Passé:
Il courre les champs, vagabonde dans la montagne, suit ses moutons, ne se raconte plus des histoires de loups comme il y a encore deux ans, il a 14 ans, il commence à regarder les filles du village, mais son regard reste attaché aux pics blancs au loin, au-delà de la vallée du Vénéon.
Elle part avec dix autres enfants chaque matin, à pied, dans la neige, le froid, ou dans la douceur du printemps, elle rejoint l'école, sa maîtresse vient d'encore plus loin, elle devine qu'elle fera plus tard des livres tant elle sait de choses différentes.
Il ouvre la baraque branlante de ce cul de sac chaque printemps jusqu'à l'automne, accueille les montagnards, ils dorment sur la paille, il leur offre une soupe et du pain rugueux, il redescend de la Bérarde quand les premières neiges arrivent, le bourg restant inaccessible durant les lourds mois d'hiver.
Il vit à Paris, rêve des Alpes chaque nuit, il a déjà parcouru quelques sommets du côté de Chamonix, mais il y a tant de monde dans cette vallée. Il prévoit de découvrir l'Oisans, la région sauvage, inaccessible, intacte encore en ce milieu du XIXè siècle.
Présent:
Il rêve à son ancêtre, essaye de l'imaginer le jour de la Première du Pic de la Meije, quand, éprouvé, éreinté, il a rejoint sa femme et ses enfants qui l'attendaient lui et le fils aîné qui l'avait accompagné au plus haut des sommets idolâtrés des Alpes.
Elle aide son mari à tenir le restaurant, bar, hôtel de Saint-Christophe. Elle lit et relit le livre de la maîtresse de sa propre mère, qui raconte la vie passée dans les villages, leurs villages, les herbes folles des montagnes dont on fait encore la soupe, le quotidien rude de ceux et celles qui vivaient ici.
Il a repris l'ancienne baraque, l'a totalement réaménagée, agrandie, l'eau coule aux robinets, les douches sont tièdes mais suffisantes, le poêle marche bien, il est content. La route vient d'être élargie, elle reste cependant fermée en hiver. Parfois il reste à la Bérarde tout l'hiver, mais certaines années il préfère redescendre à Bourg d'Oisans.
Même s'il est mort depuis longtemps, son nom demeure inscrit dans les livres des aventures de l'Alpinisme, il est le premier (parisien de surcroît) a avoir gravi La Meije avec le père Gaspard de Saint-Christophe et son fils aîné.
Futur:
Elle est guide de Haute Montagne arrière petite fille de familles connues de la vallée, qui comportent plusieurs alpinistes dont la renommée ne s'éteint pas. Elle regarde les sommets avec inquiétude cette année, peu de neige, les glaciers fondent toujours davantage.
Le café, restaurant hôtel de ses aïeux est désormais transféré en haut de la station de sport d'hiver. Il en a gardé le nom. En bas, le petit bourg lui semble minuscule, les maisons sont délabrées, seuls quelques bourgeois bohêmes viennent y camper, jamais en hiver.
La Bérarde n'attire plus les randonneurs ni les alpinistes. Il n'y a plus de neige, plus de glace, les sommets sont lessivés, seules les pluies diluviennes apportent de l'animation. Des plantes du Sud des Alpes poussent maintenant ici.
Il vient de lire un livre où son nom de famille apparaît, il se renseigne, découvre son ancêtre et ce qui l'a poussé à faire la Première du Pic de la Meije. Lui, à Paris, il vend des spectacles son et image virtuels où l'on voit (sur des écrans géants) les hologrammes de personnages anciens gravissant des sommets, mains gelées.
lundi 29 janvier 2018
Personnages et temporalités
Passé
:
La Gèle, comme chaque
matin est assise derrière la « rase » en champ ses
chèvres. Enorme, d'un âge indécis, un minuscule chignon gris
entortillé comme un écheveau de laine derrière la tête, elle
tricote. La petite a hâte de terminer son petit déjeuner pour la
rejoindre.
Elle est sur le seuil de
sa porte de bois vermoulu et tripote en parlant les longs poils
qu'elle a au menton. Elle est si âgée que lorsque les voisins ne
l'ont pas vue de la journée, ils croient qu'elle est morte. Elle se
plaint des enfants qui lui font constamment des farces juste pour
vérifier si son coeur va résister.
Un très bel homme passe
sur son tracteur en chemisette blancheur Persil. Quand il ne tient
pas son volant, il manie une fourche ou une pioche. Qu'est venu faire
ce parisien devenu paysan dans ce pays où depuis son installation
tous les coeurs féminins du voisinage ne battent plus que pour lui ?
Par la fenêtre ouverte,
les notes de l'accordéon d'Alphonse s'évadent en volutes. Un jour,
il offre une boîte de perles à la petite écolière en robe à
volants qui aime tant l'écouter. La mère est très mécontente.
Présent
:
Debout,
sous les deux platanes centenaires de la vieille maison de famille,
il se croit encore l'éternel adolescent auquel il rêve de rester
fidèle, malgré les ans qui s'entassent et le ventre bedonnant.
Polygamie, mensonges, longues tirades romantiques, et autres tiroirs
à double fond, alibis, ambiguïtés, sous-entendus,
chausses-trappes, doubles jeux font bon ménage avec ses rêves. Lui,
si perspicace ne voit pas la souffrance autour de lui.
Il a grossi et sait que
plus rien du charme violent qui émanait de lui quand il était
adolescent, ne subsiste. Il est dégoûté, aigri mais profère
qu'il préfère mourir comme un lion que vivre comme un pigeon. Il
tient toujours la vieille carabine.
Depuis le suicide de son
fils, elle boit. Elle se croit encore très belle. L'alcool l'aide à
se raconter des histoires.
Il y a longtemps qu'elle
a quitté le pays mais son ombre rode chaque jour dans la vieille
maison revendue il y a des années. Elle caresse les vieux murs en
pisé, colle son oreille aux murs pour y écouter les voix de jadis.
Les nouveaux propriétaires s'y habitueront-ils ?
Avenir
:
La jeune femme aime
beaucoup revenir dans le pays de son arrière grand-mère accompagnée
de l'amie avec qui elle vit depuis longtemps. Elles y entretiennent
avec amour un jardin. Les gens jasent.
Le petit garçon, brun et
vif, de huit ans ne lâche plus ses aiguilles à tricoter. De longues
écharpes multicolores s'échappent de ses mains habiles. Parviendra
t-il à recréer cent milles chemins tels que ceux qu'il a vu sur
d'anciennes cartes ?
C'est à partir de son
drone qu'il surveille ses hectares de champs travaillés par des
dizaines de robots. Il déprime et rêve aux chevaux qui tiraient la
charrue. Il n'y a personne en bas pour lever la tête et le voir
passer.
Avec ses grandes nattes
relevées sur la tête, la fillette patauge dans le Dolon. Elle
écoute la bise lui raconter d'anciennes histoires d'un temps où
vivaient ici des écrevisses. Dans ses yeux gris flottent une immense
nostalgie quand ses mains plongeant dans l'eau ne ramènent que le
vide.
dimanche 28 janvier 2018
Personnages et temporalité
Passé:
1/ Ses vingt ans
jetés sur l’épaule au mois d’août 1914, Alphonse marche avec
quelques autres du village sur le chemin qui mène à la gare de
Retournac , 15 kilomètres en aval. Il se retourne une dernière fois
et voit disparaitre la pointe du clocher. Il l’enferme sous le
huis-clos de ses paupières.
2/ Debout sur le
seuil de la maison, les yeux portant loin ses pensées, la Durande
espère. De son regard flou, elle voit une silhouette au bout du
chemin qu’elle veut reconnaître comme celle de son fils. Elle
reste cristallisée dans cette marge de l’attente.
3/ Séraphine
cherche à décrocher un saucisson pendu à un clou d’une poutre de
la cuisine. Lorsque son cousin Firmin la trouvera étendue sur le
sol, elle lui dira que son fémur est à nouveau cassé. Tout vacille
alors dans son regard qui se défait.
4/ Se faufilant à
travers la petite ouverture de la fenêtre de sa chambre, Eugénie
saute dans le jardin pour aller, après deux heures de marche, au bal
à Valprivas. Au retour la musique de l’accordéon se poursuit dans
ses oreilles et atténue la fatigue et les tessitures des bois
sombres. Le lendemain, des barreaux de bois pousseront devant sa
fenêtre.
Présent:
1/ Au plein cœur
de la nuit, la fillette se réveille avec angoisse: au pied de son
lit un homme debout et une femme assise, qu’elle n’a jamais vus.
