vendredi 29 juin 2018

Sacré peut-être

Quelque chose parle déjà, sur les chemins effleurés par la peau d’un doigt hésitant sur la carte, un invisible rideau s’écarte et l’on pénètre cette matière qui se transfigure en espace, on traverse ce brouillard de papier et on entre dans un invisible où se réfugier

Quelque chose infuse – entre terre et azur, arbres ou buissons, granit et lichens , herbes folles et gousses de genêts qui éclatent – puis diffuse une onde liquide qui s’écoule dans les intervalles d’un temps suspendu et se dessine l’abri où se poser

Quelque chose apaise la main qui caresse l’écorce en un geste rituel – qui bénit qui – matière d’air , de bois, de crevasses, mousses et cals , échange entre peaux étroites en doux pétales d’air bleuté avec un avant et un après


Quelque chose du souffle, d’un murmure de brise légère, d’un mascaret sans fin se faufilant dans le feuillage puis s’éloignant, de langues d’air agitant le tremble dans le jardin et qui sollicite toute l’attention pour écouter ce balbutiement

Quelque chose dans les noms ânonnés depuis l’enfance, simples viatiques ou grains de chapelet serrés les uns contre les autres et suintant des lèvres, eaux brunes d’une crue s’écoulant entre les arches de la vie, évitant les barbelés

Quelque chose dans ce silence des cimetières – et celui-ci tout particulièrement qui n’est pas sur ma carte mais où ma carte m’a emportée – avec ces centaines de croix dressées , où l’on cherche la tombe numéro 552, et la toile dans la tête qui lâche un peu

Quelque chose offert dans cette terre qu’on cueille – avalanche de visions , bassin se déchargeant de son trop-plein – pressée entre ses doigts, les ongles qui retiennent et noircissent, cette parcelle minuscule qui mérite la célébration de l’ instant


Quelque chose de la louange entre le Sablat et le rocher de la Moutière, cette cinquantaine de pas sur l’arène granitique et l’herbe de l’accotement, le regard loin porté sur cet espace immobile où terre & ciel davantage resserrés ne font qu’un

Quelque chose de l’Eden dans cette toute petite berge au bord de l’Ance, presque sous le pont aux deux arches , au sein d’un monde ancien et clos, avec les coulées de l’eau , les silences des uns et les songes des autres

Quelque chose se cherche avec des mots du quotidien qui effleurent un paysage , filtrent la lumière de l’horizon chiffonné, cherchent encore l’air bleuté comme le silence aime se laisser traverser par les oiseaux

Quelque chose d’un cloître quand le pas , plusieurs fois par jour, fait le tour de ce jardin, longeant le mur de béton, puis les deux murs de pierre , les trois surmontés de tuiles d’un brun rosé passé, et que les yeux sont là et bien au-delà en un même regard


Quelque chose d’une exigence intérieure qu’on ne peut qu’enlacer de tout son être, faite des silences , ceux des ombres blanches, vastes et vides , où la réalité de l’ être résonne d’harmoniques secrètes, l’abandonnant à une ébriété sereine

Quelque chose de l’apparition ou d’un magnétisme qui laisse soudain l’invisible se dévoiler sous les yeux, s’apercevoir alors que fuir est inutile et que là on peut se reconnaître, rejoindre celui que l’on ne se savait plus être

Quelque chose d’un autre réel, non celui que l’on nomme mélancolie ou vague à l’âme, non, mais celui d’une haute solitude , si extrême , que cela semble un appel irrépressible et que fixer ce rien ... est respirer le ciel

Quelque chose se cartographie dans cet autre réel, des détails sans importance, quand la lumière fait gesticuler des apparitions et que de l’obscur de la langue s’écrivent des mots frôlés d’éternité , dissolvant les idées qui oseraient s’emparer de nous

Quelque chose de l’espace , un espace ouvert, ayant toujours à voir avec le commencement, enveloppé d’ombre & de lumière, et la sensation d’une page blanche où les pensées perdues se retrouvent

Quelque chose comme le temps arrêté, lorsque le doigt appuie sur la touche pause, et que en un éclairage d’eau-forte, comme par effraction, s’entrevoit ce début d’un instant qui flotte et qui nous cherche du regard

Quelque chose ayant à voir avec l’étrange, lorsque, les yeux démesurés devant ce qui fait face, ce lieu qui semble enveloppé d’une aube originelle, on se sentirait possédé par une force nouvelle, et prêt à cet appel de l’abandon


2 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

Ce texte est magnifique, à chaque fois mon coeur balance entre les photos et le texte, happé + par l'un, mais non + par l'autre ...
"Quelque chose d’un autre réel, non celui que l’on nomme mélancolie ou vague à l’âme, non, mais celui d’une haute solitude , si extrême , que cela semble un appel irrépressible et que fixer ce rien ... est respirer le ciel", de telles phrases "dissolvent les idées qui oseraient s'emparer de moi". Bravo et merci, ce seront les 1° lignes que j'auraient lues ce matin, aussi lumineuses que la lumière.

Linette a dit…

Ton texte me laisse sans voix! Magnifiques ces "Quelque chose", transparents, lumineux oui, et les lire à la fraîcheur d'un matin de ciel bleu donne à l'âme un goût d'élévation. Mais qu'écrire après...on se sent tout petit.