Comme un jeu de piste, séance
après séance, de maison en appartement, (« attention ! Changement de
dernière minute : ce n’est plus chez A mais chez B. » ; « B-i
ou B-e ? »), nous revisitons une consigne, et ce n’est rien de la
dire, puisqu’en ce qui me concerne, des personnages que j’ai déjà oubliés,
comme elle l’exige, sont déposés dans une gare, une salle d’attente, des
trains. Même si les consignes ne sont plus guère utilisées, (pour cause de plans
Vigipirate plus ou moins activés, mais en général plutôt foncés), difficile à
présent de faire transiter par ces petits casiers gris, -dont la clé à bout rouge
aura au préalable, été déposée sous le paillasson de l’agent trouble - une mallette
bourrée de FRANCS surtout depuis que nous sommes passés à l’Euro. Je ne sais
pas dans quelle mesure ce passage a impacté ou non le dépôt, mais le fait est
que l’Euro et la consigne ne font pas bon ménage.
Chaque nouvelle directive arrive
à heure juste, et si la grande prêtresse est déficiente, un messager est
dépêché ; on ne reste pas en rade comme des personnages en attente de
correspondance ; si on est soi-même empêché, la consigne est rapidement déposée
dans notre boîte mail, ce qui me rend un peu perplexe puisque d’habitude on
dépose des choses dans les consignes et pas le contraire. Mais la variété
sémantique de la langue m’a toujours ravie, et l’important c’est que ça
corresponde.
Le déplacement du lieu, de
l’objet, et de sa fonction. J’en connais une qui ne raterait pas l’occasion de
dire « hétérotopie » ; moi j’hésite encore, n’ayant pas tout à
fait encore mis le mot « à ma main », ou « à ma plume ». Un
lieu fermé / ouvert, un lieu qui devient personnage avec son invitation
échappatoire, son temps assis -lorsque l’on est chanceux- qui impose la
réflexion sur le sens des départs, toujours chargés dans le même sens, et la
peur constante du piège que représente la consigne.
Dans un premier temps, contemporain,
il s’agirait donc de savoir ce que l’on
met dans la consigne, ou ce que l’on ne peut plus y mettre. Tout aura,
auparavant, été soigneusement radiographié, scanné, car il est hors de question
qu’une bombe explose en pleine séance, éparpillant participants et cacahuètes
et faisant des tâches sur les canapés. Non. En revanche, la - voire les –
bombes, peuvent avoir explosé avant. Avant que ça ne commence. Les temps (à
définir mais toujours menaçants) étant aux attentats, on s’en émouvra, mais on
ne sera pas surpris outre mesure, on ne prendra pas cela comme de
l’opportunisme et de l’exploitation de l’actualité, mais comme un fait qui,
certes, reste encore exceptionnel, mais cependant déjà intégré dans le
quotidien « Soyons vigilants ensemble ». Les personnages seront au
fait des événements. Ils arriveront dans l’histoire bardés jusqu’à la nausée d’informations.
Ils ne seront pas nés du dernier train, à moins que l’apparition d’un
nouveau-né ne soit nécessaire au bon déroulement de la consigne. (Mais non, il
n’y a pas été déposé dedans ! on n’est pas chez Victor Hugo quand
même !) Ils ne réagiront pas tous de la même façon, certains auront plus
d’épaisseur psychologique (je n’ai pas dit qu’ils seraient forcément obèses non
plus) ; d’autres bénéficieront d’un vocabulaire soutenu. D’autres enfin, des
figurants, feront partie du flux, du décor ; ils n’auront aucune
récurrence, ils iront de cour à jardin, et on leur appliquera le tarif syndical
pour cette prestation, mais pas plus.
Dans un autre temps, hors du récit
sans doute, on aura pris la peine de relire Murakami, Blaise Cendrars, Maylis
de Kérengal (mais rien ne nous y oblige), les carnets de voyage de l’oncle
Frédéric, Agatha Christie, de demander quelques tuyaux au mari de Jeanine sur
les tracés des TGV, de passer quelques après-midi à Chateaucreux, à la gare de
l’Orient express à Istanbul ou à la gare St Lazare, dans le NUIT ET BROUILLARD,
bref, d’accumuler du matériau ferroviaire afin d’en avoir sous la pédale le
moment venu, celui de la consigne.
On se sera souvenu que l’on a soi-même
passé beaucoup d’un ancien temps dans les trains, entre St-Etienne et Paris,
entre Paris et la grande banlieue, dans les wagons rouges et blancs entre St-Etienne
et Lyon, entre Paris et la Mer du haut, dans les trains de nuit verts à
soufflets, dans les soufflets, avec les bidasses, avec la fumée, et dans les
salles d’attente de « cinéma » aussi. On aura fait un tour complet de
sa mémoire de on, et on en rechapera des fragments couturés, sans oublier les
atmosphères de gare du Nord la nuit, où l’on attendait, là plutôt qu’ailleurs,
où il s’agissait d’attendre rien, sans même se poser de question.
De temps en temps on
s’intéresserait un peu à l’histoire à raconter, mais l’important serait surtout
l’attente, le figé, la stagnation dans le doute ; une tension perpétuelle
qui questionnerait toujours, sans perdre de vue la consigne et ce qu’elle
contient, ou ce qu’elle cache. Jusqu’à la fin on resterait dans la marge, celle
de la liberté, celle du mythe de la contrainte imaginée par le Bon François et
revigorée par sa bonne messagère.
Pour mener à bien toute cette
entreprise, un abonnement à La vie du rail, un billet A/R pour Oulan-Bator et
l’acquisition de quelques valises à roulettes me semblent nécessaires.