vendredi 23 novembre 2012

comment faire avec un chef revêche

30 août 2012
(atelier, consignes, du 21/11/12)
Chère Stéphanie,
Je ne te remercierais jamais assez pour cette pierre de rêve ramenée de ton voyage à Pékin, pierre inspiratrice des peintres et des écrivains chinois, qui a soufflé bien d'autres projets de création à la cantine de l'entreprise durant la semaine dernière.
Tu te souviens bien sûr de notre chef "B.", qui t'a conduite à démissionner de ton poste il y a un an. Après de longues hésitations, j'ai repris finalement le travail depuis le 15 août, et les conflits perdurent. Deux collègues sont restés en arrêt maladie. Les autres, et bien...  essaient de tenir le coup. Lundi, je leur ai montré la pierre et nous avons rêvé. Un tel objet contondant pourrait être des plus appropriés pour envoyer  B. au pays des soupirs définitifs. Mais nous avons craint les indices que le geste salvateur pourrait occasionner. C'est alors que Dan a remarqué des coulées blanchâtres. Il a proposé que le service exportation envoie B. en mission diplomatique en Sicile à l'aube d'une explosion volcanique gargantuesque, des laves suaves et délicieusement bouillonnantes pourraient être notre salut, sinon la Mafia. Marie nous a cependant rappelé que l'entreprise n'entretenait aucun commerce avec le continent italien et que B. de toute manière était affecté pour sa vie entière aux archives, condamné à une mobilité entre dix rayonnages et son bureau.
Au déjeuner de mardi, nous observions les lignes horizontales, noires, de ton cadeau, fils scandés par des touches grises et verdâtres dansant comme des vaguelettes. Nous y avons vu l'eau, l'océan, des fonds profonds plein de promesse. Et si nous nous cotisions pour lui offrir une croisière sur un navire Costi Rikiki? Avec un peu de chance, un tsunami ou un commandant débonnaire et imprudent enverrait le bateau se fracasser sur des récifs ? L'idée n'était pas mauvaise du tout, elle nous a tenu au corps jusqu'à mercredi, jusqu'à ce que Josette questionne B. sur ce qu'il aimerait faire à la retraite (encore lointaine malheureusement). Et patatras : tout sauf une croisière (ni même un voyage en avion), en raison de son mal des airs et des mers.
La comptable qui t'a remplacée est bien mignonne, timide, peu loquace, tout en rondeur et douceur. Elle nous a jugés trop "véroces" (elle manifeste une légère dyslexie). J'en étais attristé étant quelque peu amoureux de la charmante elfe de bureau (chagriné par sa tristesse, pas par son défaut d'élocution). Alors, sur ses conseils nous avons abdiqué. Je vais te décevoir : la raison l'a emporté sur le petit meurtre entre collègues. Les Prud'hommes oui ! Les prud'hommes ... les prudents hommes vont engager une procédure banale, ordinaire, bref : syndicale. Depuis jeudi soir, par bonheur, la comptable a retrouvé le sourire. Elle pense que nous allons gagner la bataille, c'est comme qui dirait déjà fait  - nous a-t-elle dit aujourd'hui, à midi -  En effet, B. lui a confié (ils prennent le même bus pour venir au travail) que depuis deux nuits il couchait à l'hôtel, sa femme l'ayant mis dehors, et qu'il pensait couver une dépression nerveuse. La cause de ce petit miracle? De tempestifs appels anonymes, à son épouse, de la part d'une imaginaire maîtresse à la sexualité insatiable, et ce depuis lundi après-midi. Sous son air angélique, j'ai cru percevoir un brin de malice, aussi fin que le pinceau du calligraphe. Qu'en penses-tu ? Devrais-je  prendre une assurance tout risque, puis couper le téléphone de mon domicile conjugal si je déclarais ma flamme à l'amoureuse des comptes pertes et profits ?  Tes conseils ont toujours été judicieux.
Au plaisir te te lire
Je t'embrasse
Martin


7 commentaires:

Marie, Pierre a dit…

Et quand on sait que St Stéphane est mort lapidé ! on se dit que la pierre offerte, fût-elle de rêve n'est pas une pierre anonyme !! trop véroces ? trop féloces ? trop féroces ?

