mardi 15 mars 2011

Tessons et mantilles

Déjà un service complet de vaisselle réduit au stade de tessons. En grande
partie de l’Emmaüs dépareillé. X accompagne ses éclats de verre d’éclats
de voix, eux-mêmes capables de briser des céramiques du XVème siècle
espagnol. Entre 2 coups de tonnerre, je donne un coup de balai d’une main
et remplis de grands sacs plastiques de l’autre, séparant les tessons que
je recyclerai pour mon grand œuvre façon Facteur Cheval de style Mudejar,
et de l’autre les gravas de notre amour défunt, désormais inutilisables,
les embrouillaminis de points d’interrogation à jamais sans réponse. Il
s’agira plus tard de ne pas confondre les sacs.
« Depuis combien de temps ça dure, ton petit manège ? » me demande X ? «
De quel manège parles-tu  ? réponds-je, tu sais bien que j’ai toujours eu
horreur des manèges, ça me donne envie de vomir ! » « Oh ça va ! Ne joue pas sur
les mots, tu sais très bien de quoi je parle » En parlant de maux, (mais
c’est bien la dernière fois)m'étant coupée avec un saloperie de bout
de verre Duralex, je monte dans la salle de bains chercher un pansement
dans la boîte à pharmacie intitulée « coups et blessures ». Evidemment le
sparadrap a glissé dans la boîte contigüe intitulée « digestion, estomac,
ventre », sûrement confondu avec un pansement gastrique. L’ennui d’avoir
pour bonniche une bibliothécaire c’est que le classement prend souvent le
dessus sur le rangement et ranger une maison en Dewey, même dans sa version 2009 augmentée, ce n’est pas de la tarte. Il y a toujours un moment où il faudrait couper les livres en 2 et/ou les cheveux en 4 pour être jusqu’auboutiste et totalement rigoureux (qualités primordiales dans les fiches de poste bibliothécaire) et disposer les choses à leur juste place.
A partir de là et simultanément, les événements se précipitent
1) le téléphone sonne : je note l’effort du metteur en scène : penser à
introduire un élément extérieur qui généralement met fin à l’hystérie du
vase clos, ramenant les protagonistes à la réalité du monde nettement plus
dramatique, état de la planète en train de fondre ou d’exploser,
révolutions en marche, mort d’un proche. En l’occurrence tout le monde
s’en fout, personne ne répond
2) je note une odeur de brûlé, jette un coup d’œil par la fenêtre. X s’est
lancé  dans la scène II du grand incendie de Rome, mais au lieu de jouer
de la lyre, c’est ma lyre achetée en Italie justement, qu’il est en train
de brûler, comme disait Oscar Wilde, l’amour c’est ne faire qu’un, mais
lequel ? et cette lyre a toujours sonné faux. « T’as toujours eu le feu
aux fesses ! » s’étouffe X à côté de son barbecue. Ne sachant pas s’il
s’adresse à son brasier ou à moi, je jette un coup d’œil dans la glace :
non, aucune fumée de mon bas-côté. Mais ça ne veut rien dire, parfois le
feu couve, c’est connu.
3) malgré mes efforts de colmatage, je ne réussis toujours pas à stopper
le flux de sang qui s’écoule depuis 10’ de ma blessure. Dans le lavabo,
mes globules, les rouges que l’on voit, et les blancs que l’on devine, mon
fer, mes plaquettes et tout mon bon cholestérol, rejoignent les égouts en
fines rigoles. Moi je ne rigole pas trop et flageolante et autant que
faire se peut, je dévale l’escalier, remontant le chemin de gouttes rouges
que j’ai tracé à la montée.
« Tu peux m’emmener aux urgences », demande-je « avant qu’on se sépare ? »

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