Elle sait, de l’instinct qui la poursuivra tout au long de ses
jours, que ce sont ses grands-parents morts depuis des années. Elle
recouvre d’un drap le vertige de l’apparition.
2/ Le regard du
petit Tom n’en finit pas de chercher ce quelque chose qui n’en
finit pas de s’échapper. Il sait les mots entendus: des phasmes
qui ne sont que ce qu’ils dissimulent. Alors il cherche l’envers
d’un monde visible comme le bruit sec d’une phrase.
3/ Baigné de la
musique d’Arvo Pärt, l’atelier de sculptrice de Durand est à
l’écoute de ses obscurités. Elle malaxe des pains d’argile,
elle modèle, elle façonne, elle figure ou défigure. Et de la
forme informe, naissent les fantômes du dedans.
4/ Entre deux
forêts aux arbres dissemblables, la jeune femme avance, un appareil
photo dans les mains. Elle est à la recherche de ce quelque chose
que réclame la langue. La rencontre est intense là , au milieu du
chemin, sans photo pour l’immortaliser.
Futur:
1/ Tom est assis
dans le jardin face au grand épicéa qu’il devra se résoudre à
couper mais il en retarde l’échéance. On lui a raconté qu’il a
été planté par son arrière grand-père, mais trop près de la
maison qu’il menace désormais. Il y pense l’esprit brodé de
réticences
.
2/ L’ombre va et
vient sur le village à moitié déserté. Un enfant joue dans
l’ancienne ferme de Madeleine: il est étranger – afghan, syrien,
ou africain – et ouvre de grands yeux d’où se détache un monde
en creux, bien loin de cette Haute-Loire. De cet arrière monde, il
n’a qu’un caillou qu’il triture dans sa poche.
3/ Sur le versant
opposé au château, il a le regard éclaté dans un futur qui déjà
lui apparaît. Le village de Chalencon transformé en un gigantesque
plateau où réaliser des jeux de rôles, et où tout se vivrait dans
une réalité où le passé serait présent. Il se récite à mains
nues les différentes strates du projet.
4/ Elle est en 2054
et fière de l’invention qui lui brûle les doigts. L’appareil
qu’elle a conçu lui permet de faire apparaître des images issues
du passé, durant quelques secondes. A la sortie du village, elle
voit avec certitude une jeune femme et un cerf dans une rencontre
lumineuse où l’émotion s’attarde.
samedi 27 janvier 2018
jeudi 25 janvier 2018
cartographie #7 Passé présent futur en 3 phrases #1
Passé #1
Une petite fille assise sur une pierre, s’endort en comptant
les moutons qu’elle garde dans le prè de La Fagette. Elle tombe. Se réveille en hurlant piquée par les
orties.
Passé # 2
Un jeune bûcheron, juché sur son tracteur s’en va livrer du
bois chez les villageois de Rossignol. Soudain on tire. Il s’écroule tout percé.
Passé #3
L'employé de mairie de St Martin de Fugères écrit pour la 3ème fois dans son
registre du mois de janvier 1868 : "Décès". 3 membres d’une même famille. 1 jeune
fille de 12 ans le 6, 1 petite fille de 9 ans le 11, leur père de 43 ans le 13.
Passé #4
Au bal de Bains, un ivrogne cogne sur un autre ivrogne, se disputant
la même jeune fille. Le vainqueur est envoyé au bagne. Le vaincu au cimetière.
Présent #1
Une femme à sa fenêtre. Elle regarde tomber la neige. Il ne
viendra pas ce soir.
Présent #2
Le facteur de St Christophe apporte la lettre recommandée tant attendue. Il
frappe à la porte à plusieurs reprises. Personne n’ouvre.
Présent #3
A Cussac, un homme à la cinquantaine crapoteuse tire ses dernières
cartouches. Si son plan n’aboutit pas, il est décidé à en finir. Personne ne le
regrettera.
Présent #4
Il se passe toujours quelque chose du côté du Champinet. L’opposant
le plus farouche à l’extension de la carrière de Mussic a décidé de passer à la
vitesse supérieure. Il paufine.
Futur #1
Une cousine éloignée resurgit de derrière une branche
oubliée. Elle réclame sa part d’héritage. Elle est ravagée par la vengeance.
Futur #2
Le volcan éteint du Mont Bar décide de se
réveiller. Jets de lave et de pierres. Il y a ceux qui applaudissent au
spectacle et ceux qui sont punis pour habiter trop près.
Futur #3
Un migrant Syrien de 10 ans vit son premier printemps dans
sa famille adoptive de Laussone. Il aime cette campagne calme
mais il a peur des vaches. Il décide de faire face.
Futur #4
La nouvelle mairesse du Cayres, issue du 1er
mouvement En Marche de 2017, soutient coûte que coûte le projet d’implantation
du parc Axtérix Macron Lacustre sur le site classé Neo-Seveso du Lac du Bouchet.
L’opposition préférerait soit un Silex and the City 2.0., soit la construction
d’une Mecque géante. Les zadistes ont regagné leurs gondoles dans le calme.
Cartographie / 7
Après s'être penché avec finesse et insistance sur un personnage de notre carte, élargissons notre champ d'étude! Pour cela, je propose une série de petits textes extraits du "Journal" d'Edouard Levé ( merci à François Bon!) ainsi que du "Journal" de Franz Kafka.
Un
jeune homme de dix-huit ans fait le dur apprentissage de la rue et de
la misère urbaine. Il y découvre aussi l'amour et l'amitié. Un
témoignage brut sur les exclus de la société.
Un
homme et une femme se retrouvent une fois par semaine pour faire
l'amour. Ils ne se parlent pas et excluent toute tendresse. Mais peu
à peu l'homme cherche à en savoir plus sur sa partenaire.
Un
policier à la retraite s'acharne à enquêter sur une affaire
classée : le viol et le meurtre d'une fillette. Il est prêt à
sacrifier sa vie, son argent, voire sa raison, pour démasquer le
coupable.
"Journal" d'Edouard Levé ( POL 2004)
Devant
ma fenêtre, traversant le chantier de l’Université en partie
couvert d’herbes folles, deux petits garçons vêtus de blouses
bleues, l’une claire, l’autre, celle du plus petit, plus foncée,
portent à pleins bras chacun une gerbe de foin séché. Ils la
traînent le long de la côte. Charme de ce spectacle pour l’œil.
(20 août 1912)
L’enfant
de la concierge, qui m’a ouvert la porte. Empaqueté dans un vieux
châle de femme, blême, avec un petit visage engourdi et potelé. La
nuit, la concierge le transporte ainsi arrangé jusqu’à la porte
de la rue. (27 novembre 1913)
La
jeune fille au café. Sa jupe étroite, sa blouse de soie blanche,
vague et garnie de fourrure, son cou nu, son chapeau gris de même
étoffe qui lui emboîte la tête. Visage plein qui rit et qui
respire éternellement, regard bienveillant quoiqu’un peu affecté.
(12 janvier 1914)
Franz Kafka "Journal"
La consigne d'écriture est multiple:
-
choisir 4 personnages du passé, 4 du présent , 4 dans le futur
-
description en 3 phrases de chacun d’entre eux: les faire surgir à
un instant ( en lien avec la carte bien sûr…), les projeter dans
une possible histoire qui n’appartiendra qu’au lecteur
-
sculpter très vite des personnages, en leur donnant de la
complexité
-
tenter de trouver quel point d’assemblage peut les relier: ceux
qui attendent, ceux qui rêvent, ceux qui construisent, ce qu’ils
voient….A chacun de choisir!
mercredi 24 janvier 2018
Cartographie # 5, Collection de cailloux,
Ma collection était intérieure cachée. Elle était à moi trop à moi! on l'appelle lithiase ou collection de pierres aux reins! Voilà pour le décor! Je n'ai rien calculé mais il s'agit de cristaux durs de taille de diamètre différents faits de sels minéraux de calcium. Ceux de calcium peuvent être d'exalate de calcium, de phosphate ammoniacal. Je ne sais pas si j'ai eu des cristaux de cystine dans mon for intérieur! Le nom est joli pourtant. Il sonne à l'oreille malgré le silence de ces cailloux, de ces concrétions dures qui s'agrègent pouvant aller jusqu'à provoquer une anurie c'est-à-dire l'absence totale d'urine. Une collection qui n'est pas sans risques! Qu'il faut pulvériser, fragmenter par ondes de choc. Tout corps soumis à une telle collection n'en ressort pas indemne! On m'a parlé de caillou coralliforme. Un caillou qui à lui seul constitue une collection dense qui a la faculté de grandir. Coralliforme joli mot proche de corail même si ça n'a rien à voir. Tellement dense tellement épais qu'il a fallu l'extraire et même pratiquer l'ablation de sa gangue protectrice le rein pour une exhibition , pour une exposition dans un bocal de faculté de médecine! Une collection à objet unique précieux voire rare. Bon il paraît que Montaigne avait des cailloux de cette collection je lui en sais gré! Et pour exorciser la perte de mon précieux bien sans état d'âme je m'en vais visionner le film "Mal de pierres" de Nicole Garcia .
