vendredi 29 avril 2011

AUTRE JARDIN !

Le pissenlit rêveur
Les cistes récupérés dans la garrigue!



L'arbre de Judée dans son effervescence!






mardi 26 avril 2011

Souvenirs



Une pauvre ferme sur la commune de Pisieu dans les environs de Beaurepaire, un hectare, trois vaches dont on utilise le lait et qui servent aussi pour tracter la charrue à main. J'y passe toutes mes vacances dès ma naissance. On y vit en autarcie : un cochon, des volailles, les fromages-maison, deux jardins-potagers, ma grand-mère est nounou, nous sommes en permanence sept à huit enfants à dormir dans la grande chambre sur des paillasses bourrées de feuilles de maïs. Je n'y ai jamais vu que deux livres : LE catalogue et L'almanach. Je revois la table ovale de chêne, au bois rougi par le vin dont ma grand-mère le nettoyait, nous y faisons nos découpages les jours de pluie ou pendant les soirées d'hiver dans l'épais catalogue sépia. Nous devons toujours demander avant de détourer l'objet de notre convoitise « Et ça, Maman Cote, t'en as besoin ? ». Je me plonge inlassablement, bien avant de savoir lire, dans les premières pages du catalogue, surtout dans celles des dessins représentant les immenses ateliers, aux galeries sur plusieurs étages.
Saint-Etienne est alors dans mon esprit une ville mythique, aussi lointaine que Samarkand, Séville ou Babylone : la preuve, tous ces objets n'arrivent que par la poste, mystérieusement. J'ignore ce qu'est Manufrance, personne ne me l'a jamais expliqué.En sixième, Mr Pelcker, le professeur d'allemand en blouse grise, nous demande d'illustrer les mots appris dans la leçon, sur notre cahier. Der Stuhl, die Tafel, der Bleistift … tout cela se trouve dans le catalogue et je colle toutes les images avec la petite spatule du pot de colle blanche. Peu à peu, d'autres catalogues remplacent chez les parents celui de Manufrance, plus modernes ceux de la Redoute, des 3 Suisses et lorsque je retourne en vacances à la ferme celui de la Manu me semble dérisoire.
D'aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, mon père est abonné au Chasseur Français. En fin d'année, il attache ensemble les douze numéros avec une ficelle ; le gros paquet ficelé rejoint ceux des années précédentes dans un vilain placard percé dans le mur du long couloir sombre déservant les chambres. J'avais horreur de cette revue, parce que nous n'avions pas le droit d'y toucher, elle était sa chasse gardée et a représenté pendant mon enfance, l'exemple-type de revue pour homme à l'égal de « Play-boy » ou « Lui ». Pourquoi était-il abonné ? Il n'était ni pêcheur, ni chasseur, ni jardinier. Qu'allait-il y chercher ? Cette revue demeurait pour moi une énigme, lu par un dissimulateur. Des années plus tard, je supputais qu'il y consultait les « petites annonces » pour y recruter ses maîtresses.


vendredi 22 avril 2011

Moisson de bleus et de mauves dans le jardin de A et de JF




 

