jeudi 7 décembre 2017

Ance /2

Le vertige, c’est apprivoiser une nouvelle disposition du monde où les attaches, les liens et avec eux, le centre névralgique de ces liens sont sans cesse en mouvement, détruits ou déplacés. Camille de Toledo

Un creux d’herbe et de pierres, là près du pont aux deux arches, là où se conjuguent les reflets du versant qui fait face, dans cet équilibre fragile très vite menacé; prendre le temps dans les entrelacs d’eau vive, saisir la sonnaille des feuillages rassemblés en un brouillon auprès des pierres de silence, ne plus voir l’eau mais ce qu’elle donne à être, ce qu’elle délivre des secrets qui dorment entre ses gouttes mariées aux promesses de l’air; tenir le vertige à distance respectable, accorder son regard à l’étrange tendresse, un peu sauvage, un peu diabolique qui jaillit de ces eaux ; cueillir ce qui s’évade sans bruit de ce songe éveillé, rendre hommage aux hélices de lumière , aux épousailles d’ombres quand se dérobent les entailles d’un passé que l’on ne sait pas et que l’on réinvente avec des mots imparfaits. Revenir sur ses pas, aller sur le pont de pierres séculaires - le pont du diable - fouler les dalles usées par tant de piétinements , le cœur battant très vite, s’éloigner du vertige des signes et grimper au château qui surplombe la vallée ; ne plus voir la rivière mais l’entendre vers l’amont se gargariser d’une voix rauque de paroles où s’exalte une palette de sons étranges et envoûtants. Elle est là , rétrécie et noire, secrète entre les falaises de feuillus qui la cachent au regard, elle déboule dans l’inconnu , apprend des ronces et des arbres ce qu’elle doit savoir, avant d’être happée quelques kilomètres plus bas . Vers l’aval, avant que l’Ance ne soit plus, il y a quelques plages de sérénité où le souvenir de sculptures à demi immergées flotte encore en moi: une installation éphémère qu’un violent courant emporta – l’exposition venait de s’achever – . Le regard noyé scrute sur la carte le cours de l’eau quand l’Ance s’élargit et sinue en arabesques sages baignant quelques hameaux: le Plot, la Villette, le Galy, le Theil, Chizeneuve , le Vert où l’Andrable l’épaule et emmêle ses eaux, et nourrie encore de quelques rus, elle finit son périple à l’amont de Bas-en-Basset quand la Loire l’engloutit. Entre la source et la confluence, elle laisse des copeaux d’images s’accrocher aux regards, des rêveries s’enjoliver entre ses rives, des solitudes s’épouser dans des recoins d’ombres, les terres se baigner d’infini et les silences se nourrir de son chant.


1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Ces têtes comme des mémoires flottantes qui nous fuient quand la vieillesse arrive, comme les souvenirs qui s'évanouissent ... Je me souviens quand sur "Jardin d'ombres" ces images avaient parues. Si tes mots sont imparfaits, quels mots alors ?