Catographie # 6 "IL"...
Il naît à Troyes le 30 août 1943. Il grandit solitaire. Il court dans la rue du Chat. Il aime jouer avec les étoffes dans l'atelier de ses parents. Il aime cette ville industrieuse. Il me la fait connaître. Il écoute les discours du général. Il ne comprend pas tout. Il se cache dans les rouleaux de tissu. Il accumule les bêtises. Il plaide coupable. Il monte à Paris. Il intègre un collège chez les Jésuites. Il n'aime pas la discipline. Il entre au lycée. Il se disperse. Il aime le jazz. Il fréquente les caves de Saint Germain. Il revient à Troyes. Il part pour l'Algérie. Il revient. Il exerce plusieurs métiers. Il lui est facile de trouver de changer de déménager. C'est l'époque qui le veut. Il arrive dans le Nord. Il est marié. Il divorce. Il ne plaide pas coupable. Il se remarie. Il arrive en Auvergne. Il aime ce lieu sauvage solitaire. Il ne travaille plus pour le Crédit Agricole. Il pose ses valises. Il reprend le pas de porte d'une auberge. Il l'appelle "La Dorette". Il la transforme. Il en fait son musée son cabinet de conversations. Il y installe le buste de son arrière grand-père chirurgien des premiers temps de l'Hôtel Dieu à Paris des aquarelles sur Bonneval la Chaise-Dieu les photos de ses filles. Il en fait une escale chaleureuse. Il y fait bon rester sur la terrasse un après-midi de soleil avec pour seules voisins les mésanges les geais les chardonnerets un livre les abeilles le chuintement léger du vent dans les arbres. Il y fait bon rester devant la cheminée quand la bise hurle que les pruniers se courbent et que le ciel neigeux ne permet plus de discerner la forêt à une coudée de la fenêtre. Il me rencontre. Il lui fait rencontrer le Festival de la Chaise Dieu. Il m'y fait rencontrer Frédéric Lodéon, Emmanuel Krivine. Ils sont plutôt sympathiques accessibles discrets. Il leur explique la région. Il leur demande la musique. Il aime parler rire boire manger la vie. Il sait être de mauvaise foi aussi. Il traverse ses années l'Auvergne. Il suit sa fille en Bretagne pendant quelque temps. Il revient. Il pose une dernière fois ses valises. Le Puy en Velay. Il emprunte le train souvent la ligne le Puy-Saint Etienne Saint Etienne-Le Puy. Il lit beaucoup. Il me fait toujours rire. Il me parle de Troyes de Bonneval de Glenn Gould de Prague des Jésuites... Il prend des médicaments beaucoup. Il a le corps qui se déglingue. Il a mal. Il est lucide. Il est victime comment dit-on déjà? D'une longue maladie. Il meurt le 8 décembre 2012. Qui a dit fête de la lumière?
naissance en novembre
Elle aurait dû accoucher dans son lit, comme pour les autres. Mais pendant la traite, elle a tout juste le temps de gagner le fenil, courbée en deux. Elle pense aux premières douleurs, mais elle sent un flot tiède et soudain sortir d'elle. Elle croit perdre les eaux. Elle sait les naissances, c'est la neuvième fois. Mais la petite est déjà là, qui ne crie pas tout de suite. Elle relève son tablier. Elle glisse l'enfant dans le berceau de fortune, tapissé de foin odorant. Elle traverse la cour de la ferme. Elle sait qu'il faut faire vite. Elle marche sur la neige, tombée en abondance, qui amortit ses pas et crisse moelleusement. Elle ralentit sa marche ; elle laisse tomber sur l'immaculé des filets rosés, entre l'étable et la maison. Elle lave son bébé. Elle le frictionne vigoureusement. Elle soupire, soulagée, quand elle l'entend crier. Elle découvre que c'est une fille. Encore une fille....La neuvième fille...minuscule, arrivée bien avant l'heure. Elle l'attendait pour la Chandeleur mais elle accouche le dernier jour de Novembre. Elle entend son homme dire : Novembre, c'est Miz du, le mois noir, en breton, il l'a appris l'an dernier, sur le front, de ses camarades bretons. Elle sait que l'armistice aussi , l'an dernier, c'était en plein miz du.
Elle dépose le petit corps emmailloté dans une boîte à chaussures, garnie de coton. Elle glisse la boîte vagissante dans la niche du fourneau. Puis elle s'allonge. Elle sent que tout tourne autour d'elle. Elle entend loin, très loin, son homme atteler la charrette. Elle sait qu'il va au bourg, chercher le docteur. Elle sait que la jument va glisser sur le pont, à cause du verglas. Elle craint pour la vie de sa petite. Mais la vie s'accroche, et la petite est là. Et bien là...
Ce soir elle ira traire...
Elle dépose le petit corps emmailloté dans une boîte à chaussures, garnie de coton. Elle glisse la boîte vagissante dans la niche du fourneau. Puis elle s'allonge. Elle sent que tout tourne autour d'elle. Elle entend loin, très loin, son homme atteler la charrette. Elle sait qu'il va au bourg, chercher le docteur. Elle sait que la jument va glisser sur le pont, à cause du verglas. Elle craint pour la vie de sa petite. Mais la vie s'accroche, et la petite est là. Et bien là...
Ce soir elle ira traire...
Au bord de la Charpassonne
Pour gagner la Charpassonne, par le sentier du Monorail, nous quittions la maison d'école et nous passions par le petit bois ; là, j'avais ramassé un caillou au grain irrégulier, brillant de quelques éclats, parfois diffus, parfois fulgurants, selon la façon dont on le faisait tourner dans les rais de soleil.
Six ou sept ans plus tard, en classe de quatrième, la géologie étant au programme des Sciences Naturelles, j'avais appris que ce minéral s'appelait "granit", composé de quartz, de feldspath et de mica,
et que ce qui brillait, c'était ça, le mica. Déception à la découverte de ce mot, de ces deux syllabes figeant mon rêve. Mica, ça ne collait pas.
Monsieur Bourdon, un ami de la famille, avait fabriqué pour moi une boîte en bois, il y avait disposé des chutes de minéraux fabuleux, rangés dans cet écrin au couvercle vitré. La boîte était quadrillée de planchettes croisées et au moins quarante pierres me regardaient et me fascinaient par leurs couleurs, leurs formes, leur grain, et leurs noms, poétiques, souvent. Une étiquette dorée pour chacune, les désignait en lettres noires.
Aventurine, Rose des Sables, cristal de roche, améthyste...Une pierre était réputée pour être saupoudrée de poison, une de curieuses couleurs, criardes, jaune et rouge, qu'on aurait pensé peintes à la gouache. Et il y avait une case vide pour la pierre manquante. Mon caillou magique y trouverait tout naturellement sa place. Quand je l'avais trouvé dans le petit bois, adossée contre un pin boulange, par hasard, mes mains fouillant distraitement sous la mousse, j'avais pensé à la case vide de la grande boîte, et à la pierre manquante...
Six ou sept ans plus tard, en classe de quatrième, la géologie étant au programme des Sciences Naturelles, j'avais appris que ce minéral s'appelait "granit", composé de quartz, de feldspath et de mica,
et que ce qui brillait, c'était ça, le mica. Déception à la découverte de ce mot, de ces deux syllabes figeant mon rêve. Mica, ça ne collait pas.
Monsieur Bourdon, un ami de la famille, avait fabriqué pour moi une boîte en bois, il y avait disposé des chutes de minéraux fabuleux, rangés dans cet écrin au couvercle vitré. La boîte était quadrillée de planchettes croisées et au moins quarante pierres me regardaient et me fascinaient par leurs couleurs, leurs formes, leur grain, et leurs noms, poétiques, souvent. Une étiquette dorée pour chacune, les désignait en lettres noires.
Aventurine, Rose des Sables, cristal de roche, améthyste...Une pierre était réputée pour être saupoudrée de poison, une de curieuses couleurs, criardes, jaune et rouge, qu'on aurait pensé peintes à la gouache. Et il y avait une case vide pour la pierre manquante. Mon caillou magique y trouverait tout naturellement sa place. Quand je l'avais trouvé dans le petit bois, adossée contre un pin boulange, par hasard, mes mains fouillant distraitement sous la mousse, j'avais pensé à la case vide de la grande boîte, et à la pierre manquante...