MON MANUFRANCE

Penché sur son établi, Manu écoutait la voix qui nasillait sur son VERAPHONE: "C'est moi qu'on appelle la vipère du trottoir!" et il riait en haussant les épaules et les QUEUES DE COCHON, les petites vis à la tête en tire-bouchon tressautaient dans sa main. Il n'essayait même plus de les compter tant il s'amusait en pensant à sa belle-mère qu'il voyait se dresser devant lui à chaque couplet dans sa jupe en POPELINE bleu-marine .
"Elle a sûrement une combinaison en FINETTE, gloussa-t-il."
Manu, c'était un bricoleur, et pas seulement du dimanche. Son atelier tenait de la caverne d'Ali-Baba à laquelle s'ajoutait la touche du fin collectionneur qu'il était.
A la gauche de son établi, l'attendaient un TIERS-POINTS et plusieurs BOCFILS pour chantourner le bois alors qu'une ESTRAPADE et quelques BRUCELLES dénotaient de son goût pour l'horlogerie. Mais Manu ne s'en tenait pas là, il aimait travailler le fer, la pierre, le ciment et deux ou trois outils de plâtrier, des RIFLARDS avoisinaient avec des ALESOIRS, des MANDRINS, des HAPPES et un INCLINOMETRE tandis que deux COULISSEAUX étreignaient le bois de son établi, prêts à l'emploi.
"Le lendemain, elle était souriante
A sa terrasse fleurie chaque soir
Elle arrosait ses petites fleurs grimpantes
Avec de l'eau de son arrosesoir..."
"Ah! ça! c'est plus de la belle-mère qu'on parle..."maisle gramophone continua.
Les murs étaient cachés par des étagères qui dégorgeaient.
Derrière lui, deux GAULETTES et un BOUTEROLLE pour aller à la pêche les dimanches de printemps étaient appuyés contre le mur alors que les DEGORGEOIRS et les NOQUETTES étaient couchés bien sagement dans leurs boîtes avant de ferrer les carpes, puis de retirer les hameçons.
Manu se retourna bruquement et sa TROUSSE A CHAPONNER qu'il avait posée un peu n'importe où après Noël tomba sur le sol et les pinces s'éparpillèrent. Quand il se releva, ce furent les TRIBOULETS qui tombèrent. Il jura intérieurement et les jeta au fond d'un tiroir, il n'avait pas de bague à agrandir pour le moment.
"Il va falloir que je fasse du ménage par le vide, soupira-t-il, ça attendra bien un peu!"
Sa main caressa le toit du DADANT en bois qu'il allait bientôt ressortir dans le pré fin prêt pour accueillir un essaim d'abeilles.
Puis ses yeux se posèrent sur les vieux jouets qu'il avait chinés lors du dernier Mardi-gras: un jeu de JONCHETS en ivoire et un jeu d'HALMA en bois, tous les deux piquetés, rognés, aux couleurs pâlottes mais combien de gamins avaient essayé de retirer les petits bâtons sans faire bouger les autres et poussé les pions le plus loin possible sur le damier pour faire reculer l'adversaire. Du coup, il regarda à peine le SPIROBOLE, balle et piquets flambant neuf encore dans le carton d'emballage.
"Connaissez-vous Marguerite
Une femm' ni grande, ni p'tite
Qu'a des yeux troublants"...toussotait le VERAPHONE.
"Ma Marguerite à moi!... et il joignit ses deux mains sur sa poitrine qu'il avait velue, je lui offrirai des dessous en NANSOUK, je la ferai asseoir sur des fauteuils recouverts d'IMBERLINE, elle sera toute en soie... enfin presque!..."
Et il se déplaça pour mettre à l'abri son matériel de JASPAGE et son CORINDON tous les deux abrasifs dont il ne se servirait pas avant longtemps mais il laissa en évidence la ZEOLITHE, les petites pierres que sa femme ajustait dans l'aquarium pour purifier l'eau. Il trouvait ça joli "la ZEOLITHE" et il entonna son chef-d'oeuvre:
"Si tu veux faire mon bonheur
Zeolithe, donne-moi ton coeur!!!"
Il prit le vieux USE-BOUT DE CRAYON, qu'il préférait appeler son rallonge-crayon pour noter combien d'YEUX ARTIFICIELS POUR LA NATURALISATION il lui restait. Il compta, recompta, il ne trouva pas le même nombre. Sa main gauche jouait avec le FOLIOTEUR dont il s'était quelques fois servi pour estampiller les commandes.
Il faut dire qu'il avait travaillé pour Manufrance, Manu; on ne le disait pas encore commercial mais représentant, d'ailleurs, il préférait; c'était un peu comme si on lui avait fait représenter le carroussel qu'il avait sous les yeux, le grand manège de toute sa vie.
Les MORDACHES pendaient à un clou, il les reporterait dans la cheminée, les pinces pouvaient encore servir pour une petite flambée; les soirées étaient fraîches bien qu'il fît chaud pendant la journée . Il remarqua alors que le verre de son PAGOSCOPE, son thermomètre à prédire le gel était fendu, c'était sans doute pour ça qu'il ne prédisait plus rien. Il devint tout triste, c'était son grand-père qui le lui avait offert. Alors, il se vengea sur le DECRASSOIR, le peigne à poux qui avait encore toutes ses dents. Il le prit par le manche et s'en servit pour faire tomber la poussière de ses HOUSEAUX et de son WINDJACK qu'il ne reprendrait qu'à l'automne quand il arpenterait les chemins boueux de sa campagne forézienne.
"Je me souviens d'un coin de rue
Aujourd'hui disparu
Mon enfance jouait par là..."
" Ah! Non! Pas celle-là! je vais encore chialer..."
Et il bouscula un gros sac en LONGOTTE rempli de KAPOK.
"M..., il faut vraiment que je fasse du rangement!" Le VERAPHONE vacilla sur l'étagère en OKOUME mais il tint bon; ce ne fut pas le cas du MACHINOIR en corne qui chut sur l'établi. Il en avait oublié l'existence, il le prit machinalement. Depuis combien de temps il n'avait pas lissé les coutures d'une paire de souliers!
C'était comme les ETRIVIERES et les RENETTES. Sa fille était partie et avec elle son cheval mais elle avait laissé les pièces de cuir et les lames pour soigner les sabots du vieux Kopeck; et si elle l'avait fait exprès?
Il s'assit et s'appuya sur un VIROLET POUR CORDEAUX, les cordages étaient tout emmêlés, il allait devoir enrouler ça correctement.
Lui qui était rentré dans son atelier par hasard, il se dit qu'il avait de quoi faire. Il sourit en regardant la pile de catalogues Manufrance qui dormait en face de lui. En cherchant bien, il y trouverait peut-être le VISTEMBOIR d'Alphonse Allais!
"Frou-frou, frou-frou... ah, non!", il entendit juste la fin,
"Son frou-frou
C'est comme un bruit d'aile
Qui passe et vient vous caresser!"
Il se releva d'un bond, enjamba l'ASOMMOIR qui lui servait encore à occir ses lapins et il courut rejoindre Marguerite.