Ange-gabrielle a dit…

Cette petite comptable me plaît beaucoup mais votre férocité n'était pas pour me déplaire non plus.
Ne lui donne que ton n° de portable, c'est + sûr

Lìn a dit…

ah les mots inventés !!! véroces, je corrige !

Marie, Pierre a dit…

j'aimais bien véroces, aussi.

Lìn a dit…

oui et je l'ai laissé rien que pour toi !

Anonyme a dit…

Cher Martin,
Bien heureuse d’avoir eu de tes nouvelles, enfin de vos nouvelles à tous. Et en plus, ce que tu m’annonces est merveilleux. Vraiment B. est au bord d’une dépression ? Mais quel bonheur ! Cela me donnerait presque envie d’être auprès de vous afin de constater au jour le jour la détérioration de l'état de celui qui a déjà tant fait de dégâts chez les autres. C’est peut-être un juste retour des choses, finalement : être puni en éprouvant le même mal que celui qu’on a causé. Le rêve de toute victime, sans doute…
Je suis également bien contente de savoir que mon petit cadeau vous a plu et qu’il a permis, si ce n’est de passer à l’action, en tout cas de donner des ailes à certaines rêveries, dont l’énonciation collective est à elle seule une forme de thérapie. Le vendeur avec qui j’ai échangé – difficilement – quelques mots en anglais m’avait bien prévenu : c’est une pierre si spéciale que le seul fait de la tenir entre ses mains, de perdre son regard dans ses lignes suffit à rassembler en chacun quelque chose d'indeffinissable, l’ébauche d’une puissance créatrice. Un condensé d’énergie à usage multiple. Une pierre immémoriale, qui est passée par bien des mains au gré des coups de foudre qu’elle occasionnait chez ceux qui lui jetait un premier et fatal coup d’œil. Une pierre hors de prix, me diras-tu. Mais si Martin, je te connais bien et j’entends au fond de toi que tu te demandes combien j’ai laissé pour cet objet si peu ordinaire… Et l’autre question, corollaire de la première : pourquoi j’ai accepté de m’en séparer, en vous l’envoyant. Et bien patience, je n’ai pas envie de répondre pour l’instant. D’autant plus qu’il y a des choses que tu découvriras bientôt par toi-même. Mais en souvenir de ton ardeur et ton plaisir à résoudre les énigmes, je te propose un petit jeu, comme nous en avions l’habitude quand nous partagions le même bureau : je promets de te donner un indice sur cette pierre, à la condition que tu continues à me relater l’état de B.
Enfin un conseil (d'amie !) : ce n’est pas la peine de donner ton tel à cette jolie petite comptable car elle l’a déjà. En revanche, tu peux l’inviter à dîner, par exemple la semaine prochaine. Je mettrais ma main à couper qu’elle acceptera. Mais cela aussi, je ne te dirai pas maintenant comment je le sais. Choisis simplement un bon restaurant. Chinois par exemple...
Bon appétit, bises et à très vite
Stéphanie

martin a dit…

Chère Stéphanie, je vais commencer par te décevoir puis l'inverse (on ne dit pas recevoir pour ce que je veux dire). B a obtenu une médaille du mérite ! Je te rassure, nous ne sommes pas allés à la cérémonie. Mais, et cela va t'intéresser au plus haut point: sans nous le dire, il avait demandé une mutation à la maison-mère de Paris, et? et! il est arrivé second, un autre collègue (ayant un excellent réseau parisien) a obtenu le poste. B. ne s'en vante pas. Je l'ai su par des bruits indiscrets qui courent dans les couloirs de l'entreprise. Donc on va encore le garder. Dommage. PS : la comptable n'a pas mon numéro de téléphone car je viens de le balancer aux déchets suite à quelques mésaventures qu'une autre amie, Marie, m'a racontés à propos de son smartphone. j'en ai eu froid dans le dos. Alors l'indice, tu me le donnes ? Bises, bien à toi, reste au chaud. Martin