Cartographie 6
Il s’appelle Chilek, il est né le 28 décembre 1933 à Saint-Etienne, il a des parents juifs polonais qui sont marchands forains; il a quatre ans quand sa grand-mère vient vivre avec eux; il a une sœur qui a trois ans de moins que lui; il apprend le yiddish avec sa grand-mère; il passe un an dans un pensionnat catholique; il a 9 ans quand ses parents, le confie à une famille de Marlhes, en 1942. Il participe à la vie de la famille, il s’appelle maintenant Charles; il se sent accueilli comme un fils, par cette femme qui est veuve et fait marcher la ferme avec son fils aîné de 18 ans; il a le même âge que le second fils. Il apprendra plus tard que son père est mort à Auschwitz en 1944. Il va régulièrement à Marlhes. Il dit que cette femme, fervente catholique, lui a transmis ses valeurs; il en parle encore avec émotion aujourd’hui. Il passe son C.A.P. d’électricien. Il a 17 ans lorsqu’il commence à militer au PCF en 1951. Il travaille à la C.F.V.E. à Saint-Etienne. Il est actif syndicalement dans l’entreprise. Il est licencié pendant qu’il effectue un stage politique. Il fait des petits boulots. Il se marie en 1953. Il est remarqué par l’encadrement du parti, il monte dans la hiérarchie locale. Il part au service militaire. Il évite l’Algérie en raison de sa situation de famille. Il revient du service militaire en 1956, il est embauché chez Schneider comme électricien P1. Il y reste 6 ans. Il quitte Schneider en 62, il est nommé directeur-adjoint de l’école du parti. Il devient secrétaire de Waldeck Rochet en 1965, il le considère comme son maître. Il devient le secrétaire de Georges Marchais en 1972. Il revient régulièrement à Marlhes dans cette famille qui l’a accueilli. Il est élu conseiller général de Villejuif en 1973. Il est député du Val de Marne de 1978 à 1981. Il devient Ministre d’Etat, ministre des transports du gouvernement Pierre Mauroy 2, il est le quatrième personnage du gouvernement dans l’ordre protocolaire. Il parle de son attachement à cette famille de Marlhes, dans une interview. Il fait voter la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) en 1982, qui régit toujours l’organisation des transports à l’heure actuelle. Il quitte le gouvernement en 1984. Il est député du Rhône de 1986 à 1988. Il fait parti des refondateurs du PC. Il est battu aux législatives de 1993 à Saint-Etienne. Il quitte le PCF. en 1998. Il adhère au PS la même année. Il soutient Ségolène Royal en 2008. Il quitte le Parti Socialiste en 2017. Il vient toujours à Marlhes, voir son ami, le deuxième fils, il se souvient des paroles de cette chanson yiddish que chantait sa mère quand il avait cinq ou six ans.
mardi 23 janvier 2018
ELLE, Philomène #2
Elle parle peu, ce qu'elle veut dire, elle le fait, plutôt. Elle croit aux fées, elle va dans les bois où l'on dit qu'il y a des sabbats de sorcières. Elle passe pour une sorcière. Elle bricole des mixtures. Elle utilise les plantes qu'elle a tant regardées à l'époque des moutons et des heures de solitude au grand air. Elle ne parle pas non plus lorsqu'elle emmène ma mère, encore enfant, chez des inconnus pour qu'elle y gagne trois sous. Elle se sauve et laisse la petite fille abandonnée sans mots. Elle ne parle pas non plus à ma sœur qui vient aider son fils, notre oncle, à garder les vaches et les moutons. Elle fabrique une petite épouvante pour cette fillette de 8 ou 10 ans qui traverse seule à la nuit tombée les grands espaces plein de fées et de sorcières ombrageuses, tandis que cette elle-là marche, accrochée à la queue d'une vache qui connaît le chemin de l'étable. Elle porte une coiffe de dentelles et un habit noir, lustré. Elle ne me raconte pas d'histoires. Elle me regarde de ses yeux morts et enfoncés, elle me tient la main en silence. Elle n'a plus qu'une dent au milieu de la gencive supérieure. Elle ressemble à une sorcière avec un sautoir en or. Elle habite chez nous. Elle me laisse des traces. Elle fait battre mon cœur lorsque j'écris. Elle sent peut-être un peu le vieux. Elle porte en elle tous ces morts, tous ces morts. Elle ne met plus au monde les bébés. Elle laisse les femmes partir dans les maternités. Tandis qu'elle habite chez nous, le mois de mars 1965 m'apporte une petite sœur dans un burnous. Au bout d'un moment, Elle repart à l'Hôpital Emile Roux du Puy en Velay, sa dernière demeure. Elle, c'est pour mourir qu'elle choisit le printemps. Le 5 mars 1966, le même jour que sa mère. Elle a 74 ans. Ou bien elle ne choisit pas. Elle est fidèle aux dates et aux mémoires. Elle ne veut pas me quitter. Elle me laisse les images qui font peur, là, dans le couloir de ma mémoire.
dimanche 21 janvier 2018
La Durande
Elle n’a pas le
choix. Elle a plein de choses à faire. Elle coupe l’herbe pour les
lapins. Elle sort les chèvres de leur enclos. Elle les mène paître
dans le pré derrière la maison. Elle coupe des branches de frênes.
Elles en sont friandes. Elle surveille d’un œil discret. Elle
s’allonge dans l’herbe pour regarder passer les nuages. Elle voit
des formes se dessiner dans le ciel. Elle oublie ses chèvres. Elles
sont passées par-dessus les gros rochers. Elles sont allées vers la
rivière. Elles sont derrière les buissons. Elle appelle sa chienne.
Elles courent pour rattraper les drôlesses. Elle les ramène à la
maison de Durand. Elle est en 1860. Elle a sept ans. Elle va tirer
l’eau dans le puits près de la maison. Elle surveille sa petite
sœur et le bébé pendant que sa mère s’active dans le jardin.
Elle chante une berceuse à Jean-Marie et elle surveille du coin de
l’œil Marie qui n’en fait qu’à sa tête. Elle met les
assiettes et les couverts sur la table. Elle pense à l’école.
Elle n’y va pas tous les jours. Elle est contente d’y aller. Elle
commence à savoir lire, un peu. Elle va à la rivière avec la
brouette. Elle aide sa mère à laver le linge. Elle chantonne pour
passer le temps. Elles poussent la brouette qui est lourde en
remontant le chemin. Elle étend le linge sur un fil. Elle n’est
pas assez grande, mais sa mère est enceinte et fatiguée. Elle
regarde passer des oiseaux dans le ciel. Elle voudrait bien savoir
leur nom. Elle va à l’école, son frère aîné ne l’attend pas.
Elle sautille même avec ses sabots. Elle rejoint la rivière. Elle
traverse le pont du diable en courant. Elle a toujours peur à cet
endroit. Elle remonte le sentier sur l’autre versant. Elle se
retourne et voit sa maison toute petite. Elle regarde le château de
Chalencon, en ruine, au-dessus d’elle. Elle rejoint l’école.
Elle retrouve Baptiste, le fils de l’instituteur. Elle arrive à
lire toute une page de son livre en suivant les mots avec son doigt.
Elle prépare son trousseau. Elle est le 18 février 1878, elle signe
le contrat de mariage dans un café à Tiranges avec le notaire. Elle
apporte ses habits, linges, hardes, un lit complet usagé du pays,
estimé à la somme de 75F, et une armoire estimée 25F. Elle a
reçu une partie de son héritage: 600F. Elle se marie en mars. Elle
ne sera plus une bouche à nourrir pour ses parents… Elle a appris
le travail de dentellière. Elle devient la femme d’Antoine. Elle
change de nom. Elle devient la Durande. Elle change de maison. Elle
habite dans une maison du Châpre achetée par Antoine. Elle est près
du centre du village. Elle sait s’occuper d’une ferme et des
animaux. Elle sait tenir une maison et s’occuper des enfants. Elle
a huit frères et sœurs. Elle aura sept enfants, quatre filles et
trois garçons. Elle ne connait pas ses beaux-parents morts depuis
bien longtemps. Elle voit ses parents à l’église le dimanche.