jeudi 21 avril 2011

Abécédaire Manufrance

Germaine ce n'est pas la peine que tu fermes avec un couliseau ta popeline, tu as bien du la soulever quelquefois ta chemise en finette ?
Cette bosse que tu as sur le ventre ce n'est pas un corindon, ni une bouterolle.
Tu n'avais peut-être pas ta trousse à chaponner mais le résultat est là et ce n'est pas avec un décrassoir que tu vas faire disparaitre cette enflure.
Non d'un chien avoue-le c'est cet houseaux qui t'a fait cela  ?
Il ne pouvait pas allait s'occuper de ses virolets pour cordeaux ce mandrin et nettoyer ces dadans ?
Te voilà propre pauvre rénette aux cheveux queues de cochons.
Spirobole bien et fais un triboulet de winjack peut-être que demain tu auras des zéollites nouveaux.

lundi 18 avril 2011

Première rencontre

J'étais sur mon banc et j'attendais que l'amour vienne

Etes-vous un chasseur français demanda-t-elle ?
Oui, en vérité je le suis, répondit-il
Je vous ai reconnu tout de suite, dit-elle, vous avanciez vers moi comme vers une biche, à pas de loup
En effet répondit-il, et puis nous avons la même casquette.
(à suivre)

dimanche 17 avril 2011

à la recherche des mot inconnus




Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma brucelle éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : «je m’endors». Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le spinners à hélice m’éveillait ; je voulais poser le véraphone que je croyais avoir dans les machinoirs et souffler ma lombarde ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des rénettes sur ce que je venais de lire, mais ces rénettes avaient pris un tiers-point un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi même ce dont parlait l’ouvrage : une estrapade, une queue de cochon, le riflard de François 1er et de Charles-Quint. Cette croyance survivait pendant quelques spiroboles à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison mais pesait comme des étrivières sur mes yeux artificiels et les empêchait de se rendre compte que le bocfils n’était plus allumé. Puis elle commençait à me devenir inintelligible, comme après le mandrin les pagoscopes d’une existence antérieure ; le sujet du longotte se détachait de moi, j’étais libre de m’y appliquer ou non ; aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une okoumé, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon embase à qui elle apparaissait comme une chose sans coulisseau, incompréhensible, comme une chose vraiment obscure. Je me demandais quelle halma il pouvait être ; j’entendais le sifflement des triboulets qui, plus ou moins éloigné, comme le corindon d’un oiseau dans une finette, relevant les dadants, me décrivait l’étendue de la campagne déserte où le virolet pour cordeaux se hâte vers la station prochaine ; et le petit chemin qu’il suit va être gravé dans son souvenir par l’excitation qu’il doit à des lieux nouveaux, à des alésoirs inaccoutumés, à la causerie récente et aux assommoirs sous la lampe étrangère qui le suivent encore dans le silence de la noquette, à la douceur prochaine du retour.

