samedi 28 octobre 2017

IGN n° 3033 Est Vienne Série bleue 1: 25 000

 Quand je regarde la carte, elle correspond assez bien au souvenir des paysages que j'ai en tête.
En haut à gauche, un long ruban bleu effectuant une large courbe à droite ; « mon » fleuve, celui que de notre fenêtre, j'ai contemplé dès ma naissance et qui demeure LE fleuve. Sinon, du vert, beaucoup de vert, comme les bois que nous avons traversé chaque dimanche pendant des années et beaucoup de blanc, buttes, prairies où paissent des troupeaux de vaches, zones déboisées où s'étalent des villages généralement le long de routes ou de chemins. Aucune grosse agglomération, de simples bourgades, une zone essentiellement rurale, cela saute aux yeux. Ni montagne, ni voies ferrées, peu de grandes routes. Une campagne sans traits remarquables, au premier abord assez peu élevée et encore très boisée. Souvenirs et carte collent tellement que j'en suis étonnée. Je m'y attendais si peu, convaincue de l'abstraction d'une carte par rapport à la richesse des paysages qu'elle est censée représenter. Oui, la moitié du voyage dans ma mémoire est marquée par des traversées de bois, bois de feuillus que je ne pourrai pas appeler forêt car nous en sortions assez rapidement pour y entrer à nouveau après quelques kilomètres et aussi parce qu'ils n'étaient pas vraiment sombres mais verts, verts comme ce vert-clair de la carte ; des feuillus, châtaigniers, hêtres, noyers, frênes, chênes sous lesquels poussaient en automne girolles, trompettes de la mort, charbonniers sous les bogues de châtaignes dont nous remplissions de grands sacs de jute. Nous parcourions ces trente kilomètres en un peu plus d'une heure avec une vieille traction, plus tard avec une Dina Panhard et lorsque nous abordions ces trouées blanches, c'était comme si nous rentrions dans la lumière ; mon père prétendait qu'il allait ouvrir les ailes de la voiture et la carte me fait exactement cet effet : on prend son envol dans le blanc, on respire à fond, on retient son souffle et on décolle. La ligne rouge de la route n'est même plus nécessaire. La partie la plus sombre se trouvait dans la seconde partie du voyage, des bois noirs, serrés, d'autant plus noirs qu'ils étaient peuplés de charbonniers que l'on apercevait parfois autour de leurs feux, sacs de jute sur la tête, visages machurés par le charbon de bois qu'ils confectionnaient, vivant dans des cabanes d'hommes des bois. J'étais effrayée par la pensée que mon père – qui avait souvent des idées saugrenues – puisse un jour avoir envie de s'y arrêter.
Je découvre à explorer cette carte IGN à 1/25 000 de façon plus attentive que je suis incluse dans ces étendues vertes et blanches. J'y ai laissé quelque chose de moi ou peut-être l'inverse, quelque chose de ce paysage s'est inscrit en moi.

Je ne suis ni une montagnarde, ni une fille des côtes mais bien de ces collines et de ces bois clairs ; en l'examinant ainsi, deux cartographies se superposent, je ne sais plus ce qui distingue l'espace intérieur de l'espace extérieur. Une part de moi-même est engluée dans ces paysages doux. Durant toute ma jeunesse j'ai voulu m'en extirper, voulu découvrir autre chose, partir, tourner le dos. Aujourd'hui je ressens le besoin, le plaisir d'y creuser un sillon, de retrouver un chemin, sans nostalgie ; juste du vert pomme et du blanc, tendre, calme, apaisé, équilibré. Tel m'apparaît ce que j'ai sous les yeux.

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