mardi 11 mai 2010

Lichen


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Les mains pleines d’étoiles, le pèlerin – que j’aurais pu être si j’avais rencontré ce Rien sur ma route – , poursuivit sa marche solitaire laissant son regard se frotter aux talus qui bordaient le chemin.
A la lisière d’une forêt ordinaire, pris d’un besoin d’embrassade soudain, il enlaça un mélèze recouvert de lichen sur lequel sa joue se posa, se griffa même, laissant apparaître, en un dessin en creux sur le visage, la silhouette même d’une plante. Il écouta, se laissa pénétrer de la vie  intime de l’arbre, comme si les horizons échappés du violon de la vie donnaient enfin toute leur résonnance, toute leur âme, là, dans l’écorce de cet arbre. Il imagina la substance interne, l’aubier, les strates qui marquent la croissance, la sève qui nourrit… Surgit alors en lui un souvenir sans fioriture, une image implacable qui lui fit soudain réaliser que la mémoire est comme un glacier parfois çà fond, et émerge alors un bout de quelque chose et tout le corps revient avec*….
…il devait avoir sept ou huit ans, il était assis au bord de la nuit, juste avant que le jour ne bascule, et la conscience d’être un individu unique, un être sans miroir, lui était alors apparue, alors même qu’il fixait la première étoile dans le ciel.
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*Erri de Luca

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

je me souviens exactement de cette expérience, un soir, au même âge, tout l'été chez mes grands-parents paternels. Le soir, j'allais m'assoir de l'autre côté de la "rase", là où j'étais invisible et je regardais la route par laquelle dimanche viendraient peut-être mes parents, mais surtout je regardais le soleil se coucher et je savais que j'étais unique et totalement seule. C'était à la fois triste, merveilleux et intense