J’appuyais tendrement mes jonchets contre les belles joues de l’oreiller qui, pleines et fraiches, sont comme les joues de notre enfance. Je frottais une allumette pour regarder ma mordache. Bientôt minuit.




les gros mots sont extraits de la "table générale des matières" du catalogue manufrance ; cette table générale des matières est faite comme un dictionnaire ; tous les objets y sont classés par ordre alphabétique ; il est donc on ne peu plus facile d'y trouver rapidement tout ce que l'on désire ; des mots de cette table générale des matières ont désiré se glisser dans un texte de Marcel Proust, pour remplacer d'autres mots, ceux qui commençaient par le même lettre qu'eux.



mardi 12 avril 2011

Textiles

Bien avant les kleenex et les couettes Ikéa, il y avait les mouchoirs, les plumes de poulet, les touffes de mouflon et déjà le poil de lapin européen

Catalogue Manufrance 1978

Textiles :

Le coin du mouchoir :

Pour lui : *En pur coton Jumel, fond pastel quadrillé tons forts, vignette satin bicolore
*Grands mouchoirs de travail de Cholet, en toile métis coton et lin, fond blanc, carreaux bleus, ourlet piqué


Pour elle : *Petits mouchoirs au coin brodé du nom des jours de la semaine et d'un animal cocasse


Fournitures de literie :

*Plumes de poulet lavées et stérilisées
*Drap longotte, toile lourde, finition ourlet piqué

La qualité de vos rêves est signée « Cotonflor » :
*L'imprimé grandes fleurs cernées au trait dans les tons saumon, ocre, mousse, prune, qualité pur coton, label « Cotonflor »

Une merveilleuse décoration pour votre chambre :
*Imitation de pelage de mouflon aux longues mèches touffues bien serrées

Noblesse et prestige du pelage véritable :
Pour vous qui aimez le contact caressant de la fourrure naturelle, son poil souple et sa douceur incomparable, voici de la véritable peau de lapin d'origine européenne. Confection soignée, chaque couverture est ouatinée et doublée d'un jersey antiglissant pour conjuguer chaleur et confort

Tout de suite après les pilules orientales

J. de D. en chanteuse lyrique - Archives Départementales Lyon

costumes pour dames







costume estival

pour dames et jeunes filles

en toile khaki

en coutil satin blanc

(lavable indéchirable et inusable)

en coutil fantaisie

en flanelle tennis

(laine mohair infroissable et lavable)

costume «élégant»

en serge laine

en cheviotte forte

(de bonne qualité très résistante)

en drap anglais nouveauté tout laine

(souple chaud dispositions variées fond verdâtre)

en drap tyrolien

(feuille morte imperméable à l’eau perméable à l’air inchiffonnable)

costume «diane»

en serge laine

en cheviotte forte

(de bonne qualité)

en drap anglais nouveauté tout laine

(souple chaud dispositions variées fond verdâtre gris beige ou gris foncé)

en drap sergé fin tout laine

costume «touriste»

en drap léger fantaisie

en drap anglais nouveauté tout laine

(souple chaud dispositions variées fond verdâtre gris beige ou gris foncé

au choix très élégant)

en drap amazone pur laine

(noir décati qualité extra)

en drap sergé fin tout laine

(infroissable résistant gris clair gris foncé

au choix recommandé)



extrait du catalogue manufrance 1910 /p.616

lundi 11 avril 2011

Même Rimbaud !

Quel monde merveilleux que celui dans lequel nous vivons ! On nous apporte sur un plateau les réponses aux questions que l’on ne s’était jamais posées. Il suffit de tourner le bouton de la radio, de tourner les pages d'un magazine dans la salle d'attente du dentiste et hop, on ressort truffé de savoir inattendu.
Ainsi, on a retrouvé la photo d’Henri IV, enfin, sa tête plutôt, alors qu’on ne savait pas qu’elle avait été perdue. J’étais peut-être la seule  à l'ignorer, mais franchement, si quelque chose m’empêchait de dormir, ce n’était pas ça.
Un type la tenait serrée dans son armoire depuis quelques années, dont il avait du reste perdu la clé, et seule sa femme était dans la confidence. Il a fallut forcer la porte, mais tout est bien qui finit bien, les grains de beauté correspondent, le trou pour la boucle d’oreille aussi. Youpi la tête d'Henri IV, je ne me souviens plus si le corps était disponible ailleurs, mais le corps c'est toujours moins ragoûtant.
Et tout à coup c’est l’angoisse, si ça se trouve des tas d’autres têtes manquent à l’appel et on ne s’en est jamais soucié.
Celle d’Henri 4 était bien conservée car il avait été embaumé par des Italiens, passés maîtres en la matière comme en bien d’autres. On a fait appel à des nez pour lui renifler l’haleine, ils ont identifié des odeurs d’herbes et de vieux papier ; je me dis ça c’est tout moi, et je ne suis même pas reine mais voilà ce que l’on sentirait de moi si l’on retrouvait ma tête : les herbes et le vieux papier. Parfois aussi je me demande si je ne pourrais pas me faire embaumer de mon vivant, pour les jours de plus en plus fréquents ou je la perds pour de bon, si embourbée et bourrée des boucles de pensées sèches, de vieux papiers et d'herbes folles. Si quelqu'un de compétent lit cette annonce, qu'il me contente sans coup férir. Oh oui, embaumez-moi !