Elle n’a guère le temps de regarder les nuages dans le ciel ou les
oiseaux. Elle a les yeux fixés sur les napperons de dentelle qu’elle
doit vendre. Elle est assise dans la petite pièce avec des
voisines. Elles agitent les fuseaux de buis qui cliquètent pendant
qu’elles parlent en patois. Elles sont habiles à croiser les fils
sur les modèles en carton tout en partageant les petits riens du
quotidien. Elles croisent et décroisent leurs inquiétudes: les
maris montés à la scie pour compléter les revenus de la
ferme, les enfants malades ou morts, la vie qui n’en est pas
une...Elles rient un peu, elles chantent, elles pleurent aussi. Elle
a perdu sa première fille Marie à quelques mois. Elle a perdu un
fils Jean-Baptiste à 18 ans un soir de Noël, de la diphtérie. Elle
a perdu son troisième enfant , il avait vingt ans , c’était le 22
août 1914. Elle a une longue robe noire. Elle a un tablier
par-dessus avec de grandes poches. Elle a toujours un bonnet blanc
sur la tête. Elle a un grand nœud sous le menton. Elle ne montre
jamais ses cheveux.Elle ne sourit pas beaucoup. Elle est veuve et
tous ses enfants sont partis de la ferme. Elle ne descend plus à
Durand depuis longtemps, le chemin n’est pas aisé. Elle va
jusqu’au cimetière de temps en temps. Elle descend passer les mois
d’hiver chez sa fille à Saint-Etienne. Elle prend l’autocar. Elle s’occupe de son
petit-fils. Elle le conduit à l’école. Elle remonte les trois
étages où vit sa fille, le petit est remonté derrière elle, sans
un bruit…elle le ramène à l’école en murmurant ah ce
petit... Elle connait une vie exceptionnellement longue pour
l’époque. Elle est née quelques semaines après le début du
second Empire. Elle connaît la Troisième République pratiquement
tout entière. Elle découvre l’eau sur l’évier et les égouts à
Saint-Etienne. Elle écoute la TSF. Elle n’a pas connu la machine à
laver. Elle a lavé le linge toute sa vie au lavoir des Billards.
Elle meurt à plus de 84 ans d’une crise d’urémie. Elle a laissé
son carreau de dentellière dans la maison du Châpre. Elle est l'
arrière-grand-mère.
vendredi 19 janvier 2018
Cartographie 6
Il a de longues
moustaches blanches cirées aux pointes et retroussées en l'air. Il
chevauche sa mobylette bleue. Il est le seul à posséder une
mobylette. Il est maigre et sec. Il ressemble à Don Quichotte. Il
doit abattre des moulins quand on ne le voit pas. Il est abonné au
« Reader Digest ». « Il est original » disent
les paysans. Il a une femme alcoolique. Il descend chaque jour le
chemin qui passe devant la ferme. Il se tient très droit sur sa
mobylette. Il n'est jamais à pied. Il s'arrête pour embrasser la
petit fille avec ses moustaches qui piquent. Il ne la voit que l'été
puisque c'est ici qu'elle passe ses vacances. Il a à coeur de lui
enseigner tout ce qu'il apprend dans ses lectures. Il lui montre les
spermatozoïdes dans son Reader Digest. Il lui explique en détail la
fécondation de l'ovule quand elle a dix ans. Il ne l'emmène jamais
sur sa mobylette. Il est vif, intelligent. Il vit de quoi ? Il fuit
sa bicoque délabrée. Il fuit sa femme ivre et ses deux filles
alcooliques qui hurlent. Il n'a pas l'air malheureux. Il se réfugie
dans la lecture. Il ne lit pas de roman. Il s'éduque. Il est le type
même de l'autodidacte. Il explique très bien et montre les images à
l'appui. Il est de santé fragile. Il n'est donc pas parti dans les
tranchées comme tous les autres. Il est le tuteur de la mère
mineure et sans parents de la petite fille. Il a aidé la grand-mère
de la fillette pendant la guerre de 14-18. Il était là quand la
maison a brûlé. Il a reconstruit en pisé en l'absence du
grand-père. Il paraît qu'il a été son amant. « Il est le
père de ton père » disent les voisins bien intentionnés à
la petite fille. « Il a toujours un mouchoir blanc et propre
dans sa poche comme ton père, c'est bien la preuve »
disent-ils encore. Il s'occupe beaucoup d'elle. Il l'aime, elle le
sent. Il est son parrain, c'est comme ça qu'elle l'appelle
« Parrain » quand il arrive. Il est une bouffée d'air
frais même si ses bouts de moustaches sont noircies de tabac. Il
croit en l'intelligence. Il apporte des bouffées d'air frais. Il
transporte le monde extérieur dans sa besace. Il parle de politique
ce que personne ne fait à la campagne. Il lie les choses les unes
aux autres. Il élargit le monde et lui donne un sens. Il pense que
l'on doit acquérir le maximum de connaissances. Il pense que c'est
le seul moyen de s'en sortir. Il est passé chaque jour, pendant
l'été aussi loin qu'elle s'en souvienne. Il porte une besace en
bandoulière. Quand il arrive il pose pied à terre. Il cale la
mobylette. Il prend la fillette sur ses genoux. Il lui raconte des
histoires de « grande ». Il ne la considère pas comme un
bébé. Il n'est pas venu tous les étés. Il a été hospitalisé,
elle ne sait pas pourquoi. Il était entouré par le secret. Il a dû
mourir il y a longtemps, elle a oublié ou on ne le lui a pas dit. Il
a payé sa première mobylette quand elle partie à l'université à
Lyon. Il a donné l'argent à la grand-mère qui l'a donné au père
qui le lui a dit. Il a dit que la petite devait poursuivre ses
études. Il a toujours été sans âge. Il lui manque quand elle
pense à lui. Il a été son premier maître. Il était libre et
filait comme le vent. Il est le premier modèle de père, ce n'est
qu'aujourd'hui qu'elle le sait. Il est l'un de ces inconnus qui
circulent dans ses veines. Il l'a profondément marquée.
mercredi 17 janvier 2018
Cartographie 5.1
Source présumée du Valchérie
C’est une source ancienne, les pierres qui la marquent semble l’indiquer; modernisée, le bassin circulaire en témoigne; captée, le tuyau de plastique où l’eau s’engouffre à la sortie du bâchat le prouve. Le captage n’est que momentané, le tuyau jaune, la prairie traversée, libère le ruisseau qui file sous la route et poursuit sa course. Difficile d’imaginer (s’il s’agit bien du Valchérie) que ce ruisseau se transformait en force motrice propre à faire fonctionner de petites industries métallurgiques à son arrivée dans la vallée de l’Ondaine, avant la confluence avec celle-ci. Encore plus difficile d’imaginer que ce petit glouglou s’en ira, emporté par le courant de la Loire jusqu’à l’Atlantique; imaginons encore ces quelques gouttes d’eau, mêlées au Gulf Stream et montant vers le nord; là, deux routes, droit au nord vers l’Arctique ou plutôt cap sur l’Amérique et rencontre avec le courant du Labrador aux Grands Bancs; plein sud, frôlant le Brésil, nos molécules poursuivront peut-être jusqu’à l’Antarctique qui détourne ce courant froid vers l’est; outrepassant l’Australie, bien au sud, il va remonter, s’enrouler, se réchauffer, au cœur du Pacifique et revenir, courant chaud, au travers de l’océan Indien, contournant l’Afrique, remontant l’Atlantique Sud jusqu’à l’Amérique Centrale, entre Floride et Bahamas point de départ du Gulf Stream; à moins que, d’ici là, nos molécules d’eau ne nous fussent revenues sous forme de flocons de neige, pour nourrir notre petite source, qui glougloute à nos oreilles sous le charme une musique bucolique.
C’est une source ancienne, les pierres qui la marquent semble l’indiquer; modernisée, le bassin circulaire en témoigne; captée, le tuyau de plastique où l’eau s’engouffre à la sortie du bâchat le prouve. Le captage n’est que momentané, le tuyau jaune, la prairie traversée, libère le ruisseau qui file sous la route et poursuit sa course. Difficile d’imaginer (s’il s’agit bien du Valchérie) que ce ruisseau se transformait en force motrice propre à faire fonctionner de petites industries métallurgiques à son arrivée dans la vallée de l’Ondaine, avant la confluence avec celle-ci. Encore plus difficile d’imaginer que ce petit glouglou s’en ira, emporté par le courant de la Loire jusqu’à l’Atlantique; imaginons encore ces quelques gouttes d’eau, mêlées au Gulf Stream et montant vers le nord; là, deux routes, droit au nord vers l’Arctique ou plutôt cap sur l’Amérique et rencontre avec le courant du Labrador aux Grands Bancs; plein sud, frôlant le Brésil, nos molécules poursuivront peut-être jusqu’à l’Antarctique qui détourne ce courant froid vers l’est; outrepassant l’Australie, bien au sud, il va remonter, s’enrouler, se réchauffer, au cœur du Pacifique et revenir, courant chaud, au travers de l’océan Indien, contournant l’Afrique, remontant l’Atlantique Sud jusqu’à l’Amérique Centrale, entre Floride et Bahamas point de départ du Gulf Stream; à moins que, d’ici là, nos molécules d’eau ne nous fussent revenues sous forme de flocons de neige, pour nourrir notre petite source, qui glougloute à nos oreilles sous le charme une musique bucolique.
