mardi 4 septembre 2012

Le désert des Tartares, toujours recommencé


 Mais la nuit était arrivée comme  le personnage qui entre juste pour annoncer « trop tard »

Toute la journée on avait attendu  tant attendu
Toute la journée on s’était demandé sans arrêt demandé
Toute la journée on avait redouté
Toute la journée on avait pressenti
M s’était disputé avec g mais ça n’avait rien changé ; le paysage était resté le même, un peu plus pesant au fur et à mesure que la chaleur et le feu se propageaient, mais sans plus ; ils avaient fini par tomber dans les bras l’un de l’autre non pas par amour mais par épuisement
B était tombé dans l’eau et après avoir feint la noyade un bon quart d’heure, on avait fini par lui dire de se souvenir qu’il savait nager et qu’il pouvait à présent revenir sur la berge sans mettre davantage à l’épreuve nos nerfs fatigués
J avait préparé un plat de spaghettis à la croate, où surnageaient des reliefs non identifiés, mais elle voulait par là même nous signifier que le cadeau d’anniversaire que nous lui avions fait, à savoir un stage chez le plus grand chef étoilé de tous les temps, une vraie  voie lactée, n’avait pas été un investissement vain
K chantait mollement s’accompagnant à la guitare, à moins que ce ne fût elle qui l’accompagnât, il faisait en quelque sorte le bruit de fond, une espèce de zonzonement monotone apparenté à un essaim d’abeilles en rut
D’autres tirbouchonnaient nerveusement comme il se doit
D’autres zappaient sur tout le réseau hertzien et numérique sans pouvoir fixer leur attention sur quoi que ce soit ; c’était très désagréable car mélangé au bruit de fond de l’essaim d’abeilles en rut, la dispute de a et g sans parler de l’odeur de spaghettis à la croate, il fallait avoir des nerfs d’acier pour continuer à y croire et à espérer que finalement oui.
Les heures passaient comme à l’heure (leur) habitude, ni plus ni moins. Les minutes et les secondes aussi, fidèles à elles-mêmes, laissant dans leur sillage un petit bruit de sablier et d’inexorable, un petit bruit de frustration, comme lorsqu’on sent bien qu’on a oublié de faire quelque chose de crucial mais que l’on ne sait plus trop de quoi il s’agit. A tout hasard, j’allais fermer le gaz et faire la vaisselle.

Par la fenêtre de la cuisine, je vis soudain un type sur le trottoir, accroupi, avec une mallette débordante de fils et de câbles et qui avait ouvert son cahier électronique et écrivait dessus. Essayait-il de rentrer en contact avec nous ? je me précipitais sur mon engin mais il était muet, pire, il n’avait plus de batterie et j’avais oublié mon chargeur qq part entre là-bas et ici ;  Je lui fis des gestes par la fenêtre, mais il était trop absorbé par ses procédures et ne captait rien. La fenêtre ne voulait pas s’ouvrir, Je laissais tomber la dernière bouée de sauvetage.
Dans ce no man’s land de temps, chacun était à son poste, aussi impuissant que son voisin ; Le jour déclina, les secondes et les minutes firent de leur mieux pour passer encore plus lentement, mais il fallut soudain se rendre à l’évidence, nous étions enfermés dans le désert des Tartares, où rien surtout ne doit advenir ;  rien n’était donc advenu ; ça avait été une journée pour rien, une journée de plus à mettre à l’inventaire des journées nulles, où on n’a pas ri, pas mangé de bonnes choses, pas écouté de musique transcendante, où on n’a pas fait la révolution, pas caressé d’animal à poil doux, pas appris de bonne nouvelles. Une journée avec de la lumière qui ne sert à rien.

Il n’y avait rien de moins mais quelque chose en trop.

2 commentaires:

jieffebi a dit…

Bravo pour ce retour à la brise de l'atelier, mais je comprends : pas un froissement d'aile de michelangelo, pas de musique blues chantonnée par linette, pas de mots froissés par Laura, pas de tamagushi par natô, pas encore de ces fulgurentes impros de lin : effectivement reste plus qu'à secoucherdebonheur !

Lìn a dit…

vertige vertige de la vie de l'amour