vendredi 3 octobre 2014

Un lieu, quatre temps

Il n'y a personne. En ce début septembre, la plupart des maisons sont déjà fermées. Il faut ouvrir le vieux portail en bois et ce que je vois d'abord c'est la maison, non retapée, aux vieux volets fermés et écaillés, une maison qui sort tout droit de l'enfance.
Assise sous les platanes, la table ronde entre nous, c'est la source à l'arrière, enfouie sous l'herbe verte que j'entends. Un murmure à peine audible mais sa fraîcheur se répand dans tout l'espace en un chuchotis apaisant continu. C'est d'elle que vient l'envoûtement de ce lieu, même si je ne m'en rends compte qu'après quelques minutes. Toute cette verdure, ce coin replié sur lui-même, la vigne vierge montant à l'assaut des vieux murs, ces arbres en bosquets ne sont là que comme écrin à ce mince filet d'eau perpétuel.

Maintenant, tous les volets sont ouverts, mais la maison ne parade pas. Elle ne s'emplit pas de lumière par de grandes baies vitrées, elle respire humblement, c'est par rais que pénètre le soleil et par taches d'ombres dansantes qu'à peine s'éclaire la cuisine. L'odeur de vieux bois, d'étoffes, souvent enfermés, imprègne l'air. La même distribution des pièces que dans l'enfance, l'escalier de bois raide qui conduit à l'étage, les fenêtres étroites et les lourds édredons qui s'enfoncent dans les lits. On voudrait ne plus bouger, ne plus respirer, de peur que sa présence modifie les lieux. Alors on parle peu, on parle bas et on redescend sur la pointe des pieds avec un peu le sentiment d'une profanation. Dehors, le soleil de septembre encore étonnamment chaud nous incite à rejoindre l'ombrage des platanes aux troncs desquamés et je me surprends à avoir envie de détacher de mes doigts leurs plaques irrégulières.

Le soleil descend vers l'ouest. Sortant d'un envoûtement de plusieurs heures, je me hasarde à explorer les différents espaces séparés les uns des autres par des haies qui s'ouvrent face à la maison et dont la végétation semble avoir poussé spontanément. L'un, tout resserré autour de la source et qui conduit par un étroit chemin bordé de buis à un compost, le second, un peu plus grand, odorant. Je cherche longtemps avant de comprendre que c'est cet arbre aux fleurs peu voyantes, un clérodendron qui me retient et me donne envie d'y installer, à vie, une chaise longue. Plus loin un espace plus ouvert, un tas de bois mort, une prairie et une ancienne muraille à trois quart écroulée, toutes recouverte de buisson qui le borde. Et, tout au fond, un impénétrable fouillis de bambous, d'arbres qui bouchent la vue et la progression et qui protègent aussi de toute autre sollicitation que le lieu lui-même.

Quand est-elle arrivée ? En tout cas, il fait nuit et nous sommes toujours assis à cette table. La source prend maintenant tout l'espace sonore. Les pipistrelles traversent l'espace de leurs vols anguleux. Il est temps de fermer les volets. L'escalier craque, la première pièce en haut est encore claire, sa fenêtre ouverte à l'ouest m'attend. Appuyée à sa margelle, le regard passant par-dessus les arbres, c'est une immensité de lumière et de silence que je reçois comme une vague. Le silence est sculpté par les crissements d'insectes. Le léger rougeoiement du ciel strié des longues traînées argentées des avions tremble du cri régulier d'une effraie. Je t'ai appelé à voix basse : « Viens voir ». A nouveau le silence enveloppe tout l'espace, déjà le ciel a changé. Il faut fermer, les volets, la maison et reprendre la route



2 commentaires:

Lìn a dit…

Quelle surprise ! Changement de lieu, de style, le personnage est cette maison et non plus les passants

Laura-Solange a dit…

Nouveau lieu! J'aime bien aussi!
"Alors on parle peu, on parle bas et on redescend sur la pointe des pieds avec un peu le sentiment d'une profanation." Cette phrase me parle...