Quelque chose parle
déjà, sur les chemins effleurés par la peau d’un doigt hésitant
sur la carte, un invisible rideau s’écarte et l’on pénètre
cette matière qui se transfigure en espace, on traverse ce
brouillard de papier et on entre dans un invisible où se réfugier
Quelque chose
infuse – entre terre et azur, arbres ou buissons, granit et lichens
, herbes folles et gousses de genêts qui éclatent – puis diffuse
une onde liquide qui s’écoule dans les intervalles d’un temps
suspendu et se dessine l’abri où se poser
Quelque chose
apaise la main qui caresse l’écorce en un geste rituel – qui
bénit qui – matière d’air , de bois, de crevasses, mousses et
cals , échange entre peaux étroites en doux pétales d’air
bleuté avec un avant et un après
Quelque chose du
souffle, d’un murmure de brise légère, d’un mascaret sans fin
se faufilant dans le feuillage puis s’éloignant, de langues d’air
agitant le tremble dans le jardin et qui sollicite toute l’attention
pour écouter ce balbutiement
Quelque chose dans
les noms ânonnés depuis l’enfance, simples viatiques ou grains de
chapelet serrés les uns contre les autres et suintant des lèvres,
eaux brunes d’une crue s’écoulant entre les arches de la vie,
évitant les barbelés
Quelque chose dans
ce silence des cimetières – et celui-ci tout particulièrement
qui n’est pas sur ma carte mais où ma carte m’a emportée –
avec ces centaines de croix dressées , où l’on cherche la tombe
numéro 552, et la toile dans la tête qui lâche un peu
Quelque chose
offert dans cette terre qu’on cueille – avalanche de visions ,
bassin se déchargeant de son trop-plein – pressée entre ses
doigts, les ongles qui retiennent et noircissent, cette parcelle
minuscule qui mérite la célébration de l’ instant
Quelque chose de la
louange entre le Sablat et le rocher de la Moutière, cette
cinquantaine de pas sur l’arène granitique et l’herbe de
l’accotement, le regard loin porté sur cet espace immobile où
terre & ciel davantage resserrés ne font qu’un
Quelque chose de
l’Eden dans cette toute petite berge au bord de l’Ance, presque
sous le pont aux deux arches , au sein d’un monde ancien et clos,
avec les coulées de l’eau , les silences des uns et les songes
des autres
Quelque chose se
cherche avec des mots du quotidien qui effleurent un paysage ,
filtrent la lumière de l’horizon chiffonné, cherchent encore
l’air bleuté comme le silence aime se laisser traverser par les
oiseaux
Quelque chose d’un
cloître quand le pas , plusieurs fois par jour, fait le tour de ce
jardin, longeant le mur de béton, puis les deux murs de pierre , les
trois surmontés de tuiles d’un brun rosé passé, et que les yeux
sont là et bien au-delà en un même regard
Quelque chose d’une
exigence intérieure qu’on ne peut qu’enlacer de tout son être,
faite des silences , ceux des ombres blanches, vastes et vides , où
la réalité de l’ être résonne d’harmoniques secrètes,
l’abandonnant à une ébriété sereine
Quelque chose de
l’apparition ou d’un magnétisme qui laisse soudain l’invisible
se dévoiler sous les yeux, s’apercevoir alors que fuir est
inutile et que là on peut se reconnaître, rejoindre celui que l’on
ne se savait plus être
Quelque chose d’un
autre réel, non celui que l’on nomme mélancolie ou vague à
l’âme, non, mais celui d’une haute solitude , si extrême , que
cela semble un appel irrépressible et que fixer ce rien ... est
respirer le ciel
Quelque chose se
cartographie dans cet autre réel, des détails sans importance,
quand la lumière fait gesticuler des apparitions et que de l’obscur
de la langue s’écrivent des mots frôlés d’éternité ,
dissolvant les idées qui oseraient s’emparer de nous
Quelque chose de
l’espace , un espace ouvert, ayant toujours à voir avec le
commencement, enveloppé d’ombre & de lumière, et la sensation
d’une page blanche où les pensées perdues se retrouvent
Quelque chose comme
le temps arrêté, lorsque le doigt appuie sur la touche pause, et
que en un éclairage d’eau-forte, comme par effraction,
s’entrevoit ce début d’un instant qui flotte et qui nous cherche
du regard
Quelque chose ayant
à voir avec l’étrange, lorsque, les yeux démesurés devant ce
qui fait face, ce lieu qui semble enveloppé d’une aube
originelle, on se sentirait possédé par une force nouvelle, et prêt
à cet appel de l’abandon