Cartographie 5
Prolégomènes à une quête/enquête de sources
Ce que l’on connaît des rivières et des fleuves, lorsqu’on habite un pays d’en haut, ce sont leurs sources.
Ce que l’on connaît des rivières et des fleuves, lorsqu’on habite un pays d’en haut, ce sont leurs sources.
- La source est l’aboutissement d’un parcours invisible et souterrain, cette partie cachée du cycle de l’eau, avant qu’elle n’apparaisse au jour sous forme d’eau vive.
- En fonction de cette mystérieuse course occulte, que la spéléologie moderne permet parfois d’expliquer, toujours les sources ont une certaine proximité avec le sacré.
- Le terme de source, s’il semble relativement monosémique, dans le sens où il marque toujours l’origine, le commencement, l’endroit où jaillit la connaissance, ce qui est avant n’étant révélé qu’à l’instant et à l’endroit de la source, ne peut s’abstraire d’une certaine pluralité de domaines d’application qui ne sont pas sans lien les uns avec les autres.
- Ma quête de sources concerne essentiellement le Haut-plateau du Pilat ou Plateau de Saint Genest Malifaux.
- Le plateau, dont l’altitude varie de 900 à 1300 mètres, est la partie sud-est du massif du Pilat, il représente à peu près un cinquième de la surface de celui-ci.
- La carte du plateau montre un important chevelu de cours d’eau et cinq barrages, dont quatre en fonction, qui confortent la réputation du massif du Pilat d’être le château d’eau des pays à l’entour; il n’est que de considérer sur la carte les autres régions du massif pour confirmer cette impression.
- S’interroger sur les sources, quand on s’interroge sur ses propres origines, ça n’est ni banal ni neutre; les deux recherches sont vraisemblablement liées.
lundi 15 janvier 2018
Gaspard
(Référence : Henri Isselin, La Meije, éditions Arthaud,1977. Les emprunts à l'auteur sont indiqués en italiques).
Il sera un des plus grands alpinistes, cumulant les "premières" dans le massif de l'Oisans. Il a 42 ans, assis sur le muret à l'entrée du village, il attend le jeune alpiniste Emmanuel Boileau Castelnau. Il est le fils de Pierre Hughes, berger de la vallée du Var, qui tous les ans remontait le Vénéon avec les troupeaux transhumants venus de Provence. il a des yeux perçants, un regard déterminé. Il a grandi à Saint-Christophe en Oisans. Il chasse, cherche ses chèvres dans le massif, travaille aux champs. Il guide des touristes dans des courses en montagne. Il se fait connaître pour la sûreté de ses pas et sa sérénité. Il va conduire Boileau de Castelnau dans la Première de la Meije, le sommet de 3983 mètres que l'on croyait invincible, tant d'alpinistes l'ayant tenté sans y parvenir. Il part avec son "client" le 3 août 1877, longe la longue et sauvage vallée de la Selle s'arrête au Châtelleret où son fils a monté les vivres pour le bivouac. Il quitte le lieu dès l'aube le ciel pâlit légèrement et bientôt, les premières lueurs du jour illuminent le sommet du Grand Pic de la Meije, puis le Doigt de Dieu et l'arrête aux quatre dents. Il conduit ses compagnons jusqu'au glacier des Etançons, regarde la montagne. Il s'oppose aux propositions de Boileau de Castelnau, il a raison. Il arrive au Promontoire, continue délesté des provisions. Il cherche dans la muraille, trouve un passage, s'élève de quelques mètres, ici même où les autres montagnards ont rebroussé chemin. Il est hissé, se hisse seul, franchit le passage le plus délicat, regarde le baromètre : 3485 mètres. Il renonce, là, pour cette fois.
Il repart avec ses compagnons le 16 août. Il attaque la paroi, retrouve une de ses cordes abandonnées précédemment qui va faciliter le passage. Il attache son fils et son "client". Il va se heurter à des obstacles plus sérieux que ce premier ressaut qu'il refusait quelques jours plus tôt d'aborder, mais en franchissant celui-ci, il semble qu'il ait brisé le cercle enchanté qui protégeait la Meije.
Il va ouvrir la voie avec une hardiesse et une intuition en tous points remarquables.
Il passe, puis ses compagnons le suivent.
Il taille des marches dans la glace. Il progresse, le sommet apparaît. Il se bat malgré la résistance acharnée de la Meije qui se refuse toujours. Il ne peut plus avancer, ni faire demi-tour, appelle au secours, il est pâle comme ses compagnons, tremble tandis que le temps devient mauvais. Il ne veut pas échouer si près du but. Il découvre une issue sur la face Nord, la plus rébarbative, la plus inhospitalière. Il débouche enfin sur la surface horizontale, là où il n'y a plus rien que le ciel et la course des nuages.
Il s'écrie : "Ce ne sont pas des guides étrangers qui arriveront les premiers !".
Il doit redescendre la cordée, or, le retour est difficile, le temps se déchaîne, la Meije se venge. Il constate un curieux phénomène : la neige se congèle sur les vêtements, se transformant en glace, elle paralyse les hommes. Il sait qu'il leur faut attendre la fin de la nuit, espérer un redoux, ne pas fermer les yeux, ne pas bouger, de toute manière aucun mouvement n'est possible, tous trois sont à genoux, entrelacés dans la tempête.
Il regarde sa montre, il est 4h du matin, personne ne peut se mouvoir. il attend encore deux heures et, pour se réchauffer, les hommes se frappent mutuellement afin de ramener la circulation sanguine dans leurs corps. Il fait face à de nouvelles difficultés, rochers impraticables, finalement vient la délivrance. Il lance alors un "gros bonjour" à la Pyramide de M. Duhamel, puis le reste de la descente se fait sans encombre malgré la pluie torrentielle.
Il mange avec grand appétit en retrouvant le bivouac du Châtelleret, son "client" dormira plus de seize heures d'affilé.
Il a conquis avec son fils et Boileau Castelneau la plus mythique montagne convoitée par les alpinistes se bagarrant au nom de leur nation respective pour la conquête des sommets, comme plus tard pour l'Himalaya, puis celle de la lune.
Il aura son nom sur la montagne : le Pic Gaspard. Il sera appelé avec respect "Le père Gaspard" et entrera dans la légende en tant que Gaspard de la Meije.
Il continuera longtemps les courses en montagne. Il mourra en 1915.
Il sera un des plus grands alpinistes, cumulant les "premières" dans le massif de l'Oisans. Il a 42 ans, assis sur le muret à l'entrée du village, il attend le jeune alpiniste Emmanuel Boileau Castelnau. Il est le fils de Pierre Hughes, berger de la vallée du Var, qui tous les ans remontait le Vénéon avec les troupeaux transhumants venus de Provence. il a des yeux perçants, un regard déterminé. Il a grandi à Saint-Christophe en Oisans. Il chasse, cherche ses chèvres dans le massif, travaille aux champs. Il guide des touristes dans des courses en montagne. Il se fait connaître pour la sûreté de ses pas et sa sérénité. Il va conduire Boileau de Castelnau dans la Première de la Meije, le sommet de 3983 mètres que l'on croyait invincible, tant d'alpinistes l'ayant tenté sans y parvenir. Il part avec son "client" le 3 août 1877, longe la longue et sauvage vallée de la Selle s'arrête au Châtelleret où son fils a monté les vivres pour le bivouac. Il quitte le lieu dès l'aube le ciel pâlit légèrement et bientôt, les premières lueurs du jour illuminent le sommet du Grand Pic de la Meije, puis le Doigt de Dieu et l'arrête aux quatre dents. Il conduit ses compagnons jusqu'au glacier des Etançons, regarde la montagne. Il s'oppose aux propositions de Boileau de Castelnau, il a raison. Il arrive au Promontoire, continue délesté des provisions. Il cherche dans la muraille, trouve un passage, s'élève de quelques mètres, ici même où les autres montagnards ont rebroussé chemin. Il est hissé, se hisse seul, franchit le passage le plus délicat, regarde le baromètre : 3485 mètres. Il renonce, là, pour cette fois.