Puis on vous explique qu’il est difficile de trouver des fossiles de poux. Cette fois encore, vous êtes pris en défaut, vous n’aviez jamais jaugé  la difficulté de la chose : comment ne pas confondre un fossile de poux avec un grain de sable ? Et d'ailleurs les poux vivaient-ils au bord de la mer ? Ou avec un caillou ? Et les cailloux ? Ne sont-ils pas eux-mêmes des fossiles de pierres ? Ou des fossiles d’autre chose, détaché du tout ? Comment savoir ?

Chaque porte ouverte débouche sur une multitude d’autres. Faisons comme pour la porte des cabinets, laissons-la fermée et par la même occasion, laissons dormir les réponses, qui ne sont au final que des pierres sous lesquelles dorment cent mille autres questions.

Et pour finir, mais je crains bien que non, on vous explique que Rimbaud, une fois débarrassé des affaires poétiques, avait des lectures navrantes, telle que celle du catalogue Manufrance.
Comme cette clé de l’énigme non posée s’est retrouvée dans une liste hagiographique dudit catalogue, expliquant que tel bambin avait appris à lire avec, dans et grâce au catalogue Manufrance, (hier encore ce cousin par alliance ou tout comme) au regard si liquide, qui s’était usé le peu qu’il avait d’yeux sur les vignettes de l’objet de l’art, dès l'âge de 5 ans, que tel autre s’enfermait les jours de pluie dans la cabane au fond du jardin, la culotte aux chevilles et le monument sur les cuisses, bref, que le catalogue Manufrance avait sauvé le monde en le faisant rêver, voilà qu'on tombe de haut, lorsque tout à trac, alors que l’on est bercé de cette douce unanimité, on apprend qu’Arthur, notre saint, notre cher et moribond Jean Arthur Nicolas, « avait des lectures navrantes »*, qui lui donnaient de mauvaises idées, comme celle de devenir marchand de canons. Je ne vous dis pas merci, monsieur de Manufrance. Oh non ! En deux lignes, 2 mythes se sont écroulés, j'étais à l’abri dans les cabinets, tout à mes affaires, relâchée, « sans peur du lendemain, ain ain », et j'apprends que Rimbaud avait des lectures navrantes. je reste sans voix.
* cité par Gérard Orthlieb in Rimbaud, L'éternel retour (heureusement indisponible)

dimanche 10 avril 2011

Souvenirs, Manufrance

Souvenirs d’enfance à Manufrance
Corinne.


Moi j’ai toujours vécu avec le catalogue. Quand il y avait le magasin en face des ateliers, on ne commandait pas, on allait au magasin, on commandait au magasin. Mais on choisissait sur le catalogue. On avait des bons pour Noël. Les enfants des salariés avaient leurs bons. Mes parents se sont acheté leur première télévision avec les bons de Noël. Je devais avoir 9 ans. Sinon on prenait tout à Manufrance. Les affaires de camping, etc. Il y avait Mf partout sur nos affaires. Mon vélo c’était une Hirondelle ; les vélos ça m’a marquée oui. J’en ai eu deux, un petit et puis un grand.

On attendait chaque année le catalogue. Il y avait les nouveautés.

Et le magasin c’était la promenade du samedi, chaque samedi on allait à Manufrance. C’était mieux que la Redoute quoi ! C’est Mimard qui a inventé le catalogue et la vente par correspondance. Un visionnaire. Mais ses successeurs n’ont pas anticipé qu’il fallait produire autre chose. Ils auraient pu continuer mais il fallait qu’ils diversifient. Ils ne l’ont pas fait. Tu imagines, ma mère a encore sa machine à coudre Manufrance, elle a cherché sa facture l’autre jour pour changer une pièce, elle l’a retrouvée, elle l’avait achetée en 1969 et elle marche !

Mais le premier vrai souvenir que j’aie de Manufrance c’est 1968. Mon père, mon oncle, mon grand-père étaient syndicalistes. En mai 68, ils ont dû occuper un à deux mois. Je m’en rappelle parce qu’on leur apportait à manger, ils avaient fait des barricades. Et on y allait en famille. Et mon tout premier souvenir c’est quand ma mère avait fait des cannellonis et on mangeait avec eux, c’est marrant, j’avais même pas 6ans, c’est gravé parce qu’il les avait faits réchauffer au chalumeau les cannellonis.

