dimanche 18 mars 2012

Cheminement 2

Cheminement 1

Sur les pierres qui forment, comme une dentition, la bordure du trottoir de terre qui longe la rue Alfred de Musset entre la rue du Midi et le carrefour avec la rue Victor Duchamp à gauche et la rue Palluat de Besset à droite, j’ai trouvé, tombée en évidence ou placée là, une fleur de plastique. Plus loin un long fil de laine à tricoter jaune et embrouillé (une fin de pelote peut-être). L’extrémité d’une branche du platane au pied duquel elle est posée (portant quelques bourgeons qui ne s’ouvriront jamais). Plus loin encore une petite feuille sèche qui a traversé la rue, le seul érable possible est en face dans le jardin qui précède l’entrée de la maison de passementier qui est à l’angle de la rue Jean-Jacques Rousseau. Enfin un paquet de cigarettes Camel, vide, écrasé. Tous ces objets abandonnés, évocateurs de la fin de toutes choses, ou d’histoires anciennes, me renvoient à d’autres souvenirs.

Paquet de clopes.

Jeune encore nous songions à nous mettre à fumer, autre chose que ces cigarettes mal emplies de ce tabac noir qui nous brûlait la gorge, nous faisait tourner la tête et cracher ces affreux petits morceaux de bois que nous aspirions avec la fumée à chaque goulée. Les Camel nous faisaient changer de catégorie sociale de l’enfance nous passions à l’âge adulte, pensions nous, avant de découvrir que ces cigarettes étaient plutôt l’apanage des femmes et des jeunes dans ce monde où nous vivions alors. Et c’est ainsi qu’un jour nous passions enfin à des plaisirs plus rudes, des plaisirs d’hommes, croyions-nous. c’était en tout cas les valeurs attribuées aux cigarettes brunes, de tabac brun, comme les Gauloises plus populaires ou les Gitanes plus sophistiquées et qui sentaient déjà son petit-bourgeois, sauf si elles étaient enveloppées de ce papier dit maïs, dont nous saurions plus tard fortement cancérigène. Alors nous l’ignorions et tombions ainsi dans le piège de l’image stupide, à défaut d’être.

Plastic lily flower.

Elle ressemble à ces fleurs abîmées que l’on trouvait sur les tas d’ordures, à la porte des cimetières, avant que l’on y place ces grandes poubelles de matière plastique que l’on appelle conteneurs, mais qui sont souvent désignées du terme anglais de container.

Combien de ces fleurs imputrescibles ont finies enfouies dans les décharges avant que l’on ne se préoccupe de recyclage. Recyclage qui conduit à transformer ces fleurs hors d’usage, en d’autres fleurs destinées à remplacer celles que l’on jette. Elles pourront servir à faire de nouveau bouquet ou peut-être des conteneurs pour les recueillir usées. Devant cet enchaînement de reproduction, j’ai la vision horrifique et drolatique à la fois d’une planète terre de bande dessinée, qui dans l’espace évolue et tourne, recouverte de fleurs de plastiques et de conteneurs gris.

Bout d’laine

Petit personnage rouge au chapeau vert, il ne manque que toi. J’ai trouvé le brin de laine nécessaire pour tricoter un tube sans usage défini, si ce n’est celui d’apprendre le tricotin. Que cet objet me paraissait étrange, j’en savais l’usage, mais je n’avais aucune idée de l’emploi possible du tricot cylindrique dont nulle trace n’existait dans notre environnement proche. Je me souviens des figures géométriques que ma sœur inventait, ses mains écartées, un fil de laine courant entre ses doigts.

Platane

Les troncs des platanes, lorsqu’ils se desquament, laissent apparaître une étrange géographie d’îles et de continents gris sur un fond de mer jaune. C’est de cette couleur que j’imaginais la mer qui sépare les deux Corées de la Chine.

De la rue Jean-Jacques Rousseau à la rue Victor Duchamp, des platanes longent le mur de la caserne des CRS. On ne disait pas caserne, on disait camp. Après leur départ, les baraquements seront affectés au logement de familles étrangères venu attiré par le boom économique des années soixante. On les nommait siciliens.

L’érable et le misérable

L’érable, c’est celui dont j’ai trouvé une petite feuille emportée par le vent, sur le trottoir d’en face. Le misérable c’est le Pétain de 1941 venu visiter les passementiers de la rue Alfred de Musset. Cette visite déclenchait un vague sentiment de honte chez l’adolescent né cinq ans après cette visite, à quelques numéros de là.

3 commentaires:

Lìn a dit…

j'aime beaucoup ces articulations de l'objet à des souvenirs, qui reviennent comme ça, avec le jeu de la mémoire qui va et vient, saute du coq à l'âme, cela est frais et plein d'émotions douces, profondes.

Ange-gabrielle a dit…

Reviens, reviens-nous très souvent, comme c'est bon de trouver ta prose en ce lundi matin avant de démarrer une journée froide, semble-t-il, 3° à 7 heures, et de me laisser emporter par tes souvenirs sur des images toutes simples d'érable, de misérable, d'îles et de tricotin.

Laura- Solange a dit…

Je te vois dans ces rues de bouts de souvenirs et je sens l'enfant que nous fûmes prendre le pas sur l'adulte qui chemine. J'en veux encore!