lundi 6 septembre 2021

Maison ma belle maison

 Entre un instant et un autre, malgré les brumes extérieures et le brouillard mental qui parfois se diffracte dans les sphères du cerveau, ne pas oublier de laisser son regard errer ici ou là, puis s'appesantir dans les entours.

Car c'est bien la meilleure façon de se laisser imprégner d'un lieu : le voir avec ses yeux de myope, le laisser vous pénétrer, vous impressionner comme une plaque photographique, le sentir, voire le goûter, le lécher. C'est bien dans cet état d'esprit de laisser-faire qu'elle se laissa conduire tout au long de cette c^te que la voiture gravissait lentement  comme si l'Agent voulait qu'ils l'adoptent, que les arbres les regardent, que les fleurs les saluent et leur fasse ces petits clins d'oeil qu'ils ne pourraient désormais plus oublier. Cette approche lui plaisait, elle avait enfin l'impression qu'on n'essayait plus de lui fourguer un bien qui ne lui correspondait pas.

La poignée du portail lui réchauffait la paume de la main, le soleil y avait dardé ses rayons toute la matinée, le grincement du vantail qui s'ouvrait grand pour elle, comme déroulant devant elle un tapis rouge, coquelicots, pivoines, roses trémières en face, le grincement était tel un bonjour prononcé d'une voix douloureuse, oui, vraiment, cette approche lui plaisait, elle continuait à lâcher prise et à se laisser impressionner, devant tous ces révélateurs de lumière et de vie pleine, les escaliers moussus, la tonnelle couverte de lianes, l'odeur délicate et entêtante tout à la fois, celle du muguet et du chèvrefeuille, puis l'odeur de la blanquette de veau qui mijotait sur le fourneau était venue se balader dans les sphères du cerveau, celles du souvenir, elle se retrouvait rue Richelandière, de l'autre côté chez sa grand-mère. Rue Jeanne d'Arc aussi, on savait mitonner le tendron de veau, apparemment, c'était bon signe ! le soleil léchait les lattes  du parquet ciré, et elle devinait, à travers ses yeux de myope, le reflet de la lumière diffractée par un probable miroir, qui portait fier, on ne savait où.

Ce miroir la fascinait. Chaque fois qu'elle passait devant, elle s'y regardait longuement. Elle savait qu'il la rendait belle. Et elle est savait qu'elle le rendait beau, lustrant, astiquant sans cesse les dorures légères qui l'entouraient, le protégeaient des agressions, venues d'un monde qu'il ne connaissait pas. Elle lui parlait, savait le rendre vivant. S'il avait pu lui parler, il lui aurait dit que derrière son tain étaient cachées des lettres, des lettres de sa mère, de sa grand-mère. Elle ne le savait pas ou  du moins pas encore. Jusque là il avait pu garder son secret.

Elle ne le savait pas encore ce secret, elle ne le découvrirait sans doute jamais, mais elle restait fascinée par ce miroir, pourtant ordinaire et qu'elle rendait beau, sans vraiment savoir pourquoi, comme si à force de frotter son tain, l'épaisseur du secret non su aller fondre et glisser entre ses doigts. Alors elle découvrirait ces lettres des femmes de sa famille maternelle, elle saurait leurs propres secrets.

Ce qu'elle ignorait c'était le bouleversement intérieur que provoquerait la lecture de ces lettres cachées, la profonde métamorphose qu'impliqueraient ces nouvelles connaissances, ces choses non dites, non sues, qu'elle sentait battre au fond d'elle, sans les identifier, sans les nommer, de ces choses ignorées, mais pourtant là, déjà là, déposées inconsciemment par des générations de femmes l'ayant précédé devant le même miroir.

Codicille

Non, en vérité, je n'ai pas de secret. Je suis une maison franche, chaque objet a son histoire, mais mes habitants vous les auraient volontiers contées. Le miroir et les mots qu'il cachait sont devenus cendres. Je suis une maison qui a connu ses malheurs, le feu et l'eau, mais qui a tant aimé abriter ceux et celles que j'y invitais. Je laisse partir ses occupants officiels avec un peu d'émotion car ils m'ont bien traitée et ceux qui les remplacent feront sans doute de même. Moi aussi je déménage en quelque sorte. Je pense vous avoir inspirés, tous, tête baissée sur vos pages qui ne sont guère restées blanches. Quand par hasard vous repasserez par ici, ne regrettez rien. Bien des choses doivent rester derrière le tain des miroirs, l'écriture continue, qui naît aussi des cendres, tant que vous en aurez l'en-vie !

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