Manufrance ça voulait dire occupation d’usine. Ca voulait dire aussi sport, vacances avec le centre de sport et de loisirs de l’entreprise. Toute la famille faisait du foot, moi je faisais du ski l’hiver, et l’été de la voile. A la Jasserie, il n’y avait pas d’eau, pas d’électricité, pas de WC, pas de chauffage. C’était Génial !

Manufrance occupée. Ca a commencé à aller très mal l’été 1977. Je me repère parce qu’on était en Bretagne en vacances, on était parti cinq semaines. Vu le syndicalisme, les salariés ont eu cinq semaines de congés bien avant tout le monde. On a reçu un télégramme d’un collègue, au camping : il y avait un grave conflit. On est rentré au bout de trois semaines. Manufrance allait se vendre. Le premier intéressé était un type qui dépendait d’un groupe américain. Il cherchait tout le temps à voir mon père pour essayer de se mettre les syndicats dans la poche, je pense. Mon père ne voulait absolument pas le voir. Il a été secrétaire général de la CGT à partir de 1970 jusqu’aux grandes grèves, jusqu’en 1980. C’est de famille : mon grand-père a été déporté politique en Allemagne pendant cinq ans, de 1940 à 45. Mon oncle lui était à la FSGT, il militait beaucoup.

Il y a eu toute la période Tapie qui a eu les murs pour un franc symbolique. Il n’a pas revendu à la mairie tout de suite parce qu’il y a eu un procès, ils sont passés au tribunal, ça a pris du temps. Puis il a vendu et nous, on s’est fait bouffer.

De 1978 à 1981 je n’ai jamais vu mon père à la maison et je ne l’ai pratiquement jamais vu en fait, parce qu’il avait l’occupation des locaux. Ou il était à Paris, ou en train de manifester. Il y avait énormément de manifs. On faisait beaucoup de convois Saint-Etienne/Paris. On partait tous, les employés avec les familles, les enfants. C’était des syndicalistes purs et durs. Mobilisés, solidaires, parce que comme pendant deux ans ils ont occupé la boîte, ils n’avaient pas de salaire mais ils n’ont jamais vraiment manqué de rien, enfin... les gars des autres boîtes faisaient tout le temps des caisses et il avait la solidarité entre entreprises, de Saint-Etienne et de partout en France.

Je me souviens des fêtes. Je me souviens des moments durs aussi. Mais de grandes fêtes se faisaient dans Manufrance durant son occupation. Un endroit très sympathique était le grand hall vers l’administration : là on mangeait. Il y avait de grandes tables pour environ deux cent personnes. On faisait à manger, puis la plonge, et après on dansait ! Les gens étaient rigolos. Surtout ils y croyaient, pour eux ça faisait partie de Saint-Etienne, ça ne pouvait pas partir. Ils étaient persuadés que le maire (communiste) allait sauver l’entreprise. Et rapidement mon père s’est aperçu que ça n’allait pas marcher, que c’était foutu. Il voyait de plus en plus de boîtes qui fermaient ailleurs dans des villes communistes ou socialistes et pas uniquement de droite, et que cela finalement arrangeait Mitterrand, pour pouvoir passer aux élections en accusant la droite d’avoir démoli les entreprises. Et ça, ça a été très dur : la fermeture de Manufrance a été voulue par la gauche de l’époque. C’est ce qu’il a pensé. Tu te rends compte le nombre de gens que ça touchait ? Il n’y avait pas que Manufrance à l’époque. Manufrance faisait vivre beaucoup de petites entreprises.

A partir de ce moment, mon père a hésité. Comme tout le monde, il avait une prime de licenciement, il a pris la sienne et est parti. Ils ont été 180 ouvriers à ne pas prendre leur prime de licenciement pour ouvrir la coopérative, dont mon oncle. La coop. Deux ans elle a duré. A peine. Ils sont allés au Marais car Tapie avait revendu les locaux. Ils n’avaient pas le droite d’utiliser la marque qui avait aussi été vendue.