Il repart avec ses compagnons le 16 août. Il attaque la paroi, retrouve une de ses cordes abandonnées précédemment qui va faciliter le passage. Il attache son fils et son "client". Il va se heurter à des obstacles plus sérieux que ce premier ressaut qu'il refusait quelques jours plus tôt d'aborder, mais en franchissant celui-ci, il semble qu'il ait brisé le cercle enchanté qui protégeait la Meije.
Il va ouvrir la voie avec une hardiesse et une intuition en tous points remarquables.
Il passe, puis ses compagnons le suivent.
Il taille des marches dans la glace. Il progresse, le sommet apparaît. Il se bat malgré la résistance acharnée de la Meije qui se refuse toujours. Il ne peut plus avancer, ni faire demi-tour, appelle au secours, il est pâle comme ses compagnons, tremble tandis que le temps devient mauvais. Il ne veut pas échouer si près du but. Il découvre une issue sur la face Nord, la plus rébarbative, la plus inhospitalière. Il débouche enfin sur la surface horizontale, là où il n'y a plus rien que le ciel et la course des nuages.
Il s'écrie : "Ce ne sont pas des guides étrangers qui arriveront les premiers !".
Il doit redescendre la cordée, or, le retour est difficile, le temps se déchaîne, la Meije se venge. Il constate un curieux phénomène : la neige se congèle sur les vêtements, se transformant en glace, elle paralyse les hommes. Il sait qu'il leur faut attendre la fin de la nuit, espérer un redoux, ne pas fermer les yeux, ne pas bouger, de toute manière aucun mouvement n'est possible, tous trois sont à genoux, entrelacés dans la tempête.
Il regarde sa montre, il est 4h du matin, personne ne peut se mouvoir. il attend encore deux heures et, pour se réchauffer, les hommes se frappent mutuellement afin de ramener la circulation sanguine dans leurs corps. Il fait face à de nouvelles difficultés, rochers impraticables, finalement vient la délivrance. Il lance alors un "gros bonjour" à la Pyramide de M. Duhamel, puis le reste de la descente se fait sans encombre malgré la pluie torrentielle.
Il mange avec grand appétit en retrouvant le bivouac du Châtelleret, son "client" dormira plus de seize heures d'affilé.
Il a conquis avec son fils et Boileau Castelneau la plus mythique montagne convoitée par les alpinistes se bagarrant au nom de leur nation respective pour la conquête des sommets, comme plus tard pour l'Himalaya, puis celle de la lune.
Il aura son nom sur la montagne : le Pic Gaspard. Il sera appelé avec respect "Le père Gaspard" et entrera dans la légende en tant que Gaspard de la Meije.
Il continuera longtemps les courses en montagne. Il mourra en 1915.
samedi 13 janvier 2018
cartographie #6 Elle, Philomène #1
Elle ne naît pas la nuit. Elle naît à 4 heures du soir le 8 octobre 1888. Elle est la première à rester vivante. Elle inaugure son prénom dans sa famille mais c'est courant dans son village. Elle est fille de Jean Pierre et Marie Amélie. Elle ne va pas à l'école. Elle reste accroupie sous la table à écouter les parents. Elle entend les mots et ne les comprend pas. Elle a mal à la tête. Elle garde quand même les moutons. Elle sourit aux vaches en tricotant. Elle a les yeux bleus et ne se demande pas pourquoi. Elle regarde les plantes pousser. Elle regarde les plantes tout court. Elle saura les utiliser plus tard. Elle ne va pas à l'école. Elle a un petit frère André et une petite soeur Amélie. Elle aime chanter et danser. Elle a un petit talent. Elle ne va jamais au Puy avec son père. Elle se demande ce qu'il y a derrière les collines. Elle se cache derrière le tablier de sa mère. Elle ne peut pas le faire longtemps. Elle a six ans habillée de noir. Elle n'a plus de maman, morte si jeune. Elle n'a plus de grand-père non plus, mort quelques mois auparavant. Elle se souvient des mots entendus sous la table. Elle en comprend des bribes. Elle a mal à la tête. Elle ne sait pas encore qu'on peut s'y mettre une feuille de chou et que ça soulage. Elle ne sait pas faire de miracles. Elle court dans les champs, seule. Elle pleure dans le noir. Elle a 10 ans de moins que sa belle-mère. Elles se prénomment toutes 2 Philomène. Elle s'occupe comme elle peut quand on lui en laisse le temps. Elle se cache derrière les jambes de son père. Elle habite dans le café tenu auparavant par son grand-père maternel. Elle entend des mots velus sortis de la bouche des hommes trapus. Elle est habituée à l'odeur du vin. Elle en boit parfois. Elle apprend à compter avant d'apprendre à lire. Elle ne connaît pas ses oncles. Elle sait qu'ils sont morts à la guerre. Elle sait que la guerre, ça fait partie de la vie. Elle s'agenouille le soir pour passer la serpillière. Elle s'agenouille le matin pour faire sa prière. Elle essaie d'aimer sa belle-mère qui est comme une grande soeur malade toujours couchée. Elle a deux demi-soeurs et un demi-frère mis au monde par sa belle-mère toujours couchée. Elle s'occupe d'eux. Elle vit dans un territoire étriqué. Elle ne connaît pas le mot vacances et ne le connaîtra jamais. Elle finit par être une jeune fille. Elle va au bal dans un village voisin. Elle y rencontre un jeune homme cassé qui n'est pas mort à la guerre. Elle répond aux questions des gendarmes. Elle ne sait rien du jeune homme Faure qui travaillait chez eux. Elle suit l'enterrement de son père. Elle regarde la photo sépia et les grosses pierres près de sa tête. Elle a mal à la tête. Elle épouse le jeune homme cassé gazé. Elle suit son enterrement le 9 mars 1919. Elle ne quitte plus ses habits noirs. Elle part. Le 10 janvier 1920 elle épouse Antoine, dans un autre village. Elle aurait pu tomber mieux. Elle aime toujours autant chanter en patois. Elle est célèbre pour ses bourrées avec une bouteille sur la tête et une autre dans chaque main. Elle a un port de tête sans adjectif. Elle rend son époux jaloux par sa joie. Elle met au monde une ribambelle d'enfants, tous les 2 ans, Philomène, Marie, Pierre, Théofrède, Jacques. Elle fait comme les autres elle courbe le dos elle travaille elle prie elle travaille. Elle tricote le soir à la veillée pour habiller ses enfants. Elle boit un coup et en ramasse. Elle entend des insultes qui pleuvent sur sa tête et celle de ma mère. Elle est traitée de grosse truie alors qu'elle est maigre comme un clou. Elle vouvoie son mari et ses enfants comme c'est la coutume. Elle entend la guerre qui est revenue. Elle a peur. Elle aide son mari. Elle aide les femmes à accoucher. Elle cache les étrangers du maquis. Le 7 juin 44, elle est parmi les habitants rassemblés dans le pré tandis que les allemands incendient les bâtiments. Elle est assise sur un tas de cendres. Elle et ma mère contemplent la désolation fumante. Elle pense que Rossignol, c'est pas un nom pour un incendie. Elle fait partie des sinistrés. Elle est séparée de corps et de fait d'avec son époux le 25 février 1947. Elle vit avec son fils à La Fagette. Elle élargit son territoire. Elle sort de la carte. Elle retrouve les moutons. Elle me fait mal à la tête.
Ste Philomène faisait des guérisons[En 1961, la sainte fut rayée du calendrier par la Sacrée Congrégation des Rites. Cette instruction était une directive liturgique qui n'interdit en aucune manière la dévotion privée envers elle.] "À 9 h 30, les habitants de Saint-Jean voient passer un convoi impressionnant venant du Puy et se dirigeant vers Rossignol : 400 hommes, 24 camions avec des canons de 32 mm. La colonne s’arrête au village, puis remonte vers « Rossignol ». Tous les habitants du village sont rassemblés par les soldats dans un pré voisin sous la garde d’une sentinelle. Dans les fermes, les maquisards ont déjà quitté les lieux. En représailles, les Allemands incendient les bâtiments. Vers 14 heures, le convoi allemand retourne au Puy-en-Velay par la route de Bains. Le combat de Rossignol s’achève. Il fera huit victimes dans les rangs français.
