mercredi 29 octobre 2014

perso 3/ celui qui lit

Il referme la porte de la librairie française calle Barbaria delle Tole et gagne lentement la place devant l'église San Zanipolo . Il réajuste son petit sac à dos sur l'épaule , consulte rapidement sa montre - il a encore un peu de temps avant de déjeuner - , flâne un peu en regardant les vitrines : un magasin de sacs (ce qui est rare dans ce quartier), une pâtisserie dont on lui a vanté les gâteaux, des restaurants dont les garçons commencent à dresser les tables sur la place, et de l'autre côté l'entrée de l'hôpital ainsi que l'église qu'il a déjà visitée et dont lui reste le souvenir d'un espace très vaste avec très peu de chaises en rapport à la proportion du bâtiment. Pour les tableaux exposés il ne sait plus ; il sait juste qu'il avait bien aimé ce bâtiment en brique rose . Il jette un regard rapide à la statue équestre autour de laquelle des fillettes jouent en tentant d'attraper des pigeons puis se dirige vers le bord du canal, contemple le reflet de l'arc concave du pont, descend une des marches qui s'enfoncent dans l'eau et s'assoit. Il reste un long moment immobile plongé dans le regard porté sur les ondulations colorées de l'eau, cette sorte de réalité désencagée qui va s'écrivant, se déplie, insiste, puis se trouble lors du passage d'une barque ou d'un canot à moteur. Levant la tête et portant sa vue à l'autre bout de lui, à l'extrême bord du visible, il aperçoit tout au fond de l'intervalle creusé par le rio dei Mendicanti qui débouche sur la lagune, l'île San Michele où Venise s'enténèbre . Dans les pensées qui l'assiègent il se murmure qu'il a beaucoup de chance de pouvoir se nourrir à tant de merveilles. Il flotte alors dans son œil le reflet d'un bonheur qu'il a su saisir, une forme de feu immergé en éclats. Il feuillette le livre de Liliana Magrini qu'il vient d'acheter , découvre la dédicace à ma mère puis lit les premières lignes :
Les touristes sont décidément partis. Pas un, sur le Campo SS. Zanipolo où depuis des mois, et hier encore, ils se déployaient par troupeaux, paissant la décoration en trompe-l'oeil de l'hôpital.
Il referme ce Carnet vénitien , scrute à nouveau la surface du canal où se reflètent des pans de murs colorés et un ciel qui n'en finit pas de se noyer. Puis il sort de son sac carnet et stylo et paisiblement trace ces premières lignes : naviguer encore et encore, entre les langues et les eaux, lestées de peintures éphémères. tisser sous les soupirs une étoffe de songes, où se brode au fil sang le cordon qui relie à la mère. ce qui niche dans le silence, au seuil des mots, et qui étreint comme une crue.
A peine ces mots posés, la cavalcade des cloches de l'église prend son envol. Il sourit, revient dans cette sorte de réalité du quotidien, se relève , et une fois le ponte Cavallo franchi, se dilue dans Venise.


1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Dès le 1° personnage, j'attendais le lecteur et je me remémorais "Seule Venise" de C Gallay. J'aime beaucoup et attends impatiemment la suite