Manufrance a coulé en raison d’une gestion déplorable. Après Mimard, patron paternaliste qui n’avait pas d’héritier, la famille a continué l’entreprise sans savoir gérer. Je me rappelle les derniers vivaient royalement sur le dos de la boîte, des semis entiers sortaient pour aller dans leurs villas, celles d’amis ! Il y avait une mauvaise gestion aussi parce que les syndicats étant très forts, ils obtenaient beaucoup, et c’est arrivé au point de non retour. La vente par correspondance a commencé à moins marcher, il y avait la concurrence qui imitait le catalogue. Ils ne se sont pas assez renouvelés. Il faut savoir que Manufrance c’était aussi le Chasseur Français. Ils n’ont pas vu le tournant dans les années 1970. Oh il y avait beaucoup de choses sur le catalogue mais ce n’est pas eux qui fabriquaient, ils ne le produisaient pas. Eux ce qu’ils produisaient c’était les machines à coudre, c’était les armes, les cycles, c’est tout. Et comme c’était du très bon matériel et bien les clients ne rachetaient pas.

Les salariés ne volaient pas, ou très peu, les syndicats surveillaient, mais il y en avait toujours évidemment qui en profitaient, c’était de petites quantités. Ce bruit qui courrait selon laquelle Manufrance a coulé à cause du vol des salariés a largement rendu service aux gestionnaires, ça les arrangeait bien. Pendant ce temps, personne ne pensait à l’argent gaspillé, aux erreurs de gestion, au manque de perspective. Par exemple, pendant que les comptes périclitaient, que ça allait de plus en plus mal, ils ont fait construire les bâtiments de Molina, la construction a duré huit ans, l’endroit a fonctionné pendant deux ans, puis a fermé. A Molina, je me souviens, là c’était devenu n’importe quoi, c’est vrai, des salariés sortaient, durant les pauses, des cartons, les mettaient dans leurs voitures. C’était la fin. Tout le monde le savait au fond.

Moi j’ai toujours vécu avec le catalogue. Quand il y avait le magasin en face des ateliers, on ne commandait pas, on allait au magasin, on commandait au magasin. Moi je ne garde que les bons moments, parce que j’étais gamine. C’était les fêtes. C’était une bonne époque.

vendredi 8 avril 2011

Un article magnifique de Jacques Jouet à lire dans son intégralité dans Bulletin des Bibliothèques de France : cliquer sur le titre du message

[...]
Un livre est imprimé en plusieurs exemplaires. Parmi d’autres signes, celui-ci veut dire qu’on n’est pas seul au monde. Qui a lu tous les livres n’a pas lu tous les exemplaires de tous les livres. Personne ne le lui demande. Il ne se le demande pas lui-même. Lire tous les exemplaires d’un livre unique à fort tirage, ce pourrait être une belle monomanie. Il est unanimement reçu que, dans la très grande majorité des cas, tous les exemplaires d’une même édition sont identiques. On en est tellement sûr que personne n’est payé pour le vérifier systématiquement. On se contente de ponctions. Il y a parfois des accidents : un cahier manque, ou se redouble ; un coin de page est replié. Dans une bibliothèque, il n’y a pas habituellement plusieurs exemplaires d’un même ouvrage, sauf si la bibliothèque prête au grand public et que ce titre est très demandé. Parfois, dans les usuels, on trouve deux exemplaires du même. On peut espérer, un quart de seconde, que c’est un livre en deux volumes, qui n’en serait que plus complet.
[...]
Un jour, j’étais enfant, sur la route nationale 7, un poids lourd versa, et déversa sur le macadam une cargaison de catalogues Manufrance. J’en récupérai un stock. Il y en avait tant, que j’eus bientôt toute licence de ne pas les respecter : coloriages, découpages, écritures empruntées, dont je remplis une valise, pas même gêné par le problème du recto verso, qui oblige habituellement à choisir entre deux images. Bientôt, les exemplaires dépiautés n’étaient plus identiques
 [...]
Un jour, ma femme était en voyage loin, et avant de partir elle m’avait promis que, de ce loin, elle m’enverrait un baiser. On sonna à ma porte, et c’était une messagère de sa part, qui m’embrassa généreusement à pleine bouche, en me précisant que, oui, ce baiser, c’était de la part de ma femme. Je proteste : « Mais qu’est-ce qui me le prouve ? Vous n’avez pas… je ne sais pas, une bague à elle, un signe indiscutable pour l’attester ? » Elle enleva sa robe en disant : « Est-ce que ces sous-vêtements ne sont pas à elle ? Est-ce qu’elle ne me les a pas confiés en prévision de vos doutes ? Elle m’avait assuré que vous les reconnaîtriez les yeux fermés, rien qu’au toucher. »

le début et la suite en cliquant sur le titre du message

et Jacques Jouet est membre de l'OULIPO

ATELIER MANUFRANCE pour présentation du 16 juin, 18h30 Médiathèque de Tarentaize

Notre atelier se lance pour ce trimestre ensoleillé et sismique dans l'année Manufrance à Saint-Etienne
Tous azimuts les lieux cultes et culturels !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! stéphanois sont en effervescence, le programme ici même dans quelques temps. 

