lundi 29 avril 2013

HC suite à la lecture de BL "Les rouleaux du temps"


Quand je suis allée pour la première fois écouter Hélène Cixous à La Maison Heinrich Heine à la Cité Universitaire Internationale de Paris, j'avais déjà lu un certain nombre de ses livres. Ils m'avaient tellement bouleversés que je voulais l'entendre. C'était en 2005, elle avait invité ce samedi-là J J Lemêtre, musicien au Théâtre du Soleil et ils se sont livrés à un drôle de jeu : elle parlait, il l'écoutait, nous buvions ses paroles, il les traduisait en rythmes. Nous avons vécu ce jour-là à quel point chacun d'entre nous est une caisse de résonnance, qu'entre deux notes, il y a un trou, un vide, une discontinuïté, vie/non-vie, comme dans la vie, que la surprise -là réside la jouissance- ne peut venir que de l'irrégularité, de ce qui nous fait faux bond, de ce qui se dérobe par rapport à ce qui est attendu. Depuis, j'organise mes voyages à Paris en fonction des dates de ses séminaires. Aussitôt installée sur ma banquette dans le train du retour, c'est dans l'URGENCE que je me jette sur mes notes, pas une minute à perdre. Ne rien oublier, pas une parcelle, une intonation de ce qu'elle nous a offert. Contrairement à mon habitude d'extrême synthèse dans mes prises de notes, je tente de noter in extenso de peur que le miroitement de sa langue disparaisse, qu'il ne reste plus que l'étang (le temps) sans l'enchantement. J'y retrouve à chaque fois la même exaltation, le même frissonnement. Les marges de mes notes sont pleines d'annotations (pensées ? fulgurantes), où trouvé-je le temps de noter tout cela, tout en l'écoutant, quel est cet état de transe qui multiplie mes capacités ?

A l'écouter, sa pensée qui vole, me transporte en pays de rêves : une porte s'ouvre, j'étais là, il y a un instant et hop, je suis ailleurs et derrière cette porte, une toute autre scène, des pans entiers du décor disparaissent (ses mots déploient, ramifient), tout se répond, se métamorphose, l'un est dans l'autre, jamais fini, j'hésite, où en es-t-on ?, dans quel instant, en quel lieu ?, tout se divise, vacille, chaque mot est à double (triple …) sens, en transformation.
A l'écouter, je suis hantée, (dont la racine est haim : hameau qui a donné heim : chez soi, Heimat : patrie, non, intraduisible ; Heimweh : le mal, l'absence du heim, l'absolue perte et non la nostalgie) donc habitée, obsédée, peuplée, animée, poursuivie, possédée par le grand souffle de la littérature, tout résonne en une déflagration, la même qu'à entendre inopinément cette langue allemande que me parlait ma mère, la même fascination que devant ces traces d'escargots découvertes les matins d'été sur ma terrasse, et qui scintillent, chatoient et disparaissent selon mes regards.

Ces jours-ci, je découvre les livres de Bertrand Leclair. Après avoir dévoré « Malentendus », je choisis « Les rouleaux du temps » pour sa quatrième de couverture qui m'a fait signe : « Ce que ça nous fait, ce que ça peut bien nous faire, la littérature, ici et maintenant, à tous et à chacun » écrit-il et sur les onze chapitres plus un, je me précipite bien sûr sur le X°, celui intitulé « Le jour où je n'étais pas là » d'H Cixous. Précipitez-vous pour lire ce livre, je ne vais malheureusement ne vous en dévoiler que quelques phrases.

Introduction : Puissance de la littérature

« Tout le livre est hanté par une idée insaisissable de ce qu'est le livre, de ce qu'il peut-être et donc de ce qu'il doit viser à être, « le » livre, celui qui n'existera jamais -qui ne sera jamais dans le livre, mais ne sera jamais nulle part ailleurs que dans l'ensemble des livres qui lui donnent vie, celui que l'on n'écrira ou ne lira jamais, mais qui nous fait lire et écrire des livres. »

Chapitre X :

« Chaque phrase bouscule la précédente et, libérant le sens de la prison des stéréotypes, demande à être entendue dans toutes ses ramifications, demande à être dépliée d'une façon neuve par le lecteur qui, plus que de commenter, ne peut que se lancer à son tour dans l'aventure du langage qu'elle met en scène, raconte, joue et rejoue sans cesse au grand théâtre de la vie. ….
De fait, c'est aussi en tant que lectrice incomparable qu'Hélène Cixous est présente dans tous mes livres. Lectrice, elle incarne à mes yeux un rapport vivant à la littérature et à la langue, un rapport exceptionnel dont elle témoigne lorsqu'elle plonge dans les Carnets de Marcel Proust pour en déployer tous les enjeux, en extraire une phrase qui pouvait paraître anodine mais dont elle fait miroiter les mille et une ramifications au secret du texte, et voilà le tapis des significations qui s'envole devenu magique : voilà le tissu de signifiants qui décolle du réel pour le laisser un instant apparaître à qui veut le voir (puisque le texte est toujours un textile : un maillage sur la trame du vivant).
Elle lit, comme elle écrit, ou vice versa, et je pourrais dire avec autant de naturel apparent : au grand vent de son souffle elle soulève les voiles du signifiant, dépliant sans cesse la langue pour l'empêcher de se figer aux plis amidonnés que les communicants de toute nature veulent toujours lui imposer. Son écriture, au bout du compte, n'a peut-être pas d'autre enjeu que de nous initier à la « lecture secrète » dont je parlais, de vraiment nous apprendre à lire, en somme, on y revient. C'est à dire, non pas nous apprendre à lire ses livres (ce qu'elle fait aussi, bien sûr : les grands livres sont ceux qui inventent leurs lecteurs), mais nous apprendre à lire le monde, à lire nos existences, à déplier nos propres histoires dans lesquelles nous enfermons le récit de nos petites vies, à déplier le tissu où s'entremêlent tout ensemble l'intime et le collectif, l'un et l'autre « inlisibles » d'être tramés. »

Il est des textes qui brûlent.


2 commentaires:

Unknown a dit…

Je comprends que ça te fasse de l' effet

Anonyme a dit…

Sens dessus dessous, et à travers,
Traits d'e(s)crits,
Essence des mots,
leur sens à gémeaux mêtrie variable, voire plus