Seule.
Seule dans la salle
d'embarquement de l'aéroport de Cotonou en attente du vol AT551 de
Royal Air Maroc pour Lyon via Casablanca.
Seule pour la première
fois après trente jours pleins comme un oeuf, entourée de vos
présences du réveil au coucher, bercée de vos paroles, l'âme
comblée de vos rires, de vos chants, nourrie de vos forces de vie
jaillissante.
Deux heures vides devant
moi.
Pour
quel retour ? Mouvement
en arrière comme l'écrit le dictionnaire ou revirement, changement
brusque et total venant se heurter à la répétition, la reprise ?
Retourner,
mettre la face intérieure à l'extérieur, mettre sens
dessus-dessous, bouleverser, la chair sensible, fragile, à vif,
soudainement exposée.
Le
billet aller-retour ne tient pas sa promesse. Je ne reviens pas.
A
peine a t-on appelé les passagers du vol AT551 qu'une voix crie mon
nom : « Mme X est demandée de toute urgence pour une
vérification de ses bagages de soute »
Décidément,
on veut me retenir. Quelque chose dit que je ne vais pas partir.
Je
pars néanmoins. Je me gèle dans cet avion. La clim réveille mes
douleurs au bras, à l'épaule, douleurs qui s'étaient tues dans la
douce chaleur subéquatoriale de la saison des pluies.
Descente
sur Casa. Interminable attente dans cet immense aéroport … yeux
fatigués … nausée à la vue de tous ces blancs.
Les
gens sont laids ; les blancs sont moches, prétentieux, couverts de
bijoux, de bébelles, tristes, moues de dédain de maîtres du monde.
Je
voudrais prendre dans ma main une de ces peaux noires, sèche, lisse,
douce, ferme, inimitable. J'en sens la texture sous la pulpe de mes
doigts, sablée, de cuir fin.
Ces
peaux-là, devant moi, sont molles, moites, mollusques morts.
La
nostalgie me saisit et je vous entends chanter
« Yovo
bonjour, bonne arrivée, bienvenue. Comment ça va avec la santé, et
la famille ? Yovo, Yovo, bonjour ! Comment ça va ? Ca va bien !
Merci ! »
Rires
en boucle, mains qui nous enserrent, rires en cascade
« En
voyant, à l'aéroport JFK, tous ces Blancs se ruer vers le contrôle
des passeports et la douane, j'ai failli prendre les jambes à mon
cou et retourner à l'avion...... Ces gens-là, c'étaient mon
peuple, les membres de ma tribu.
Mais
les Blancs ne m'ont pas paru tout à fait humains. Leurs visages
arboraient toutes les nuances d'une roseraie anglaise, du ton crayeux
et du jaune citron jusqu'au rose et à l'écarlate. Leur nez et leurs
oreilles étaient trop grands pour leur tête, leurs cheveux étaient
mous, pendaient sans forme et, quand ils n'étaient pas tenus par une
casquette ou un chapeau, donnaient l'impression d'être sur le point
de glisser du crâne et de tomber par terre. Ces Blancs avaient l'air
dangereux, terriblement sûrs d'eux-mêmes, déterminés et
conscients de leur bon droit quand ils se précipitaient pour se
ranger dans des queues bien ordonnées et tendaient leur passeport
aux fonctionnaires en uniforme postés dans leur cabine comme des
poinçonneurs de tickets s'ennuyant ferme à l'entrée d'un parc
d'attractions. »
Citation
extraite de « American Darling » de Russel Banks