mardi 8 janvier 2019

LIIEUX ETRANGES # 18.

 1)- L'ABBAYE DE LA CHAISE-DIEU.      Lorsque vous arrivez par le sud, elle vous obstrue la vue; lorsque vous êtes sur la petite place, elle vous oblige à lever la tête fort haut pour essayer de deviner son clocher. Il faut ensuite grimper les hautes marches de son escalier monumental avant que d'accéder au portail surmonté du tympan où grouillent les Bons et les Méchants dans leur perpétuel affrontement sous l'œil d'un Christ éternellement moralisateur. La porte franchie, c'est le Royaume de l'Obscurité. On distingue mal les énormes piliers surmontés des chapiteaux grimaçants où  chimères, monstres et personnages voisinent en une histoire qui se décline depuis des millénaires. Les grilles du jubé, austères mais néanmoins ostentatoires veillent sur les sièges en bois ouvragés et numérotés d'hypothétiques moines. A peine effleurés, ils grincent comme mus par les mains invisibles et souffrantes de tous les religieux qui se sont succédé. Des statues qui veulent se décrocher des murs pour vous escorter; un déambulatoire où chaque chapelle, chaque recoin, chaque renfoncement est un appel au crime. Des tapisseries usées qui racontent une histoire, l'une d'elle a  même l'audace de s'intituler "La Danse macabre".


     2)- Elle est si petite qu'on la dirait tout  droit sortie d'un magasin de jouets. Plantée en lisière de la forêt, c'est un peu la maison d'Hansel et Gretel du village, la gare de Sembadel. Elle veille sur l'unique voie de chemin de fer qui relie La Chaise-Dieu à Ambert. Elle est la gardienne des nuits et des jours d'une ligne aujourd'hui désaffectée où en lieu et place s'épanouissent dans le plus grand désordre joyeux des renoncules, des épilobes graciles, des marguerites effrontées et même le chiendent vorace. Le silence profond qui l'enveloppe a quelque chose d'inquiétant. A tout moment, on imagine voir descendre du vieux wagon en bois échoué dans la prairie la jouxtant, un passager au visage zébré d'une longue cicatrice se tenant le ventre à deux mains. Il ouvre la bouche, aucun son ne s'échappe de ses lèvres bleuâtres; seuls lui répondent le feulement du vent dans les grands sapins noirs et le gargouillis d'une source dissimulée par les hautes herbes.

     3)- Dans grande la maison de Labry le soir tombe toujours trop vite. De la vieille ferme originelle, elle a gardé les fenêtres étroites et les murs épais qui la préservent du froid mais qui l'enferment dans le noir même quand dehors le soleil brille. Les ombres s'allongent tôt dans l'après-midi;  il faut dire que la maison s'assoit au plus profond du vallon, cernée de toute part par la forêt. S'y accumulent tout près, trop près, des pins,  des sapins, des frênes , un tilleul séculaire, l'herbe envahissante et un ruisseau dont la fraîcheur est pour ma part indésirable. L'intérieur garde sa part d'ombre que ne dément pas l'immense cheminée culottée de suie où pendent marmite et ustensiles de cuisine désormais sans emploi. Je m'abrite dans son manteau bien trop ample pour moi et quand je lève la tête c'est pour voir deux étoiles dans un carré de ciel déjà plongé dans l'obscurité. Le vent du soir s'engouffre par le conduit. Qui amène-t'il avec lui? Les murs retiennent leur souffle, je tremble. Tout à côté,des meubles sombres qui sentent bon  la cire et qui restent habités des secrets de toutes les générations qui ont vécu là. A tout moment, l'âme du grand-père peut s'échapper d'un tiroir ouvert. Et la voix d'une fillette disparue à la fête va-t-elle s'élever d'une biche en terre posée dans l'encoignure du buffet?

1 commentaire:

MarieBipe REDON a dit…

ben ça va bien en fait, ou bien as-tu demandé à l'autre fée ? bises