jeudi 10 février 2011

gare de l'est

J'étais arrivé dans le hall de la gare de l'est environ dix minutes avant l'heure du rendez-vous qu'elle m'avait fixé.Je m'étais assis sur un banc qui me permettait de la voir dès son apparition.Mais en fait,je me suis rendu compte assez rapidement qu'elle était déjà là,près du kiosque,debout feuilletant un magasine .Je ne la reconnus pas immédiatement car elle portait un long manteau rouge que je n'avais jamais vu .A cet instant,je pris conscience de la banalité de la situation j'allais la quitter ici dans cette gare au milieu de la foule et cette scène tant de fois vue dans les films allait se dérouler presque sans moi car je disparaissais derrière l'acteur anonyme qui allait jouer.Moi ce qui accrochait surtout mon regard, c'était le décor:la haute verrière blafarde,les panneaux d'affichage des trains et le va et vient des voyageurs.
Absorbée par sa lecture,elle ne s'était pas aperçue de ma présence et cela me laissait le temps de l'observer.Cette femme qui vivait à mes côtés depuis plus de dix ans semblait s'être dissoute dans une silhouette quelconque.Je n'arrivais plus à reconstituer les traits de son visage ;elle n'était que le reflet des femmes glacées des magasines qu'elle lisait.Elle ne m'évoquait plus rien,je cherchais en vain dans ma tête un souvenir de nous,le timbre d'une voix ou les traces d'un bonheur enfui.Plus encore, elle prenait peu à peu le visage de toutes les femmes qui se croisaient sous l'immense verrière .Cette histoire qui avait été la notre se mêlait à celles de milliers d'autres couples ,d'autres ruptures dans les gares semblables des villes d'Europe ou d'ailleurs,elle perdait sa singularité pour ne garder que la forme, cette sorte de loi du couple qui comme les êtres vivants nait vit et meurt.Figé dans une espèce de sérénité vaguement triste,déconnecté de toute souffrance,à des années lumière du désespoir,ce moment pouvait s'étirer à l'infni.Bien sûr ma décision était prise,cela n'avait pas été douloureux ,un vague désagrément comme la roulette du dentiste sous l'effet de l'anesthésie:ça pourrait faire mal mais on sent pas grand chose.
Oui j'allais partir mais allais-je lui dire quelquechose, expliquer, justifier .Les phrases préparées depuis des jours ,justes raisonnables,censées mettre un point final à notre relation ,je les murmurais pour moi même ,une sorte de test avant de les lui dire.Même chuchotées, elles sonnaient horriblement faux,comme des répliques mal jouées.Le temps s'écoulait ,le manteau rouge près du kiosque ne manifestait pas la moindre impatience.La foule devenait plus dense et quelquefois je ne voyais plus la silhouette de celle qui était encore ma femme.Comme l'heure du train approchait,je me décidai à aller vers elle,pour enfin lui dire ,après lui avoir demandé de ne pas me couper la parole,toutes les phrases froides , définitives et sans réponses attendues que je ciselais dans ma tête.Le mot qui convenait le plus à mon état d'esprit était «formalité» j'accomplissais une démarche où j'étais peu présent;je m'étais glissé dans la forme et j'avais évacué les sentiments.
J'avançai vers elle et lui posai doucement la main sur l'épaule.Elle se retourna
«Oh excusez moi dis-je j'avais cru que c'était......
Ce n'était pas elle ,devant mon air dépité ,elle me gratifia d'un large sourire.
Tout était à refaire une profonde lassitude m'envahit et ce fut pour moi la première vraie douleur.

2 commentaires:

béatrice a dit…

il me semble que le "ce n'était pas elle" est de trop, il redonde et enlève la force de la chute qui est vraiment bien.
je persiste à trouver que ton narrateur nous dit trop qu'il n'a pas d'émotion, il s'analyse, alors qu'on devrait le comprendre justement sans qu'il nous le dise, en tout cas la consigne c'était ça.
par exemple "je ne la reconnus pas...manteau rouge", ça c'est super: c'est le détail englobé dans situation qui nous indique d'elle même qu'il se trompe.
mais dans d'autres phrases ton narrateur explique tout , par exemple "ce qui accrochait mon regard c'était le décor": c'est pas lui qui doit nous le préciser, c'est plutot le choix de tes phrases qui doivent le montrer. autre exemple le mot "formalité" qui est essentiel, tu pourrais essayer de le placer sans lui faire analyser que c'est le mot qui convient le plus pour décrire son état d'esprit...

béatrice a dit…

je voudrais surtout pas que mon commentaire ci dessus soit interprété comme une qui veut faire sa prof. je sais pas vous mais moi le travail avec noelle ça me donne envie de vraiment bosser sur la matière.
je trouve qu'on pourrait davantage utiliser les commentaires pour se donner mutuellement des avis constructifs, même s'ils peuvent être comme les miens tout à fait discutables, mais discuter ça fait bosser. discuter ou suggérer c'est pas critiquer, c'est juste se pencher sur ce qu'écrivent les autres, ça fait réfléchir, avancer, un atelier c'est ça non?