******En ce qui concerne "à la brise" nous nous sommes invités au vernissage de l'exposition fabriquée par Geneviève Saby, qui aura lieu à la Médiathèque de Tarentaize du 17 mai au 29 octobre 2011 intitulée : "Tarif Album - Chasseur Français : l'empreinte Manufrance"  
Le vernissage aura lieu le jeudi 16 juin 2011 à 18h30

notre prestation s'intitule Catalogue de Catalogues
Nous voici donc à empiler les tarifs album, les catalogues, à éplucher avec notre tourniquette à faire la moulinette, les petites annonces du Chasseur français le bien nommé, à traquer le mot Manufrance dans la littérature, à visionner d'un oeil averti les milliards d'images et de sons qu'ont inspirés les merveilleux objets vendus en leur temps dans le fameux Manuf', à moissonner les souvenirs de ceux qui y travaillaient ou bien y consommaient. Ou pas.
Une fois le matériau engrangé, nous rebricolons tout ça à notre façon, lors de nos ateliers mercuriaux.
Voilà pourquoi on peut lire ici même quelques réponses à des annonces matrimoniales, quelques rétrospections d'utilisation de pilules magiques, quelques listes, forcément poétiques et quelques faux ou vrais témoignages de ceux qui en étaient.


jeudi 7 avril 2011

annonce chasseur français (Publié par Jeannine de Dallas)

  1. Cher Monsieur Ratus,
Je ne suis moi aussi pas orientale,
Mais voyez  vous plus tôt cathédrale,
Car aucune chapelle ne m'est étrangère,
Et pourtant je vous le dis sans bévue,
Ma poitrine raffermit par vos pilules,
Et pour moi, deux péninsules ibériques,
Si madame Michu n'a pas su doser,
Tant pis pour elle, elle a du se mélanger
Les pinceaux ou  plus tôt les tétons.
Mas qu'est ce que c'est que ces jérémiades
Leurs maris me regardent disent - elles ?
Moi je n'aime que mon Florentin
Ma religion m'interdit tout débordement.
Mon seul péché :
Dégrafer quelquefois un peu plus mon chemisier
Pour voir si mes attributs font de l'effet
Après à confesse je vais
Le curé me donne toujours :
3 paters et 2 Avé
Alors cher Monsieur Ratier,
Laissez moi vous plaquer un gros baiser et vous remercier

demande de flacon avec notice pour obtenir une belle poitrine et dommages collatéraux

Saint Héand le 31 mars 1920

Cher Monsieur Ratier,
Je suis très intéressée par votre annonce commerciale publiée dans le Chasseur Français. Je compte beaucoup sur votre produit car n'étant pas du tout orientale, mon mari ne me regarde plus et je vois bien par contre qu'il n'a d'yeux que pour ma copine Jeannnnine qui en a des gros.
Je vous envoie un mandat de 16F80 pour 2 flacons et je compte sur votre envoi discrétionnaire comme vous avez dit, je voudrais faire la surprise à mon mari.
Merci d'avance

Madame Michu


Saint Héand le 18 septembre 1920
Monsieur le pharmacien,
Je ne suis pas mais alors pas du tout contente et même furieuse. Vos Pilules Orientales ont produit sur moi des effets désastreux. Au début tout allait bien mon mari était assidu. Mais après, non seulement ma poitrine a quintuplé de volume mais à partir du deuxième flacon d'autres protubérances me sont poussées et j'ai l'air à présent d'une truie. J'espère qu'avec l'arrêt du traitement, les seins surnuméraires vont disparaître mais qu'en sera-t-il du volume des autres ? 

Salutations désespérées

Madame Michu


mardi 5 avril 2011

Réclames Chasseur Français 1933



Pour préparer mercredi, certain(e)s peuvent écrire une lettre pour commander un de ces produits magiques.

Qui pourrait prétendre ne pas en avoir besoin ?
Plus de seins qui tombent, des rides envolées, un regard qui fascine même les plus récalcitrants ...

dimanche 3 avril 2011

Lentilles

J'ai vu ce canal relire son passé
et
bercer une péniche
comme on console un reflet

Jean-Claude Dubois " Le canal"

vendredi 1 avril 2011

Poisson d'or et oeufs de merlette


Nid de merles dans la haie du jardin




Poisson porte-bonheur (réalisé par mes petites mains avec les emballages de chocolats de Noël récupérés)