Un dimanche après-midi
ordinaire où je tente de mettre à jour tout ce que j'ai entassé
durant la semaine. Avant classement, je feuillette un mini-catalogue
d'une petite Maison d'Edition.
… mon regard
bute sur ton nom auquel est accolé « Algérie, Le soleil et
l'obscur » à paraître en septembre. Sans
aucun doute, c'est bien ton nom, il ne peut s'agir que de toi et
pourtant c'est impossible.
Tu
avais l'âge de mon père mort depuis vingt ans, tu ne peux donc être
en vie.
Tout
se télescope, mon esprit tiraillé dans un sens puis dans l'autre.
Après un temps assez long d'égarement et de confusion mêlés
d'intenses émotions, une invincible envie d'appeler sur
le champ la Maison d'Edition me saisit.
Ma nuit fut agitée, les heures s'étiraient, le temps se distendait,
lundi ne se résignant décidément pas à arriver. Dès le matin,
tout s'est enchaîné en accéléré, un film passé à grande
vitesse comme pour rattraper ces cinquante ans perdus. Je t'ai écrit,
tu m'as répondu, je t'ai appelée, nous avons eu de longues
conversations téléphoniques avant de pouvoir enfin nous rencontrer.
Tu sortais d'une grave opération, affaiblie, ce n'est qu'après cinq
interminables mois que nous nous sommes enfin rencontrées.
Rencontre inévitable, il nous apparut d'emblée évident à toutes
deux qu'il n'y avait aucun hasard dans ces retrouvailles : une
nécessité avait jailli, il était temps et nous devions nous
retrouver. Ta vie arrivait à son terme, ma présence a été pour
toi le rayon de soleil que tu n'espérais plus ; ton corps si
fragile, tes paroles si fortes, tout ce que j'attendais et que tu
étais prête à me transmettre. Nous nous sommes parlé chaque jour
de longues heures au téléphone, tout ce qui nous arrivait était
partagé, lectures, rencontres, pensées, maux. Nous nous sommes tout
dit, le plus intime. Le plus souvent possible, je filais passer une
journée ou quelques jours avec toi. Nous en sortions épuisées
d'avoir trop parlé, trop évoqué de douleurs et de merveilles. Tu
m'accueillais, visage et chevelure blancs illuminée de ce regard
incomparable, deux billes noires pleines de ce soleil algérois que
tu avais tant aimé ; tu me caressais le visage, prenais mes mains
dans les tiennes, ne me lâchais plus. Je buvais tes paroles, j'avais
tant à apprendre, tu avais tant à me transmettre, nous étions
pressées par le temps, les jours étaient comptés, nous le savions
intensément. Nous dormions dans la même pièce, dans ton minuscule
studio, nous réveillions émerveillées, tu t'asseyais au bord de
mon lit et ce furent parmi les plus beaux réveils de ma vie, mes
mains dans les tiennes, notre bienveillance mutuelle sans limite.
Dix-neuf
mois, dix-neuf mois de vie intense, dix-neuf mois pendant lesquels
tes forces déclinaient, dix-neuf mois dont je ne me remettrais
jamais. Malgré le manque, la transmission se poursuit. Tes livres
-annotés-, ta bibliothèque, tes bijoux, tes lettres, ce que je vis
au jour le jour et essaie de comprendre avec ton regard et ton
intelligence sont une longue ligne de vie que tu poursuis. Tu
m'accompagnes, j'en ai plus de forces et moins de solitude.
Maintenant silence, il me reste le temps de vie pour explorer ce
miracle.
Consigne : une rencontre qui a changé votre vie, qui vous a transformée. Raconter les tenants et les aboutissements