Ste Philomène faisait des guérisons[En 1961, la sainte fut rayée du calendrier par la Sacrée Congrégation des Rites. Cette instruction était une directive liturgique qui n'interdit en aucune manière la dévotion privée envers elle.] "À 9 h 30, les habitants de Saint-Jean voient passer un convoi impressionnant venant du Puy et se dirigeant vers Rossignol : 400 hommes, 24 camions avec des canons de 32 mm. La colonne s’arrête au village, puis remonte vers « Rossignol ». Tous les habitants du village sont rassemblés par les soldats dans un pré voisin sous la garde d’une sentinelle. Dans les fermes, les maquisards ont déjà quitté les lieux. En représailles, les Allemands incendient les bâtiments. Vers 14 heures, le convoi allemand retourne au Puy-en-Velay par la route de Bains. Le combat de Rossignol s’achève. Il fera huit victimes dans les rangs français.
- Plaque commémorative (Photo indexée) (Dans l'église)
- Stèle commémorative (Photo indexée) (Hameau de Rossignol - Commune de Saint Jean Lachalm - En témoignage de reconnaissance/envers ceux qui dans l'Honneur et la Dignité sont tombés les premiers sur notre Territoire le 07 juin 1944. Puisse le souvenir de leur sacrifice rester gravé dans les mémoires et animer chacun de nous d'un esprit fraternel - - Ici sont morts pour la libération du Pays le 07 juin 1944 , FAURE Prosper Le Puy GUIGON Henri Langogne PARAT Lucien Brives VALHORGUES Pascal Le Puy du groupe LAFAYETTE. CHANUT Adolphe ELFOND Jacques ELFOND Simon LEWKOWICZ Alfred arrêtés en se rendant ici fusillés à Orcines le 13 juillet 1944. La Commune de Ouïdes aux glorieux F.F.I.morts pour la libération du pays bataille de Rossignol 07 juin 1944. Le monument a été inauguré le 10 juin 1946. L'inscription concernant ceux qui ont été fusillés à Orcines a été ajoutée le 04/06/1994)
- Monument aux Morts (Photo indexée) (Sur la place entre l'église et la mairie)
- Livre d'Or du ministère des pensions (Pas de photo) (Loi du 25 octobre 1919)
vendredi 12 janvier 2018
Cartographie /6
On commence l'année 2018 sans lâcher notre projet de cartographie, plus motivés que jamais! Les collections de pierres, d'arbres, d'animaux peuvent bien évidemment se poursuivre ( c'est le principe même de la collection!!!) et continuer à alimenter ce blog dont le cœur bat avec force.
Pour cette nouvelle séance je fais appel à Anne-James Chaton et son livre "Elle regarde passer les gens" publié chez Verticales en 2015, afin d'introduire un personnage dans notre chantier d'écriture.
Elle
embarque sur le ferry. Elle arrive à Londres. Elle y retrouve Vita.
Elles partent à Long Barn. Elles passent quelques jours ensemble.
Elles se promènent sur le bord de mer. Elles sont heureuses. Elle
tombe amoureuse. Elle veut plaire. Elle se rend chez une couturière.
Elle choisit de belles étoffes. Elle commande de nouvelles tenues.
Elle se coupe les cheveux. Elle se sent désirable. Elle
se sent libre. Elle rentre à Londres. Elle
cherche un emploi. Elle
rencontre Leonard. Elle
est enthousiasmée par son idée. Elle travaillera à la Hogarth
Press. Elle ne connait rien à l’édition. Elle apprendra. Elle
emménage au 52 Tavistock Square. Elle vit au premier étage. Elle a
aménagé un bureau. Elle s’est acheté une machine à écrire.Elle
poursuit l’écriture de son autobiographie. Elle y reçoit des
auteurs. Elle se détend dans la salle de billard. Elle fait quelques
pas dans le jardin de rocailles.
Elle publie ses premiers textes. Elle
est soutenue par Leonard....
La consigne d'écriture:
- parler d'un personnage à la manière de Chaton avec des phrases courtes commençant toutes par elle/il .
- ce personnage devant être mort et avoir vécu sur le territoire de la carte
- tenter ce couvrir toute sa vie
- relater des faits concrets
- relier à la grande Histoire
- ne pas être pressé d'arriver à la fin! Dans le livre de Chaton, il y a plus de trente pages consacrées à Virginia Woolf et cela ne raconte qu'une petite partie de sa vie...
- nommer les lieux traversés
- veiller au rythme
On peut entendre ici une lecture faite par l'auteur et une discussion enregistrée à la librairie Charybde où il parle de l'écriture de ce livre passionnant!
mercredi 10 janvier 2018
Pierres collectées /4
4/
Gestes de pierres /2:
Assise
sur la pierre de seuil, celle où
la croix gravée était retournée vers les tréfonds, celle
qui désormais contemple le bleu du ciel, assise
là , après
avoir ramassé à l’aide d’une petite pelle en plastique bleu la
terre du chemin et
l’avoir
versée dans un plat à deux anses,
je faisais osciller le récipient
en
mouvements horizontaux de balancements un peu vifs, je séparais les
gros grains des plus petits. Les
gros grains étaient rejetés plus loin d’un geste sec tandis que
les plus petits étaient conservés et rejoignaient ce que je
nommais le sable
doux.
Je n’avais jamais vu de plages, ne connaissais rien des longues
dunes du désert, mais
mes doigts recherchaient le toucher de ce front de sable, cette
sensation de temps saisi, ce quelque chose que l’on passera sa vie
à chercher sans jamais être sûr de l’avoir trouvé. Ecrivant
cela, près de soixante ans plus tard, l’idée se fait jour que
c’était
un geste d’ange, qui
vous monte du dedans
s’apprêtant
à ouvrir un univers que
vous ne soupçonnez pas.
Un
peu de vertige reste accroché à ce front de sable.
J’ai
trois flacons de sable. Je
sais leur origine large, le pays d’où ils sont issus. Le plus
ancien est coulé dans un pied de lampe ayant la forme d’une main
droite dont quatre doigts sont repliés côté face et l’index se
dresse à l’arrière pour soutenir l’idée d’un miroir.; il
mesure près de quarante cm et est surmonté d’un chapeau rouge
bordeaux en forme de trapèze. Sur ce qui représente un miroir, il y
eut longtemps la photo de mes grands parents paternels avec mon père
enfant. J’ai
toujours vu cette lampe sur le bureau de mon père. Au retour d’un
court séjour en Algérie et d’une échappée dans le Sahara
– il y a plus de quarante ans – je
lui ai donné le sable rapporté dans une bouteille d’eau , Saida
peut-être. Je me souviens des grains de sable coulant
avec précaution par le goulot de la lampe et s’insinuant dans les
doigts de la main puis emplissant la partie réservée au miroir. La
lampe est restée devant lui tant qu’il a pu contempler ce
silence
opaque emprisonné dans le verre.
J’ai repris cet héritage, j’ai changé le chapeau , ôté la
photo et
ne l’ai point remplacée.
Dans le miroir de verre transparent,
je ne vois que des
grains aux
tons de gris
non uniformes me
rappelant
un souvenir inoubliable
du
désert du
Sahara. La
lampe pèse de tous ces grains agglutinés entre les parois de verre,
de tous ces grains serrés à s’étouffer. Le dos de la main , en
légère torsion, laisse imaginer un sable plus doux, plus fin que
sur le côté face toujours en évidence sur le bureau, comme si le
regard à force de s’être posé toujours sur le même angle de
vue avait noirci certains grains… Je sais aussi au bas de la lampe
une trace plus sombre de moisissure dont je ne souhaite tirer aucune
analyse. Les deux autres flacons sont plus petits et le sable qui s’y
repose m’a été offert. L’un
vient du désert d’Aden, sur des dunes foulées par Rimbaud – là
l’imaginaire pédale
à grande vitesse - : il est beaucoup plus rouge ,
plus
concentré dans un petit flacon.
A sept ans, il
faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Le
dernier flacon contient un sable d’un
rouge sombre, avec de gros grains concentrés sur un côté; il est
originaire d’Australie , je
ne sais d’où avec exactitude mais
il me fait songer aux peintures des Arborigènes dessinant les
territoires
et
les hommes qui y vécurent en des géométries où l’esprit fait
corps avec sa terre. Mon ivresse se tient dans ses flacons de sable
issu de longues érosions et qui ne révèle rien d’autre que ce
que
j’’y
apporte.
Assise
sur la pierre de seuil, celle qui a protégé des corps inconnus dans
l’ancien cimetière du village, et qui désormais recueille les
eaux de pluie dans les creux gravés entre croix et roche, et
ne fixant
rien d’autre qu’un mur de pierres élevé face à moi, je
persistais à agiter ce petit plat avec l’arène granitique
récoltée à mes pieds, à trier le sable
doux de
celui plus grossier, à éroder un florilège de grains comme
aujourd’hui je m’astreins à le faire avec des escarbilles
de
mots.
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