samedi 12 janvier 2019

La maison isolée


Lugubre, isolée sur un plateau venteux, la maison semble sur le point de s'affaisser, ses pierres pressées de retrouver le sol dont elles sont issues. De nombreuses tuiles manquent, il doit pleuvoir à l'intérieur. Deux énormes marronniers, malades, tout tachetés de brun, l'écrasent de leur masse ; l'un derrière la maison, côté nord, sans fenêtres ou peu s'en faut, recouvre une partie du toit ; le second, devant la porte d'entrée, barre le passage à qui voudrait s'y introduire. Il faut le contourner, longer la maison pour atteindre la porte. Aucun soleil ne peut jamais la réchauffer, ni aucun foyer à l'intérieur puisque quiconque n'a jamais vu de fumée sortir de cette cheminée. Un fil provenant du poteau électrique longeant la route pendouille au-dessus de ce qui pourrait être une cour si elle n'était jonchée de rebuts, fûts éventrés, carcasses rouillées, meubles aux pieds manquants ou ravagés de termites, ustensiles plastiques ou marmites rouillées. En contrebas, une mare stagne, infestée d'orties. L'homme qui vient chaque jour travailler la terre de cette ferme aux allures de bâtisse abandonnée semble ignorer le délabrement. La maison est fermée depuis qu'il en loue les terres ; l'homme n'y a jamais pénétré. Il se dit qu'un jour, il faudrait, il devrait … s'approcher et en avoir le coeur net. N'osant le faire seul ou même en parler si ce n'est à quelqu'un en qui il aurait entièrement confiance, les mois et années ont passé ; l'état extérieur de la maison n'a fait qu'empirer. Un soir d'automne, exténué par une journée de labours commencée très tôt, il s'approche, contourne l'immense marronnier malade qui barre l'entrée et sans chercher à atteindre la porte -il ne veut pas l'ouvrir et surtout pas pénétrer dans cette maison qui ne lui appartient pas, qu'il ne loue pas non plus, on ne lui a loué que les terres – écarte et écrase des ronces pour jeter un regard par une fenêtre envahie de poussière. Le soleil sur la vitre l'empêche de voir autre chose que le reflet de l'arbre. Il rebrousse chemin, s'assied près de son tracteur, épuisé. Mais avant de reprendre la route pour le village où il vit tout en bas, quelque chose l'appelle et lui dit d'y retourner, qu'il n'a fait que la moitié du chemin, qu'il n'a encore rien vu. Il attend depuis si longtemps ce courage ou cette curiosité qui lui sont enfin venus qu'il se convainc rapidement qu'il n'y a là rien de répréhensible. Juste voir. Il se rapproche des vitres, y colle un peu son visage mais elles sont trop opaques, trop de poussières accumulées depuis des années. Il sort un chiffon de la poche de sa salopette, l'humecte de salive et frotte un peu le bas d'un carreau, juste de quoi jeter un oeil : Un arbre ? Une liane ? Enfin quelque chose de feuillu serpente le long du mur à sa droite, grimpe jusqu'au plafond que non seulement il recouvre mais traverse en de multiples endroits. Il frotte un peu plus la vitre pour élargir son champ de vision. Tous les murs de la pièce illusoirement hermétique sont couverts de branches, lianes, il ne sait comment les appeler. Tout n'est que tissage, fissures, entrelacs, enchevêtrements sur ces murs. Ca prolifère en tous sens. Des plaques de mousse s'accrochent, des bouquets de fougères émergent, des algues pendouillent du plafond fissuré. Plus il regarde, plus cette végétation lui apparaît comme des sondes guidées par un cerveau qui sait ce qu'il veut, en quête d'une cible et d'un but. A certains endroits, elle gesticule comme des mains voulant agripper. Tout cela vit et semble vouloir vous engloutir, ne cesse de changer de forme, de pousser, de grandir telles les feuilles d'un arbre dans un film en accéléré. Il est fasciné et jurerait qu'en plus toute cette végétation chante. Juste en-dessous du seuil d'audibilité, il entend un chant, comme un bourdonnement. Cette végétation sait ce qu'elle veut, où elle va, il en est convaincu. Tétanisé, il ne sait pas combien de temps il est resté le front collé à cette vitre. Quand il parvient à la quitter, il fait déjà nuit dans la cour et pourtant il a bien vu clairement dans tout ce vert : une lumière douce filtrait en rais, éclairant toute la pièce d'une lumière d'aquarium.

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