jeudi 25 octobre 2012

Et je réchauffe leur nuit

Mon métier n'était pas un métier d'homme, mon métier était un métier d'amoureux, j’étais un objet de désir, que dis-je ? De convoitise ! Et ce n'était qu'au prix d'âpres batailles que l'élue pouvait se transformer de tigresse-en-froidure en douce chatte ronronnante.
Mon métier n'était pas un métier d'homme, c'était pourtant un métier de mélancolie. A l'époque de ma conception -et je n'en dirai pas plus, n'ayant jamais connu mon père- on mettait du cœur à l'ouvrage, et le moindre objet domestique avait ses décorations, ses volutes, ses angelots, ses bas-reliefs. Le sens du détail ne s'appelait pas design, mais la moindre fente était pensée, la moindre poignée chantournée. Avec l'usure plus ou moins normale d'un usage plus ou moins intensif suivant les plus ou moins rigueurs du climat, venait le temps des rafistolages, le remplacement à la main de la pièce défectueuse, pas toujours dans la bonne forme ni dans le bon matériau, mais l'imprimante 3D n'avait pas encore été imaginée.
De mélancolie et de survie. Quand arrivait l'hiver avec sa robe de bure (ah non ! je me trompe c'est l'automne) quand arrivait l'hiver et son grand manteau blanc (l'ai-je bien descendu cette fois !), les braises chauffées au rouge rejoignaient mon intérieur accueillant, et les petits petons de se pelotonner sur ma carapace ajourée, tandis que leurs propriétaires prolongeaient la veillée, agitant frénétiquement mains et langue pour repousser la nuit ; et les petits enfants de s'asseoir à côté, pour rejouer sous les jupes de leur mère, comme jadis dans le ventre liquide, la tendre berceuse des rumeurs du dehors.
Je suis d’un temps révolu ou pas encore devenu. La mélancolie est contraire aux indicateurs de compétitivité et le développement durable ne m’a pas encore repérée.
Cependant, à présent, je fais un métier de patrimoine recyclé. Maintenant que les bouillottes et les coussins chauffants servent de doudous dans les lits à une place, car les hommes frileux préfèrent garder leur chaleur pour eux, maintenant que les chauffages centraux et les écrans plats ont déplacé le centre de gravité des veillées vers la périphérie des solitudes, mon incandescence hivernale oubliée, je trône au plus fort de l’été, sur une table de jardin, garnie de lumignons dont les flammes brillottent entre les fentes ouvragées, repêchée en deuxième noce (noce de rouille si vide- grenier, noce d’or si antiquaire, les vieilleries ne sont pas toutes logées à la même enseigne lexicale), replacée au centre des conversations, je renvoie leur lumière aux humains qui m’ont redonné vie.

1 commentaire:

Michelangelo a dit…

Fort bien descendu, et sans débarouler. Les étincelles tout au long du texte imagent les escarbilles des braises et les brillottement des lumignons.